Les révolutions ont partie liée avec les arts. En témoigne la poésie des noms de fleurs qui leur sont donnés, depuis les œillets du Portugal jusqu’au jasmin de Tunisie fleurant la pureté, la tolérance et la douceur de vivre. L’idée du bonheur, c’est l’Europe du XVIIIe siècle qui l’a inventée. A l’Europe du XXIe siècle d’imposer l’avènement du bonheur pour tous. Or, ce serait ne rien comprendre à cette ère nouvelle sans une référence à l’œuvre musicale des temps modernes qui l’inspire : le Sacre du Printemps de Stravinsky.
Tout est parti de la Cour européenne des Droits de l’Homme (CEDH). Chargée, à sa création en 1959, d’une noble mission, la Cour est devenue, en quelques années, une juridiction bardée d’un arsenal juridique aux phrases amphigouriques dignes du Tiers-Livre de Rabelais, d’un nombre impressionnant de protocoles additionnels, d’arrêts contradictoires. Bien loin de se faire obéir de ses sujets, certains la frondent ouvertement (la Russie), d’autres font la tête de Turc, beaucoup se font tirer l’oreille, quand elle n’est pas sourde. Le Grand Général ne l’aimait pas trop. C’est que son pouvoir, dépourvu de coercition, se heurte au grand principe du droit : l’autorité de la chose jugée. Depuis quelques années, nombreux sont ceux qui remettent en cause non seulement sa compétence et celles des juges mais sa légitimité.
Des affaires Mennesson et Labassé
Avouons-le : à considérer les affaires sociétales, on peut dire que la CEDH, c’est la Cour du Roi Pétaud. Les arrêts se succèdent et se déjugent. Ainsi des affaires Mennesson et Labassé. Dans le premier cas, un couple fait un enfant par GPA aux Etats-Unis. Deux jumelles naissent « made in USA ». L’état civil français refuse d’enregistrer les actes de naissance des enfants américains. Le couple fait appel à la CEDH qui « condamne » l’Etat français à une amende ainsi qu’à un dédommagement pour les enfants, au motif de violation de leur vie privée, tout en reconnaissant le droit français d’interdire la GPA. Quant à l’affaire Labassé, d’une enfant achetée 1500 euros, née en Inde d’une mère porteuse, elle donne naissance à une circulaire : la circulaire Taubira du 25 janvier 2013 relative à la délivrance d’un C.N.F : « Certificat de nationalité française convention de mère porteuse ». A l’inverse, dans l’affaire ubuesque de GPA Paradiso/Campanelli, la CEDH infirme un jugement de première instance et fait droit à l’Etat italien de ne pas reconnaître l’enfant née d’une GPA interdite en Italie, sans toutefois condamner explicitement la GPA. C’est du grand Polichinelle ! Se vérifient la pensée pascalienne : « Vérité en-deçà des Pyrénées, erreur au-delà » ainsi que le dicton : « Charbonnier est maître chez soi »
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La CEDH, c’est la conscience morale de l’Europe et, avec elle, le grand retour de la casuistique. Ne pouvant faire que la force soit juste, elle fait que la justice use de la force. Mais de douce manière. Elle agit par intimidation, persuasion, manipulation, par l’opprobre et le scandale. La mère qui porte l’enfant de sa fille, morte d’un cancer après avoir congelé ses ovocytes (on n’est jamais trop prudent), c’est une affaire juteuse et prometteuse. Car l’amour, on le sait, est plus fort que la mort. Ça ne défraie pas encore la chronique comme les affaires de procréation. Condamnée neuf fois, la France pleure son honneur perdu. Que n’affirme-t-elle sa souveraineté ! Une des malices de la Cour, c’est d’opposer les droits et les pays entre eux.Voyant que le coup de la GPA éthique, bien payée (jusqu’où l’amour va se nicher) ne marche plus, elle invoque à bras levé « l’intérêt supérieur de l’enfant », vraie tarte à la crème. Ce qui lui permet d’opposer le droit d’un Etat à interdire la GPA et de reconnaître cette même GPA au nom de « l’intérêt supérieur de l’enfant ». Les nouveaux jésuites, vêtus de noir, au toupet d’hermine, poussent partout comme des champignons pour imposer un nouveau droit en inventant des cas à dormir debout qui feront jurisprudence (mot magique), semant confusion et disparité entre les Cours, de sorte que le droit n’y retrouve plus ses petits. C’est cela le charme discret de la CEDH. Une main de fer pour une « révolution de velours ». Mais, depuis quelque temps, la Cour s’asphyxie sous des affaires de tourisme procréatif. Ce ne sont que plaintes de ressortissants pour défaut d’enregistrement de marchandises. Doléances d’Ogres, d’Ogresses et de petits Poucets. Sans parler de l’indignation des Dames la Vertu qui ne voient pas que la Cour joue la fée marraine. Les rouleaux des arrêtés sur la toile, c’est mieux que le Livre des Merveilles de Marco Polo.
« La France s’est volontairement placée sous l’autorité juridictionnelle de la Cour de Strasbourg »
Le Sacre du Printemps, qui fit scandale en 1914, évoque, en deux tableaux, l’adoration de la terre et le sacrifice final, avec une danse, où une jeune fille est sacrifiée au dieu de la Nature sous le regard des vieux sages (on attend de cette œuvre une mise en scène originale signée Jacques Attali). Or, c’est au rythme de cette œuvre, particulièrement de la danse sacrale, que l’ancien président de la CEDH, Dean Spielmann, comparait celui, « poly- rythmique » ( ?), du travail de la CEDH. Dans son discours d’audience solennelle à la Cour, le 320 janvier 2015, Dean Spielmann, filant une métaphore musicale hasardeuse qui associe « la fugue et le concerto », rapprochait le rôle du président sinon de celui d’un premier violon du moins de celui d’un chef d’orchestre. Et d’affirmer que la CEDH imposait progressivement la GPA « selon un rythme imposé par notre Cour ».
Le tempo du Sacre entre donc en résonance avec un air du temps que l’on distille à plein tube, à coups de gong et de cymbales. Comme l’air de la calomnie, celui de la CEDH s’insinue partout. Nul doute que la métaphore musicale sera filée par le nouveau président Guido Raimondi, auquel a fait allégeance, le 13 janvier 2017, le premier président de la Cour de Cassation, Bertrand Louvel, lors de l’audience solennelle de cette Cour, en se félicitant de la ratification par la France de la Convention européenne des Droits de l’Homme : « La France s’est volontairement placée sous l’autorité juridictionnelle de la Cour de Strasbourg ».
Chi va piano va sano
Ainsi advient la révolution anthropologique : le remplacement de « la famille biologique » dite « traditionnelle » par « la famille contractuelle ». A l’explosion de la famille « atomisée » correspond l’extension de la procréation artificielle. Quel chemin parcouru par notre belle Europe depuis le chevauchement par Zeus de la Vache crétoise jusqu’à la Pétaudière bruxelloise ! Bravo, Maestro ! On en redemande encore et toujours ! Un petit nombre tient les baguettes et tout le monde suit les sirènes de l’amour, toujours à réinventer.
A demain les lendemains qui déchantent ! Chaque affaire sociétale chasse l’autre dans l’esprit du public. Pas pour la CEDH qui construit son mille-feuille, chacune cimentant l’autre au point que, comme le prophétisait deux de ses juges: « L’arrêt de la Cour réduit à néant non seulement la faculté pour les Etats d’interdire la GPA mais aussi la légitimité d’un tel choix législatif ». Le pouvoir de la Cour dépasse celui des Etats avec leur consentement jusqu’à la fraude à la loi.
Une grande œuvre ne vient pas toute seule. Sans parler de la gymnopédie récente entre les tombes de Verdun, il y a eu, en juin 2016, l’inauguration du tunnel du Saint-Gothard par un « happening » décoiffant et grossier qui indigna ou fit rire. Se déployait, devant le parterre des chefs d’Etat européens, ce nouvel ordre qu’on impose en art, dans les mœurs, dans les esprits, dans le droit. Rien de la sacralité wagnérienne. Et nous, Français, héritiers d’un printemps qui n’en finit pas de nous enchanter de ses fruits pourrissants, nous sommes tellement hantés par les souvenirs des pestes que nous ne voyons plus les épidémies sous nos yeux. On dira que « l’ogritude » et l’esclavage sont des maladies périphériques. Que l’affaire Mennesson et Labassée, c’est du fait divers. Beaucoup de « malconfort » pour peu de chose. Dans les sociétés démocratiques, Tocqueville l’a dit, chacun, occupé par ses intérêts propres, est indifférent à ceux d’autrui et ne voit plus l’ordre général du monde.
« La GPA est un mode particulier de PMA »
Il faut mettre un terme aux intimidations de la Mère Fouettarde. Aux pratiques obscurantistes de la CEDH. Il faut rappeler que l’Europe, avant d’inventer l’idée de bonheur, fut cette « République des Lettres », patrie du savoir et de la liberté de penser qu’évoque si bien Marc Fumaroli. « Sapere aude » a dit Kant. Cet impératif est catégorique.
Revenons à nos boussoles : intellectuelle et juridique. Refusons ce droit qu’on nous impose en catimini et à coups d’éclat. « Yes, we can ! » Le piège présent est d’entrer dans le millefeuilles des réformes sociétales. Les juges de l’affaire Mennesson le reconnaissent eux-mêmes : « La GPA est un mode particulier de PMA ». La crème anglaise de la GPA et le glacis de la PMA, c’est à manger ensemble, ou à laisser. Pas de printemps français avec la CEDH ! Retrouvons les couleurs de la liberté : le bleu, le blanc, le rouge. Occasion de relire les livres délectables de Michel Pastoureau sur les couleurs, reflets des sociétés.
En attendant un printemps qui chantera juste, on peut user d’une thérapie simple : les pro- verbes dont notre pays a la spécialité. « Deux chats ensemble ne font pas un chien. » Ou : « La plus belle fille du monde ne peut donner que ce qu’elle a ». Moralité : on fait ses enfants soi-même sans demander à l’Etat de les faire en votre lieu et place. Ou encore : « Les lois sont faites pour les hommes et non les hommes pour les lois ». Enfin, pour conjurer la peur d’être mis au ban de l’Humanité par la CEDH, méditer le proverbe chinois : « Une circulaire, fût-elle du 25 janvier 2013, n’est pas une loi. »
Sur une gravure de Doré illustrant la mort de Barbe Bleue, on voit un animal hybride, entre sphinx et chimère, ainsi qu’une épée comme un Caducée. Sur la gauche, un Mousquetaire sort de la nuit, l’épée hors du fourreau. Que notre président, passionné de théâtre, prenne sa cape, son épée et la plonge dans le ventre de l’Hydre. Ce serait un rôle de premier plan et il ne manquerait pas d’un professeur d’art dramatique pour le guider dans sa mise en scène. En attendant sœur Anne ne voit rien venir.
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