George Orwell l’avait compris : « Celui qui a le contrôle du passé a le contrôle du futur. » Comme on ne soupçonne pas les fanatiques de Daech d’avoir lu 1984, il faut croire que le génie barbare existe. Avec la destruction des monuments préislamiques jugés « haram », les fous d’Allah imaginent purifier l’esprit de leurs contemporains alors qu’ils dépouillent l’histoire du Moyen-Orient de toute sa complexité, pour préparer le terrain à un avenir unidimensionnel. Ce même objectif semble guider les jeunes pourfendeurs du passé colonialiste qui réclament la démolition de la statue de Cecil Rhodes en Angleterre ou qui, outre-Atlantique, vandalisent les symboles des confédérés. Sauf qu’il ne s’agit pas de djihadistes, mais d’étudiants dans de prestigieuses universités.[access capability= »lire_inedits »]
Passer chaque jour à côté d’une statue qui représente « un ancien propriétaire d’esclaves » heurte à ce point la sensibilité de nombre d’élèves d’Oxford, réunis dans le mouvement « Rhodes must fall », qu’ils réclament sa destruction à coups de pétitions. Le fondateur de l’ex-Rhodésie n’a pas sa place, disent-ils, sur un campus du xxie siècle. Et, puisqu’on n’a pas affaire à des abrutis, ils ne le qualifient pas de « haram » mais de « problématique ». À leurs rares opposants, qui leur font remarquer que le bâtiment d’Oriel College, où ils étudient, a été construit grâce aux dons de Rhodes, les jeunes prodiges répliquent : « Ce n’était pas l’argent de Rhodes mais l’argent provenant du travail des mineurs sud-africains que Rhodes exploitait. » On est curieux de connaître l’argumentation qu’emploieront les bénéficiaires de la renommée bourse Rhodes, qui permet à des élèves méritants d’étudier gratuitement à Oxford. Cela dit, l’avenir de cette grande cause se joue largement en Afrique du Sud, où a été lancée la mode. À l’université du Cap, la statue de l’odieux colonialiste britannique a été expulsée aux cris de « amandla ! » (« pouvoir »). Heureusement, à l’entrée du Parlement sud-africain, le buste de Nelson Mandela fait bon ménage avec la statue de la reine Victoria et celle de l’ancien Premier ministre afrikaner Louis Botha.
Aux États-Unis, l’attitude « année zéro » si chère aux djihadistes se répand en douceur et on accommode le passé aux goûts du présent. À l’université du Texas, on s’était déjà débarrassé de la statue de Jefferson Davis, président des États confédérés durant la guerre de Sécession, qui ne correspond pas aux « valeurs d’aujourd’hui ». À l’université de Saint Louis, c’est le monument du jésuite Pierre-Jean De Smet brandissant la croix au-dessus d’innocentes têtes indiennes qui a fait les frais de l’épuration artistique. Mais c’est surtout depuis la fusillade dans une église noire de Charleston en juin dernier que les initiatives se multiplient, ici pour censurer Mark Twain, là pour débaptiser une bibliothèque ou un stade. Le Guardian britannique a même conçu une carte interactive des États-Unis, permettant aux lecteurs de marquer les emplacements des monuments « problématiques ». La priorité du moment : rebaptiser les « Washington Redskins », fameuse équipe de foot américain, dont le nom (« Peaux-Rouges ») offense les Indiens. Le plus dur sera de choper tous les petits morveux blancs qui continuent à jouer aux Indiens dans les cours de récré.[/access]
*Photo : wikimedia.
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