Pour son deuxième long-métrage, Mikhaël Hers parvient à réaliser un film qui ressemble à son beau titre. Ce sentiment de l’été , c’est à la fois une évocation précise du temps qui passe à travers une chronique s’étalant sur trois étés mais également quelque chose de plus diffus, des sentiments plus souterrains qui traversent le film et ses personnages.
Le film débute par l’irruption du tragique dans le quotidien. À Berlin, nous suivons les gestes habituels d’une jeune trentenaire qui se rend à son travail, revient le soir et s’écroule – inconsciente- alors qu’elle traversait un parc public. Ce décès brutal va provoquer une véritable onde de choc chez les proches de Sasha : son petit ami américain Lawrence (Anders Danielsen Lie, vu dans Oslo, 31 août) mais également sa sœur Zoé, ses parents…
L’illusion tragique
Dans un premier temps, on se dit que Mikhaël Hers va s’intéresser au deuil, à la manière dont les vivants finissent par s’accommoder avec le plus inacceptable des événements. Même si cette dimension reste omniprésente tout au long du film, le cinéaste n’en fait pas non plus la question centrale de son récit. D’une certaine manière, il choisit de contourner ce sujet, de le traiter en filigrane et d’emmener ses personnages ailleurs.
En jouant ainsi avec des « dates anniversaire » entre Paris, Berlin ou Annecy et sur le contraste entre les souvenirs douloureux et une saison où tout devrait paraître léger et doux, Mikhaël Hers parvient à nimber l’ensemble de son film d’une profonde mélancolie. Mais au lieu de jouer la carte du psychodrame, il préfère scruter en profondeur, à travers des regards et des non-dits, les répercussions de ce décès sur l’entourage proche de la disparue.
Tout d’abord, Lawrence, qui finit par quitter l’appartement commun et qui vit dans ses souvenirs. Sa relation avec Zoé, la sœur de son amie est ambiguë dans la mesure où il retrouve dans le visage de la jeune femme les traits de celle qu’il a aimée. De la même manière, Zoé s’est séparée de son mari avec qui elle a un petit garçon. Leurs relations sont restées excellentes et ils leur arrivent même de dormir ensemble mais quelque chose s’est irrémédiablement fêlé.
Un film impressionniste
Enfin, il y a les parents qui ont un rôle plus périphérique mais, là encore, Hers parvient à suggérer avec beaucoup de finesse les blessures qui se dissimulent sous le vernis des gestes quotidiens, notamment chez la mère qu’incarne la trop rare Marie Rivière. Ce sentiment de l’été est un film impressionniste qui s’attache avant tout à filmer la surface des choses : la belle lumière de l’été, une fête sur une terrasse à New-York, un moment de temps suspendu sur les toits de Paris… Pourtant, le drame est toujours omniprésent mais il est tu, intériorisé.
Finalement, sans avoir l’air d’y toucher, le cinéaste parvient à saisir quelque chose d’insaisissable : le sentiment du temps qui passe. D’un côté, ce temps qui détruit tout, érode les sentiments, ouvre régulièrement des plaies qu’on croyait refermées (notamment en raison de son caractère cyclique). De l’autre, le film ne se complaît pas dans le pessimisme et montre également que le temps permet de cicatriser les blessures. Pour Lawrence, il ne s’agit pas d’oublier Sasha mais de s’autoriser à aimer à nouveau. Les derniers plans sur une plage de la côte Est sont magnifiques, baignés par une lumière sensuelle qui traduit aussi bien les regrets éternels que les espoirs d’un avenir qui n’a rien de tout tracé.
C’est ce double mouvement entre le travail du deuil et l’espoir de beaux lendemains qui fait la force de Ce sentiment de l’été et lui donne une musique et une couleur assez atypiques au cœur du cinéma français…
Ce sentiment de l’été, de Mikhaël Hers avec Anders Danielsen Lie, Judith Chemla, Marie Rivière, Feodor Atkine, Jean-Pierre Kalfon. En salle depuis le 16 février.
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