C’est pas que ça m’inquiète, mais un peu tout de même. Je me demande si je ne suis pas devenue… sarkozyste. Non, ce serait trop affreux, c’est sans doute simplement un accès. Dès que je le verrai tripoter son téléphone portable devant le pape, vanter les mérites de son épouse comme s’il était chez Delarue ou proclamer son admiration pour les « écrivains qui vendent », le charme ou plutôt la maladie cessera.
La polémique assez convenue qui a précédé son discours au Congrès avait déjà attendri mes défenses immunitaires. Il est vrai que je n’ai pas de religion du régime et que peu me chaut que nous soyons encore dans la Ve République, dans la Ve bis ou dans la VIe moins le quart. Que les institutions, comme le droit d’ailleurs, s’adaptent aux changements des mœurs, je ne vois pas où est le problème. Que chaque président les tire là où le conduisent sa propre nature et les circonstances politiques, on se demande comment il pourrait en être autrement. Quant à la régression du Premier ministre au rang de Premier fonctionnaire du pays, ce qui n’est tout de même pas n’importe quel job, elle avait commencé depuis longtemps, à l’exception des périodes de cohabitation, et il n’y aura plus de cohabitation – à moins, évidemment, que nous devenions tous schizophrènes.
Il est indéniable, donc, que Nicolas Sarkozy change le régime. And so what ? En vrai, tout le monde s’en fout qu’on change de régime. La gauche, qui sait qu’elle ne va pas mobiliser les foules avec ça, a donc plus ou moins entonné l’air du bonapartisme, tout en jouant l’air habituel « chacun tire dans son coin ». Je ne sais pas si le terme « coup de force » a été prononcé mais je suis sûre que beaucoup l’avaient sur le bout de la langue. À l’aveugle, Edwy Plenel nous aurait parlé de « césarisme » que je n’en serais pas étonnée. C’est assez amusant. Pour une fois, au lieu d’aller à la télé, ce qu’il peut faire assez aisément et c’est normal, le président décide de s’adresser à la représentation nationale qui justement, se plaint depuis des années d’être déconsidérée et écartée du débat démocratique. On m’aurait demandé mon avis, j’aurais préféré qu’il restât écouter les réponses. Tant qu’à commettre une gravissime infraction à la séparation des pouvoirs (autre thème peu mobilisateur), autant être courtois. Mais enfin, que les Assemblées redeviennent l’un des théâtres de l’affrontement démocratique ne me déplairait pas. Encore faudrait-il que le pouvoir ait des adversaires en face de lui. Ceux qui nous répètent chaque jour que nos libertés sont menacées devraient peut-être s’interroger sur ce point.
Tout ça, dit-on enfin, exhale un petit fumet monarchique. Certes. La France a vécu mille ans en monarchie et un peu plus de deux siècles en république et on voudrait qu’elle n’ait rien conservé d’avant 1789 (pour ne pas parler des deux empires et des deux monarchies censitaires du XIXe siècle) ? Difficile de le nier, le château de Versailles évoque la monarchie. Serait-il prescrit quelque part que l’on doive oublier celle-ci ? Ce parfum de royauté ne me gêne pas, bien au contraire. Etait-ce l’effet de la fièvre ? Dans ce décor, j’ai trouvé que Nicolas Sarkozy habitait plutôt mieux la fonction qu’en bien d’autres occasions. Quelqu’un devrait le lui dire : un peu de solennité lui va pas mal au teint.
Là où j’ai vraiment commencé à m’inquiéter, c’est quand j’ai réalisé que son discours me plaisait. Manipulée par les communicants du président, avais-je perdu mon libre-arbitre ?
À peine sortis du château, les socialistes se sont rués sur les micros pour dire qu’il n’y avait rien de concret dedans. Je dois être vraiment atteinte parce que je n’ai pas trouvé. Je dirais plutôt que c’était du bon Guaino sur les principes, relu et corrigé par des praticiens de la chose économique et sociale. Il aurait été incongru, me semble-t-il, de déranger nos estimables représentants pour annoncer un catalogue de mesures. François Hollande a le droit de penser que les principes n’ont aucun intérêt. Je ne suis pas d’accord.
On me pardonnera d’étaler ainsi des symptômes gênants, mais j’ai choisi la transparence. Je me lance. À deux ou trois reprises, j’ai eu envie d’y croire. Ai-je entendu des voix ? Il m’a semblé que le président disait des choses que beaucoup de Français avaient besoin d’entendre. « Une France sans usines et sans ouvriers est une idée folle. » On aurait aimé entendre les responsables socialistes, lorsqu’ils étaient au pouvoir, défendre cette idée par le verbe et par les actes. Quant à l’idée d’un emprunt public pour financer les investissements, elle est au cœur du keynésianisme dont je croyais jusque-là qu’il était raccord avec la pensée économique du PS. J’ai dû me tromper. Et nos socialos de se désoler parce qu’un tel emprunt pèserait sur la dépense publique. S’ils ne comprennent pas que recourir à l’emprunt pour boucler ses fins de mois ou pour construire des infrastructures ne sont pas la même chose, qu’ils retournent à l’école.
Sur les détails, j’aurais bien deux ou trois objections à faire. D’abord, je ne suis pas sûre qu’il faille se priver de la possibilité d’augmenter les impôts, tout simplement parce qu’avec des dizaines de milliers de chômeurs et de précaires supplémentaires, il va bien falloir les boucler, les fins de mois. Et question redistribution, il faut bien admettre qu’il y a encore deux ou trois trucs qui coincent. D’autre part, je trouve un peu suspecte cette intention proclamée d’associer la France entière à l’élaboration des priorités. Je n’aime pas trop ce relent citoyen et participatif qui me rappelle quelqu’un mais je ne vois pas qui.
C’est quand Nicolas Sarkozy a abordé les questions qui fâchent que là, j’ai vraiment craqué. Il n’est pas si fréquent qu’un dirigeant revienne sur ses bourdes. Quand il a reconnu que la « discrimination positive » – qui était l’un de ses dadas – n’appartenait pas à la tradition française, j’étais collée au plafond. Et s’il avait récemment compris quelque chose à l’ADN de notre pays ? Quand il a ajouté que l’égalité des chances était un objectif avec lequel on ne peut pas transiger, je me suis mise à pleurer (non, j’exagère pour vous apitoyer sur mon état). Il a eu les mots qu’il fallait : oui, « il faut donner à ceux qui ont moins », mais rien sur des critères ethniques, tout sur des critères économiques et sociaux. À la française, quoi. Sauf moment d’inattention de ma part, il n’a pas prononcé le mot magique – « diversité ». Du coup, le CRAN qui a peut-être compris qu’il avait perdu une bataille a immédiatement réclamé la création d’un ministère de la Diversité.
Le plus fort de la crise (de la mienne, j’entends) a coïncidé avec le passage sur la burqa. C’est comme ça que je l’espérais, mon président. Sans faiblesse, sans ambiguïté : pas de ça, chez nous. « La burqa n’est pas un signe religieux mais une manifestation d’asservissement. » Voilà pour ceux qui nous expliquent qu’emprisonner sa femme ou s’auto-emprisonner relève du libre exercice de la foi.
Je crois bien qu’après toutes ces émotions, je me suis évanouie, peut-être au moment précis où le président disait « Vive la République ! » Je me demande maintenant si j’ai rêvé. J’ai comme une gueule de bois. Et s’il ne s’agissait que de paroles verbales ? Si ce discours de reconquête n’était que de la com’, comme l’expliqueront ceux de mes confrères qui n’auront pas trouvé horribles les intentions elles-mêmes? Et si pour les Français qui croient encore en la parole présidentielle, la déception était, une fois encore, au rendez-vous ?
Vous voyez, ça va beaucoup mieux.
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