La France abrite une diaspora algérienne de 2,6 millions de personnes au minimum, dont 846 000 immigrés stricto sensu (les plus nombreux parmi toutes les nationalités représentées). Cette immigration a explosé durant les Trente Glorieuses: le nombre d’Algériens présents sur le sol français a été multiplié par 33 entre 1946 et 1972. Au titre de l’accord bilatéral du 27 décembre 1968, les Algériens bénéficient d’un régime dérogatoire plus favorable à leur immigration en France. Exemple d’avantage: la délivrance d’une carte de séjour de 10 ans leur est facilitée dans de nombreux cas.
Lors de sa première visite officielle en Algérie après son élection, au mois de décembre 2017, le président de la République Emmanuel Macron fut interpellé dans les rues de la capitale par de jeunes Algériens lui demandant « des visas » pour la France[tooltips content= »https://atlasinfo.fr/macron-visa-reclament-des-jeunes-algeriens-au-president-francais_a87875.html »](1)[/tooltips]. Cette scène faisait écho à celles observées lors de la venue de Jacques Chirac en 2003, lorsque celui-ci fut accueilli par des foules enthousiastes lui réclamant ce même octroi[tooltips content= »https://www.ledevoir.com/monde/21600/chirac-des-visas »](2)[/tooltips].
Les Algériens bénéficient d’un régime dérogatoire favorable à leur immigration
Ces moments marquants témoignent de l’attirance que la perspective d’une émigration en France continue d’exercer sur les nouvelles générations de ce pays, enlisé dans ses problèmes économiques et politiques. Une telle aspiration est encouragée et facilitée par le régime dérogatoire favorable dont les Algériens disposent dans leurs démarches d’admission au séjour, au titre de l’Accord franco-algérien (AFA) du 27 décembre 1968.
Survivance de la décolonisation, ce droit spécial pose question, compte tenu de la distance historique qui nous sépare désormais des accords d’Evian ainsi que de l’importante population algérienne déjà installée au fil des décennies.
Un peu d’histoire…
Les considérations historiques souvent évoquées à l’appui de ce statut privilégié nécessitent un retour sur l’histoire de l’immigration algérienne en France.
La conquête de l’Algérie par la France est réalisée entre 1830 et 1847, mettant un terme à la domination ottomane sur cette partie de l’Afrique du Nord – qui n’a alors jamais été constituée en Etat souverain. Les premiers départs significatifs de ses habitants indigènes vers la métropole n’ont cependant lieu qu’en 1916 : 80 000 travailleurs algériens (sur 190 000 travailleurs coloniaux au total)[tooltips content= »Daniel LEFEUVRE, Pour en finir avec la repentance coloniale, Flammarion, 2006. Chapitre 9, p.144 « ](3)[/tooltips] rejoignent alors les usines et les champs d’une France dont la population active se trouve largement mobilisée sur le front de la Première Guerre mondiale. Cette main d’œuvre est quasi-intégralement rapatriée au terme du conflit[tooltips content= »Bertrand NOGARA et Lucien WEILL, in Jacques DUPAQUIER (dir.) Histoire de la population française. Tome III, Presses Universitaires de France, 1995. »](4)[/tooltips].
Les Algériens comptent peu dans la vague d’immigration que la France connaît dans l’entre-deux-guerres. En 1931, plus de 9 travailleurs immigrés sur 10 sont originaires de pays européens[tooltips content= »Daniel LEFEUVRE, op. cit. »](5)[/tooltips]. Les rares Algériens bénéficient néanmoins d’un statut avantageux lors de la crise économique des années 1930 : n’étant pas considérés comme « étrangers », ils ne sont pas concernés par les quotas restrictifs ni par les mesures d’expulsion qui touchent alors les extra-nationaux exerçant une profession dans les secteurs touchés par le chômage[tooltips content= »Décret du 6 février 1935 prévoyant l’expulsion des étrangers exerçant une profession dans un secteur touché par le chômage »](6)[/tooltips]. En 1946, les Algériens ne représentent encore que 3% de l’ensemble des populations immigrées en métropole[tooltips content= »Daniel LEFEUVRE, op. cit. Chapitre 10, p.154″](7)[/tooltips].
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Cette situation change radicalement au cours des Trente Glorieuses. Le nombre d’immigrés algériens est multiplié par 10 entre 1946 et 1954, passant de 22 000 à 210 000. Il double encore au cours de la Guerre d’Algérie, atteignant 436 000 en 1962[tooltips content= »Daniel LEFEUVRE, op. cit. »](8)[/tooltips].
Contrairement à certaines idées reçues, cet apport tient peu aux nécessités de la « reconstruction » du pays : les historiens s’accordent à considérer que celle-ci est achevée dès 1951, or l’ensemble des coloniaux (Algériens compris) représente à cette date moins de 1% de la population active[tooltips content= »Daniel LEFEUVRE, op. cit. Chapitre 10, p.155″](9)[/tooltips]. L’augmentation exponentielle de l’immigration algérienne s’explique par d’autres facteurs :
- La priorité volontariste accordée aux Algériens par le gouvernement français et répercutée par les grandes entreprises, avec pour objectif le maintien de l’Algérie dans la République face aux velléités indépendantistes ;
- Les besoins en main d’œuvre d’une économie en pleine expansion (jusqu’à 8% de croissance / an), particulièrement dans les secteurs industriels ;
- La crise économique et sociale qui frappe l’Algérie : tandis que la colonie connaît une explosion de sa population, sa production agricole stagne voire recule. On estime par exemple que « les transferts de salaires et d’allocations correspondantes représentent près de la moitié des moyens de vie » dans le département de Grande Kabylie en 1958[tooltips content= »Daniel LEFEUVRE, op. cit. Chapitre 11, p.173″](10)[/tooltips].
Durant cette même période, la guerre d’Algérie fait rage et se transpose parfois dans la diaspora algérienne en métropole, qu’il s’agisse des attentats contre des policiers à Paris ou bien des affrontements entre le FLN et ses rivaux indépendantistes du MNA[tooltips content= »Pour plus de détails : Gregor MATHIAS, La France ciblée : Terrorisme et contre-terrorisme pendant la guerre d’Algérie, Vendémiaire, 2017″](11)[/tooltips] – causant près de 4 000 morts en France. Le conflit se solde par la signature des accords d’Evian le 19 mars 1962.
Outre le cessez-le-feu et les modalités d’autodétermination (qui aboutiront à l’indépendance de l’Algérie le 5 juillet de cette même année), ces accords prévoient une liberté totale de circulation et d’installation des Algériens en France. Ils stipulent en effet que « sauf décision de justice, tout Algérien muni d’une carte d’identité est libre de circuler entre l’Algérie et la France » et que « les ressortissants algériens résidant en France, et notamment les travailleurs, auront les mêmes droits que les nationaux français, à l’exception des droits politiques »[tooltips content= »Accords d’Evian : « Déclaration des garanties » / Première partie : « Dispositions générales » / « 2° De la liberté de circuler entre l’Algérie et la France » »](12)[/tooltips]. Cette garantie est notamment conçue comme corollaire au maintien de droits équivalents pour les Français d’Algérie – lesquels seront pourtant contraints à l’exil par la violence dans les mois qui suivront.
Par ailleurs, certains Algériens nés avant 1962 et relevant du statut civil de droit commun (par opposition au statut local d’inspiration coranique) peuvent conserver la nationalité française[tooltips content= »Ordonnance du 21 juillet 1962, article 1er »](13)[/tooltips].
A partir de 1968, un « certificat de résidence » est réservé aux Algériens
Assez tôt, le gouvernement français cherche à ralentir et à organiser le courant d’immigration que l’indépendance n’a pas tari ; on compte 720 000 immigrés algériens en 1972[tooltips content= »Daniel LEFEUVRE, op. cit. Chapitre 11, p.180″](14)[/tooltips], soit 65% de plus qu’en 1962. Après plusieurs années de négociation, un accord est signé avec le gouvernement de l’Algérie le 27 décembre 1968, « relatif à la circulation, à l’emploi et au séjour des ressortissants algériens et de leurs familles ». Communément désigné comme « Accord franco-algérien » (AFA), celui-ci est modifié par trois avenants de 1985, 1994 et 2001 pour aboutir finalement à son état actuel[tooltips content= »Version en vigueur de l’Accord franco-algérien (AFA) : https://www.gisti.org/IMG/pdf/accord_franco-algerien.pdf »](15)[/tooltips].
Cet accord bilatéral régit de manière exclusive les conditions de séjour et de travail en France des immigrés algériens et de leurs familles ; le CESEDA (Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) ne leur est pas applicable[tooltips content= »Cf jurisprudence – Cour administrative d’appel de Lyon, arrêt n° 07LY01505 du 23 avril 2008 : https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000019080817/ »](16)[/tooltips]. L’AFA se concrétise notamment dans un titre de séjour spécial : le « certificat de résidence » réservé aux Algériens.
S’il met un terme au principe de libre-circulation, le régime de l’AFA recouvre trois grands types de spécificités plus favorables que le droit commun :
> L’admission des Algériens au séjour en France est facilitée
Cela vaut particulièrement au sujet des titres « Vie privée et familiale » : pour obtenir une première carte « conjoint de Français », les Algériens sont dispensés de la condition d’une vie commune en France avec leur époux / épouse depuis 6 mois au moins – contrairement aux exigences normales appliquées aux autres étrangers non-européens[tooltips content= »https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F1764″](17)[/tooltips].
> Les Algériens bénéficient de la liberté d’établissement pour exercer une activité de commerçant ou une profession indépendante
Pour obtenir un certificat de résidence « Commerçant », le ressortissant algérien doit simplement s’immatriculer au registre du commerce et des sociétés ou à la chambre des métiers (selon la nature de son activité) et présenter le justificatif à la préfecture[tooltips content= »AFA – Article 5″](18)[/tooltips]. En particulier, il bénéficie du droit que la viabilité économique de son projet ne soit pas évaluée – contrairement aux autres étrangers non-européens[tooltips content= »Article R313-16-1 du CESEDA : https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006070158/LEGISCTA000006147828/2016-11-01/#LEGISCTA000033332166″](19)[/tooltips]. Lors du renouvellement de ce certificat, le ressortissant algérien n’a pas à justifier de conditions de ressources[tooltips content= »Ainsi que le rappelle la circulaire ministérielle du 29 octobre 2007 : https://www.gisti.org/IMG/pdf/norimid0700008c.pdf »](20)[/tooltips] – tandis que pour les autres étrangers, le CESEDA prévoit l’obligation de vérifier que les ressources qu’ils en tirent « sont d’un niveau équivalent au salaire minimum de croissance correspondant à un emploi à temps plein »[tooltips content= »Article 313-36-1 du CESEDA : https://www.legifrance.gouv.fr/codes/id/LEGIARTI000033332554/2016-11-01″](21)[/tooltips].
> Les ressortissants algériens peuvent accéder plus rapidement que les ressortissants d’autres États à la délivrance d’un titre de séjour valable 10 ans
S’ils ne l’ont pas obtenu auparavant, les ressortissants algériens peuvent solliciter un certificat de résidence de 10 ans après 3 ans de séjour[tooltips content= »AFA – Article 7 bis »](22)[/tooltips], contre 5 ans dans le cadre du droit commun, sous condition de ressources suffisantes.
En ce qui concerne le regroupement familial, les membres de la famille d’un Algérien qui s’établissent en France sont mis en possession d’un certificat de résidence de même durée de validité que celui de la personne qu’ils rejoignent[tooltips content= »AFA – Article 4″](23)[/tooltips].
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Pour un conjoint algérien de Français, l’AFA ouvre le droit à la délivrance d’un certificat de résidence de 10 ans après un an de mariage[tooltips content= »AFA – Article 7 bis,alinéa a »](24)[/tooltips]. Pour le parent algérien d’un enfant de nationalité française, cette carte de 10 ans est disponible à l’échéance d’un premier certificat de résidence d’un an[tooltips content= »AFA – Article 7 bis, alinéa g »](25)[/tooltips].
Une telle disposition ouvre la porte à de nombreux abus – notamment des séparations rapides après l’obtention du certificat de résidence.
D’autres droits exorbitants sont également applicables
Les conditions de retrait éventuel d’une carte de 10 ans « conjoint de français » sont plus restreintes lorsqu’il s’agit d’un Algérien : ledit retrait par l’administration n’est envisageable qu’en cas de fraude avérée au mariage. Cette preuve est très exigeante : la préfecture doit établir avec certitude que le ressortissant algérien a contracté un mariage exclusivement dans le but d’obtenir un titre de séjour.
Une autre sorte de faveur porte sur le coût administratif de l’émission des certificats de résidence valables 10 ans : leur délivrance et leur renouvellement sont gratuits pour les Algériens, c’est-à-dire entièrement pris en charge par les contribuables français[tooltips content= »AFA – Articles 7 et 7 bis »](26)[/tooltips]. A l’inverse et dans la même situation, les étrangers issus d’autres pays non-européens doivent s’acquitter d’une somme de 225 € (droit de timbre de 25 € + taxe de 200 €)[tooltips content= »Ministère de l’Intérieur (consulté le 22/11/2020) : https://www.demarches.interieur.gouv.fr/particuliers/carte-resident-ans-etranger-france#:~:text=de%20maladie%20professionnelle-,Co%C3%BBt,de%20d%C3%A9p%C3%B4t%20de%20votre%20demande »](27)[/tooltips].
Nous verrons demain qu’il importe de dénoncer cet accord franco-algérien toujours en vigueur, et d’aligner son régime d’immigration sur le droit commun. En effet, l’ampleur majeure de l’immigration algérienne, ses difficultés d’intégration objectivables par des chiffres et le principe d’égalité devraient conduire à aligner le régime des Algériens sur le droit commun.
Cela fera l’objet de la seconde partie de cet article.
>>> Lire la seconde partie <<<
> Retrouvez l’intégralité des articles de l’Observatoire sur leur site http://observatoire-immigration.fr <
[1] https://atlasinfo.fr/macron-visa-reclament-des-jeunes-algeriens-au-president-francais_a87875.html
[2] https://www.ledevoir.com/monde/21600/chirac-des-visas
[3] Daniel LEFEUVRE, Pour en finir avec la repentance coloniale, Flammarion, 2006. Chapitre 9, p.144
[4] Bertrand NOGARA et Lucien WEILL, in Jacques DUPAQUIER (dir.) Histoire de la population française. Tome III, Presses Universitaires de France, 1995.
[5] Daniel LEFEUVRE, op. cit.
[6] Décret du 6 février 1935 prévoyant l’expulsion des étrangers exerçant une profession dans un secteur touché par le chômage
[7] Daniel LEFEUVRE, op. cit. Chapitre 10, p.154
[8] Daniel LEFEUVRE, op. cit.
[9] Daniel LEFEUVRE, op. cit. Chapitre 10, p.155
[10] Daniel LEFEUVRE, op. cit. Chapitre 11, p.173
[11] Pour plus de détails : Gregor MATHIAS, La France ciblée : Terrorisme et contre-terrorisme pendant la guerre d’Algérie, Vendémiaire, 2017
[12] Accords d’Evian : « Déclaration des garanties » / Première partie : « Dispositions générales » / « 2° De la liberté de circuler entre l’Algérie et la France »
[13] Ordonnance du 21 juillet 1962, article 1er
[14] Daniel LEFEUVRE, op. cit. Chapitre 11, p.180
[15] Version en vigueur de l’Accord franco-algérien (AFA) : https://www.gisti.org/IMG/pdf/accord_franco-algerien.pdf
[16] Cf jurisprudence – Cour administrative d’appel de Lyon, arrêt n° 07LY01505 du 23 avril 2008 : https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000019080817/
[17] https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F1764
[18] AFA – Article 5
[19] Article R313-16-1 du CESEDA : https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006070158/LEGISCTA000006147828/2016-11-01/#LEGISCTA000033332166
[20] Ainsi que le rappelle la circulaire ministérielle du 29 octobre 2007 : https://www.gisti.org/IMG/pdf/norimid0700008c.pdf
[21] Article 313-36-1 du CESEDA :
https://www.legifrance.gouv.fr/codes/id/LEGIARTI000033332554/2016-11-01/
[22] AFA – Article 7 bis
[23] AFA – Article 4
[24] AFA – Article 7 bis,alinéa a)
[25] AFA – Article 7 bis, alinéa g)
[26] AFA – Articles 7 et 7 bis
[27] Ministère de l’Intérieur (consulté le 22/11/2020) : https://www.demarches.interieur.gouv.fr/particuliers/carte-resident-ans-etranger-france#:~:text=de%20maladie%20professionnelle-,Co%C3%BBt,de%20d%C3%A9p%C3%B4t%20de%20votre%20demande
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