L’Éducation nationale n’est plus capable de certifier les compétences réelles des élèves. Les établissements de l’enseignement supérieur sont donc contraints de ruser avec Parcoursup, ce qui entraine des effets biaisés et souvent préjudiciables à certains étudiants.
Cette année encore, la plateforme Parcoursup, qui répartit les élèves bacheliers dans l’enseignement supérieur, a produit des résultats à la hauteur de ce qu’on pouvait en attendre. Causeur a publié hier la lettre du jeune Enguerrand Valmy, un excellent élève du lycée militaire de Saint-Cyr, premier de sa classe pendant trois ans, qui a vu tous ses vœux pour rentrer en classe préparatoire scientifique refusés. L’explication ? Selon toute probabilité, le problème est qu’il demandait à rentrer à l’internat (et on le comprend, vu l’intensité du travail nécessaire) ; mais n’étant pas boursier, son dossier n’était pas prioritaire. Donc au revoir la prépa.
Algorithmes opaques
Le cas particulier de ce garçon est très symptomatique des dysfonctionnements structurels de la plateforme Parcoursup, critiquée à raison depuis ses débuts en 2018. Entre critères de sélection absurdes, algorithmes opaques et absence totale de prise en compte des autres éléments que les notes, comme c’était pourtant l’objectif annoncé (via diverses « lettres de motivation » et « engagements citoyens » à mettre en avant), les ratés sont nombreux, et nourrissent un mécontentement général. On conviendra que ce n’est pas partout pour les mêmes raisons, cela dit. Peut-être le lecteur se souvient-il des grands blocages universitaires de 2018, qui critiquaient l’instauration d’une forme (timide) de sélection à l’université via Parcoursup dans le cas des filières surchargées, en remplacement de la méthode… du tirage au sort. Pour autant, si Parcoursup a éliminé cette anomalie délirante, d’autres n’ont pas manqué de surgir, car le principe même de la répartition des centaines de milliers de bacheliers dans l’enseignement supérieur via un tel mastodonte informatique pose des problèmes innombrables.
A lire aussi, Didier Desrimais: La fabrique des crétins continue de plus belle
« Parcoursup est un rouleau compresseur très inégalitaire », dénonce Sophie Audugé, déléguée générale de SOS Education, interrogée par Causeur. « Il y a plusieurs couches d’algorithmes, au niveau général d’abord, puis au niveau des établissements, qui choisissent leurs critères de sélection. Le problème, c’est que les lycéens ne connaissent pas ces critères, qui sont parfois extrêmement réducteurs ». Par exemple : une classe préparatoire littéraire, submergée par les milliers de demandes pour les 40 places qu’elle offre, estime ne pas pouvoir regarder tous les dossiers en détail. Pour réduire les chiffres, elle va alors demander au système de Parcoursup de procéder à un tri automatique des candidatures, et de n’examiner que les dossiers des élèves qui ont été premiers de leur classe en français au lycée. Et le dossier de tel élève brillant, qui aura été deuxième dans un lycée prestigieux, ne sera jamais examiné par des « vrais gens ». Autre critère absurde qui aurait été adopté ici et là : un tri par année de naissance, c’est-à-dire que les lycéens ayant sauté une classe se trouveraient avantagés, et ceux ayant redoublé défavorisés. Sans parler bien sûr des mesures prises pour « réduire les inégalités sociales » qui avantagent mathématiquement les boursiers ou les élèves issus de quartiers classés en « zone d’éducation prioritaire ».
Bonnes notes pour tout le monde !
Ces dysfonctionnements, déjà lourds, se sont encore aggravés au moment de la réforme du bac. Puisque le passage partiel au contrôle continu a entraîné une suite de conséquences logiques qui auraient dû être prévues par le gouvernement, mais qui ne l’ont manifestement pas été. La principale, c’est une inflation des notes s’ajoutant encore à celle des dernières décennies, rapprochant toujours plus les moyennes générales de 20. D’abord parce que les professeurs de lycée veulent être « gentils » avec leurs élèves, mais aussi parce qu’il est dans l’intérêt des établissements de surnoter : le classement des lycées s’effectue en effet selon le nombre de mentions très bien obtenues au bac… et comme le bac dépend du contrôle continu, il s’agit de gonfler les notes pour monter dans le classement. Une logique circulaire délirante qui conduit les lycées « historiques » de bon niveau, connus auparavant pour leur notation plus exigeante, à s’aligner pour que leurs lycéens n’aient pas deux points de moins au bac que les autres.
A lire aussi: Pap Ndiaye écrit aux enseignants… Et Brighelli écrit au ministre
Pour contourner cette logique dont les recruteurs ont bien conscience, ici et là on adopte le critère de la différence entre les notes du contrôle continu et celles de l’examen terminal : en cas de surperformance, qui aurait tendance à indiquer qu’on est issu d’un lycée exigeant, on a un bonus, et un malus en cas de sous-performance. Des mécanismes d’une complexité qui ne traduit qu’une seule chose : « L’Éducation nationale n’est plus capable de certifier les compétences des élèves, donc les recruteurs essaient de trouver d’autres moyens externes pour juger », explique Sophie Audugé.
Finalement, au contraire de l’idée qui était avancée avant la réforme du bac au contrôle continu – une évaluation plus proche des élèves, personnalisée, permettant d’éviter les accidents au jour de l’épreuve unique… le résultat est l’organisation d’une pression considérable sur les élèves de première et de terminale à chaque contrôle, que Parcoursup accentue puisqu’en tant que plateforme centralisée à l’échelle nationale, elle met en concurrence tous les lycéens de France entre eux. Ceux-ci n’ont qu’à cliquer pour proposer leur candidature « au cas où » à une formation à 600 km de chez eux dans laquelle ils n’iront jamais, mais qui doit tout de même traiter leur dossier parmi des milliers d’autres, et ils ne peuvent faire autrement pour cela qu’adopter des principes rigides d’examen informatisés.
Une année de plus d’approximations donc. Et ça n’est pas près de s’arranger.
La fabrique du crétin: Vers l'apocalypse scolaire (02)
Price: 18,00 €
26 used & new available from 8,92 €
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !