Par bonheur, le poète suscite toujours l’enthousiasme – mais ailleurs…
Le bicentenaire de la naissance de Flaubert a été fêté à grand bruit – et à juste titre. On ne saurait affirmer que celui de Baudelaire ait suscité le même intérêt. Ni la même ferveur. Pourtant, l’importance de l’un vaut bien celle de l’autre. Les Fleurs du mal ont eu, en leur temps, un retentissement comparable à celui de Madame Bovary. Le roman et le recueil de poèmes furent, l’un et l’autre, objets de scandale. On pourrait même s’étonner à bon droit que le romancier, pourtant fieffé conservateur, bénéficie, à notre époque de progrès aussi radieux qu’illimité, d’une telle aura. Réac, Baudelaire l’était aussi, sans doute, mais en politique seulement. Pour le reste, plutôt anarchiste, virant, au cours des ans, vers la droite. En avance sur son temps. Et même précurseur du nôtre. Qu’on en juge : une muse plutôt colorée, Jeanne Duval, histoire, sans doute, de clouer le bec aux zélotes de la suprématie du mâle blanc hétéro, raciste par définition. En outre, une chevelure qu’il teignait volontiers en vert, pour scandaliser le bourgeois. Voilà qui devrait faire exulter Madame Sandrine Rousseau et nos écolos de tout poil – l’expression est en situation… Bref, Baudelaire n’a pas, chez nous, la cote qu’il mérite. Heureusement, il y a Roberto Calasso. Disparu il y a peu, ce lettré italien, grand connaisseur de la littérature européenne et tout spécialement de Baudelaire, vient de consacrer à ce dernier un essai magistral. L’auteur du Spleen de Paris suscite chez lui un enthousiasme qu’il excelle à communiquer à ses lecteurs. D’entrée, le ton est donné. Entre Victor Hugo et Théophile Gautier, Baudelaire trouve sa juste place et l’originalité du poète, sa sensibilité, sa totale liberté, sa vision esthétique irréductible à toute autre sont évoquées au fil des pages et, mieux encore, démontrées avec un rare brio. Entre l’essayiste et son sujet, l’empathie se manifeste d’un bout à l’autre. Si bien que l’érudition et l’allégresse emportent sans coup férir une totale adhésion.
Ce qui est unique chez Baudelaire, de Roberto Calasso, traduit de l’italien par Donatien Grau. Les Belles Lettres/Musée d’Orsay, 112 p., 15 €
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