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Ce que les Palestiniens pensent d’Israël


Ce que les Palestiniens pensent d’Israël
Auteurs : Mahmoud Illean/AP/SIPA. Numéro de reportage : AP22459985_000004

Dans Israël sur sa terre. Ce qu’en disent les Palestiniens, Jacquot Grunewald nous donne rendez-vous l’an prochain à Jérusalem.


Imaginant une réponse à la Lettre à un ami juif d’Ibrahim Souss, Jacquot Grunewald éclaire un élément majeur du blocage du règlement du conflit israélo-arabe, à savoir le « narratif palestinien ». A partir du refus de la résolution de l’ONU de novembre 1947 par les pays arabes, s’est en effet construit un discours « qui dénie aux Juifs leurs droits sur leur terre et qui prétend nier leur passé à Jérusalem ainsi que leur identité ». Ce récit fantasmatique qui plonge ses racines dans une tradition musulmane antijuive ancestrale, « rythme toutes les négociations refusées ou inachevées » et est largement partagé désormais au-delà même du Moyen-Orient.

Imaginer une convivialité institutionnelle

Jacquot Grunewald va tenter de déconstruire ce narratif d’une part en rappelant à grands traits l’histoire millénaire des Juifs sur leur terre jusqu’à l’époque contemporaine, d’autre part, en analysant la vison que les Arabes ont des Juifs à partir de la domination musulmane sur le Yichouv (communauté juive demeurée et revenue en terre d’Israël), enfin en imaginant une forme de convivialité institutionnelle entre Juifs et Arabes par delà « la solution à deux Etats » qui semble dépassée aujourd’hui. Partisan à l’origine, de la création d’un Etat palestinien indépendant, Jacquot Grunewald développe ses arguments de façon à la fois dépassionnée et convaincante, ne contestant pas d’ailleurs, « que la présence israélienne en milieu palestinien a produit bien des souffrances, d’irréparables misères et dénis de justice (…) qui engagent la responsabilité citoyenne et biblique de chaque Israélien ».

Si Jacquot Grunewald affirme que ce coin de terre entre la Méditerranée et le Jourdain appartient aux Juifs, c’est parce qu’en droit foncier il leur est « aliéné » et que personne ne pouvait être autorisé à l’occuper. Mais sa perspective n’est pas religieuse pour autant : la Bible est certes la première référence du droit de propriété des juifs sur cette terre, elle en constitue le premier cadastre. Et un ouvrage tiré de la Bible qui pourrait s’intituler « Le Cadastris », réunirait « un choix de certificats d’Isaïe, d’Amos, de Michée, de Jérémie, d’Ezéchiel… ». Toutefois, ce document serait fondé en Histoire et non pas sur une « révélation » ou sur un texte « sacré » : « Dieu en fut-il l’inspirateur ? La question importe peu, dit Grunewald. Ce qui compte, c’est que ce sont des hommes, conducteurs d’Israël, des êtres de chair et de sang comme vous et moi, qui proclament dans cette charte que la terre d’Israël est inaliénable. Ni le monde chrétien pour laquelle la Bible hébraïque est… parole d’Evangile, ni le monde musulman selon qui les Juifs l’ont faussée (CQFD) ne pouvaient l’ignorer ».

Des persécutions à l’éternel retour

Certes, depuis Nabuchodonosor, puis les empereurs romains avant et après leur christianisation, Titus, Hadrien, Constantin, les Juifs n’ont cessé d’être chassés de leur terre et d’y être persécutés, pour ceux qui y étaient restés. Cela dura pendant les sept siècles chrétiens en « terre sainte ». Et cela continua, à partir de l’invasion musulmane en 640, des Omeyyades aux Fatimides en passant par les Abbassides jusqu’aux Turcs Seldjoukides. Mais les Juifs sont toujours revenus et ont perduré en Israël. On assista périodiquement à différentes aliaya et notamment celles du 17 au 19e siècle. « Qui dans le monde, pouvait ne pas entendre ce cri des Juifs entre deux pogroms: « L’an prochain à Jérusalem » ! La formule, qui exprimait l’infinie nostalgie de Sion, est relevée dès le XIe siècle en terre ashkénaze et sépharade pour, finalement, servir de credo au sionisme ».

Comment en effet prendre au sérieux l’affirmation selon laquelle Jérusalem n’a rien à voir avec les Juifs ? Pourtant, une résolution de l’Unesco adoptée en octobre 2016 le prétend ! C’est que le narratif palestinien s’est progressivement constitué comme un discours hégémonique, contre toute évidence et à certains égards, contre une tradition arabo-musulmane elle-même : « les musulmans ont envahi la Palestine au VIIe siècle (…) et pendant treize siècles, pas un seul n’a jamais songé à nommer Jérusalem capitale d’une quelconque territorialité arabe ». Au demeurant, les Arabes « ont-ils jamais donné aux Juifs le sentiment que leur place était parmi eux, citoyens égaux, au sein des États arabes ? Si le mot « pogrom » est d’origine russe, celui de « farhud » est arabe. Il désigne le massacre par les foules arabes de 175 Juifs, du millier de blessés, des femmes violées à Bagdad, pendant la Pentecôte juive en 1941 ».

Le fiasco d’Oslo

Ainsi, Grunewald rappelle « la constance du refus arabe ou musulman : 1937 (Commission Peel), 1947 (vote de l’ONU), 1967 (les trois « non » de Khartoum), 2000 (Ehoud Barak à Camp David), puis les « paramètres Clinton », ceux d’Ehoud Olmert en 2008, sans parler des propositions Kerry en 2014… » Et pour finir, le Plan de Donald Trump, rejeté avant toute discussion. Alors on est en droit de s’interroger comme le fait Jacquot Grunewald : « peut-on ne pas tenir compte de l’échec d’Oslo ? » Bien qu’en 1998, le Conseil National palestinien ait accepté d’abroger les articles de la charte palestinienne qui appelait à la destruction d’Israël, l’Intifada al-Aqsa remit tout en cause en 2000. Pourtant, les accords signés en 1998 prévoyaient l’abandon aux Palestiniens entre autres et pour un premier temps, de Bethléem, Jéricho, Sichem, de la bande de Gaza et de trois autres villes. Ces accords qui furent reformulés et précisés en 2000 à Taba par Ehoud Barak qui y avait ajouté la reconnaissance de Jérusalem comme double capitale, devaient conduire à la paix. Alors, avec raison, « Arié Shavit, éditorialiste écouté de Haaretz, qualifiait la seconde intifada de « révolution copernicienne ». Elle fit 453 victimes en Israël, sans compter les blessés et rendaient au narratif palestinien la couleur sang ».

Depuis lors, la « solution à deux États » est devenue chimérique. L’avancée désormais systématique des implantations juives en Judée-Samarie ne répond-elle pas à ce qui manifestement est une fin de non recevoir définitive de la part des Palestiniens ? Seule Israël est condamnée régulièrement à l’ONU, pourtant la partie arabe ne devrait-elle l’être aussi fréquemment pour les intifada, les « marches du retour », les roquettes et les mortiers ou même les ballons incendiaires envoyés depuis la Bande de Gaza ? Et l’Autorité palestinienne de Ramallah n’est pas en reste. Ainsi, en 2013, « le professeur Mohammed Dajani Daoudi, repenti du Fatah, descendant d’une prestigieuse famille palestinienne de Jérusalem, qui avait publié plusieurs articles prônant l’étude de la Shoah en milieu arabe, organisait, lui, le premier voyage d’étudiants palestiniens à Auschwitz », il fut traité de vendu et menacé de mort, puis contraint à la démission de son poste à l’université Al-Qods.

Penser l’impensable

Car « le comportement des populations musulmanes envers les Juifs de Palestine n’a pas été uniforme à travers les siècles. Lors du pogrom d’Hébron (en 1929) des Arabes ont porté secours aux blessés juifs ». Et on sait « depuis longtemps que les Arabes d’Israël ne souhaitent pas vivre dans un État palestinien. Les avantages sociaux en Israël d’une part, le régime institué par Mahmoud Abbas de l’autre, auraient pu suffire à l’expliquer. Mais là ne s’arrête pas leurs sentiments. Parmi les Arabes qui ont voté pour la première Liste arabe unifiée aux législatives de mars 2015, 65% se déclaraient fiers d’être Israéliens ». Aujourd’hui, soixante-dix ans après la création du petit État d’Israël, alors que les Juifs d’Europe avaient failli être totalement exterminés et que Ben Gourion avait accepté de partager la terre pour que s’y fonde un État arabe aux côtés de l’État juif, les options du passé sont caduques. Jacquot Grunewald nous invite à nouveau à « penser l’impensable ». Sans intermédiaire, « des femmes et des hommes d’Israël et des femmes et des hommes de la Oumma arabe » collaborant comme ils l’ont fait dans une salle d’hôpital en Israël, soignant des centaines de Palestiniens blessés et malades amenés de la Bande de Gaza. « Les Arabes d’Israël (20% de la population) ne pourraient-ils être les catalyseurs d’un début de symbiose judéo-palestinienne ? ». Pour esquisser une sorte de confédération de territoires autodéterminés, collectivités territoriales cantons, où « un scrutin permettrait à chacun de décider de sa nationalité ».

Jacquot Grunewald n’en dit pas plus. Mais tous ceux qui comme lui, ont sincèrement défendu la création d’un État palestinien vivant en paix à côté de l’État d’Israël, sentent bien qu’il leur faut renoncer à cet espoir dépassé. Comme les bâtisseurs d’Israël ont hier réalisé l’impensable, il nous faut imaginer un nouvel impensable pour que celui-ci devienne à son tour réalité demain sur la terre d’Israël. Ce livre de Jacquot Grunewald y apporte sa pierre.

Jacquot Grunewald, Israël sur sa terre. Ce qu’en disent les Palestiniens. (Ed. Tsipa Laor, 2020)

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Philosophe et politologue. Présidente du CECIEC. Membre de Dhimmi Watch et de l’Observatoire des idéologies identitaires. Dernier ouvrage paru : "Cinquante nuances de dictature. Tentations et emprises autoritaires en France et ailleurs". Éditions de l’Aube 2023

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