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Ce n’est qu’un début !, la bêtise continue


Ce n’est qu’un début !, la bêtise continue
photo : clemmm9
photo : clemmm9

Du café aux séances de thérapie en passant par les brochures corporate des entreprises, la philo est partout et n’importe où et surtout accessible à n’importe qui. Comme pour les romans de gare, on la vend avec le slogan promotionnel « La philosophie de 7 à 77 ans ». Dernièrement le record a été battu. L’âge de raison est rabaissé à trois ans. A peine sortis du biberon et des couches, le pouce encore à la bouche et le nez qui coule, les nouveaux philosophes en herbe, doudou à la main, balbutient quelques mots hautement philosophiques devant une institutrice qui se pâme, toute émerveillée et fière de sa marmaille éclairée.

Trois ans, l’âge idéal pour philosopher…

Eh oui, la philosophie a migré du bistrot au bac à sable. Et tout le monde s’en réjouit. Il n’est jamais trop tôt pour apprendre à penser, proclame-t-on. Alors, pourquoi ne pas commencer au berceau, en diffusant dans les oreilles du nourrisson non pas la douce musique d’une berceuse mais des passages de la Critique de la raison pure ? Au moins avec un tel embrigadement philosophique, il serait prêt pour le bac.

Bon trêve de plaisanterie. Pendant deux ans, Jean-Pierre Pozzi et Pierre Barougier ont filmé l’atelier philo d’une école maternelle de Seine et Marne afin d’observer « l’évolution » de ces bambins de trois à quatre ans. Ce n’est qu’un début ! est sorti sur les écrans au moment où Luc Châtel annonçait que, dès la rentrée prochaine, la philosophie serait enseignée à partir de la seconde. S’il y a débat pour savoir si l’adolescent de 15 ans est assez mature pour aborder la pensée philosophique, la question ne se pose pas pour les maternelles de cette ZEP, tout simplement parce que trois ans serait l’âge idéal pour philosopher !
Il faut dire qu’apprendre à compter, à lire et à écrire correctement est sans doute devenu superflu à une époque où beaucoup d’enfants arrivent en 6ième avec des lacunes bien installées. Autour de leur maîtresse, ces bambins apprennent à penser non pas à partir des Contes de Charles Perrault, des Frères Grimm ou encore des Fables de la Fontaine, textes pourtant si féconds mais, comme les illustres interlocuteurs de Socrate avant eux, en abordant des concepts aussi complexes et abstraits que la mort, l’amour, le pouvoir, la liberté…tout en braillant, à tout bout de champ, comme pour bien s’assurer que c’est bien de cela qu’il s’agit, qu’ils font de la philosophie.

Bambins réacs…

La maternelle devient donc le nouveau salon de réflexion où les petits disciples accouchent de leurs jeunes esprits innocents et dévoilent des vérités aussi profondes que « Quand on est amoureux, ça fait des guillis dans le ventre » ou encore « L’âme est un truc invisible qui est bleu ». Devant ces remarques qui témoignent d’une pensée en mouvement digne des plus brillantes réflexions socratiques, les voix de nos Précieuses Ridicules s’élèvent et s’exclament enchantées ils « … savent tout sans avoir jamais rien appris[1. Réplique de Mascarille à la scène 9 des Précieuses Ridicules].»
Formidable ! Platon, Descartes, Pascal, Kant, Hegel et les autres n’ont qu’à aller se rhabiller. L’enfant innocent, pas encore perverti par les préjugés culturels et sociaux, à l’esprit pur et au regard neuf, leur tire la langue parce que, lui, sait spontanément ce que, eux, ont mis des années à penser ! Il n’a que faire de leurs systèmes d’explication du monde. Lui, il s’étonne devant le monde, il s’émerveille devant sa nouveauté et le questionne.

Pourtant, à aucun moment du reportage, cette marmaille philosophante ne pose des questions. C’est le constat de ce que chacun vit au quotidien dans son environnement naturel qui domine plutôt qu’une série d’interrogations sur le monde. Instinctivement, les enfants évoquent le vert paradis de leurs amours enfantines, les disputes de couple de leurs parents, les clochards qu’ils voient dans la rue, leurs préférences de couleur de peau et leurs états d’âme qu’ils subissent passivement. Où est donc l’étonnement philosophique là-dedans ?
Il ne faut pas compter sur l’institutrice, titulaire d’un diplôme en arts plastiques et non en philosophie, pour le susciter. Jamais cette pseudo-dialecticienne maternante ne pousse ces petits disciples dans leurs contradictions.
Quelle horreur, face au vertige du questionnement, les enfants finiraient par pleurer ! Alors elle les laisse dire des absurdités comme « La liberté c’est faire ce qu’on veut », parce que ce qui importe, au final, c’est qu’ils baragouinent entre eux et de faire passer ça pour de la réflexion. Alors bienvenue à la philo infantilisée !
En tout cas, quitte à décevoir les apôtres du progressisme bienfaisant et les idolâtres rousseauistes de l’innocence éclairée, les prises de paroles des bambins révèlent bien une seule chose : l’existence d’une pensée réac et conservatrice hors pair ! Dans cette bouillie sentimentaliste ressort leur désir de trouver l’ordre symbolique de la séparation entre les sexes et les âges et la structure rassurante et traditionnelle du modèle familial. Eh oui !
Preuve que c’est davantage de l’autorité et de la transmission d’un savoir qu’un enfant de trois ans a besoin que d’un cours de philo qui, en plus, est tout sauf de la philosophie.



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