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Ce n’est pas Stephen King ou Raymond Carver, c’est Stephen King ET Raymond Carver

Stephen King est un écrivain qui lit, et c'est assez rare !


Ce n’est pas Stephen King ou Raymond Carver, c’est Stephen King ET Raymond Carver
Stephen King, le 08/06/2007 / PHOTO: Dominic Chan/NEWSCOM/SIPA / SIPAUSA31015543_000017

Si l’on en croit les éditeurs de polar ou d’imaginaire, un auteur devrait se méfier comme de la peste des références littéraires et politiques car le grand public n’aime pas ça. Loin de ce mépris de classe, Stephen King a fait tout le contraire, et encore plus dans son dernier roman, Billy Summers (Albin Michel). On ne peut pas dire que ça ne lui réussit pas…


Ce que j’aime beaucoup chez Stephen King, parmi tant d’autres choses, c’est que c’est un écrivain qui lit. Il est rare, dans un de ses romans, qu’il n’y ait pas un personnage qui se goinfre de romans, de nouvelles, ou même de poésie, et parfois assez pointue. La bibliothèque, en général dans la petite ville vue comme une utopie communautaire, est le lieu d’apprentissage par excellence, avec des mages intercesseurs, les bibliothécaires, qui ont en charge la transmission, valeur éminemment kingienne.

Beaucoup d’éditeurs, dans la littérature de genre, notamment, vous déconseillent formellement de parler de littérature, voire de faire d’un écrivain un personnage. Parce que la manière dont ils se représentent le lecteur d’une littérature du genre bankable, c’est quelqu’un qui ne veut pas se prendre la tête.

On lui conseille aussi d’ailleurs, à l’écrivain, de ne pas parler non plus de politique, par exemple. Politique et littérature, voilà des repoussoirs qui vous empêchent d’atteindre des centaines de milliers de lecteurs parce que vous êtes un salopard d’élitiste qui va empêcher de vendre des palettes.

C’est amusant, parce qu’il s’y a mépris de classe, c’est bien chez les éditeurs en question et les écrivains qui se soumettent à ce diktat: ça donne en France des livres assez étranges, et faux-culs, où le sujet est éminemment politique mais est traité façon Candice Renoir, c’est à dire de manière assez infantile. Ca n’empêche pas de faire de grosses ventes, mais ça n’a aucun goût, voire pour les meilleurs la saveur malsaine et désagréablement addictive de la junk food et des aliments ultra-transformés.

A lire aussi: L’espion qui aimait les livres, de John Le Carré: le chant du cygne de l’espionnage

Stephen King, lui, a toujours fait le contraire. Il est de plus en plus politique (mise en cause assez maligne du trumpisme sur son propre terrain) mais surtout il a utilisé des écrivains comme personnages principaux dans la moitié de ses romans, au moins (Misery, La part des Ténèbres) et comme personnages secondaires dans la moitié des autres.

Et son dernier, Billy Summers, un très grand cru, est carrément un roman noir de stricte observance qui est aussi une réflexion sur les pouvoirs du roman, sur les limites de l’autofiction, sur le rapport de la réalité et du réalisme, tout ça en vous faisant vibrer grâce à un suspense autour de la dernière mission d’un tueur et d’une chasse à l’homme, avant d’avoir les yeux mouillés tant l’histoire d’amour est poignante.

Bref, après Billy Summers, pour me sevrer en douceur, je lis les nouvelles du Bazar des mauvais rêves et dès la seconde nouvelle, – King dit pour chacune un petit mot introducteur – il raconte sa découverte de Carver. Ray Carver. Je ne vais pas prendre de comparaisons contemporaines, j’ai passé l’âge de me fâcher mais disons, dans les années 70, c’est comme si vous aviez appris que Gérard de Villiers lisait André Hardellet et que sur cinq pages de Mourir pour Zanzibar, les scènes de sexe étaient un démarquage de Lourdes, lentes.

Et pourtant, voilà ce que je lis sous la plume de King: «Car bien que je sois un lecteur omnivore, j’étais par je ne sais quel mystère passé à côté de Carver. Une grande lacune pour un écrivain entré sur la scène littéraire approximativement au même moment que Carver. Quoi qu’il en soit, je fus époustouflé par la clarté du style de Carver et par la magnifique tension de sa prose».

Bref, King est ce contre-exemple magnifique à l’alternative artificielle, notamment dans la littérature de genre, entre efficacité narrative et références littéraires. Au contraire même, puisque dans Billy Summers, l’une se nourrit des autres et réciproquement, entre gigantesques tirages et oeuvre nobélisable.

Et c’est ainsi que Stephen King, non seulement est un bon camarade et un vrai passeur mais en plus est un grand, un très grand écrivain.

Billy Summers, de Stephen King, éd. Albin Michel, 560 pages, 24,90€

Billy Summers (Version française)

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Le Bazar des mauvais rêves

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Misery

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