Comme aux pires moments de la crise financière, une grande partie de la zone euro est balayée par des ouragans. Pourtant, l’Allemagne est à peine effleurée par ces intempéries et reste sereine au milieu des tempêtes.
En France, tout le monde parle de « séisme » après le scrutin européen qui a vu le Front national arriver en tête de tous les partis. Et Marine Le Pen s’est adressée au pays comme si elle avait déjà été élue présidente de la République. En Grande-Bretagne, pour la première fois depuis cent ans, un tiers parti, l’UKIP de Nigel Farage, gagne une élection devant les travaillistes et les conservateurs. En conséquence, la tenue d’un référendum sur l’appartenance du Royaume-Uni à l’UE, d’ailleurs promis par David Cameron, devient incontournable, avec comme issue prévisible un retrait de l’Union européenne.
Et l’Allemagne, dans tout cela ? [access capability= »lire_inedits »] Certes, la CDU de la chancelière Angela Merkel essuie quelques pertes minimes − d’ailleurs principalement subies par son aile bavaroise, la CSU, qui avait donné une tonalité eurosceptique à sa campagne − mais reste, et de loin, la première formation politique du pays. Le SPD a certes grappillé quelques points, mais il faut avoir la foi sociale-démocrate bien ancrée pour fêter un score de 27% après deux défaites consécutives aux législatives. Il est vrai qu’un nouveau parti eurocritique, Alternative für Deustchland (AfD), que l’on ne peut pas classer à l’extrême droite, obtient 7% des voix, et enverra une poignée de députés à Strasbourg. Mais peut-on considérer ce score comme un succès dans un pays où la controverse sur les garanties financières accordées aux pays en crise a fait rage des mois durant, remontant jusqu’à la Cour suprême ? Les partisans de l’AfD et les nombreux économistes qui, depuis des années, mènent une croisade contre le sauvetage de l’euro avec l’argent du contribuable allemand espéraient un score meilleur, au moins 10%…
Les Allemands, qui avaient accueilli l’euro de mauvais gré, ont fini par s’en accommoder, sans toutefois éprouver pour cette monnaie l’amour qu’ils portaient jadis au deutschemark. Ils n’ont donc pas voulu courir le risque de confier une parcelle de pouvoir, à Berlin, à un parti qui n’a pas fait ses preuves. Les électeurs ont préféré s’en tenir à du solide : ils sont visiblement satisfaits de la manière dont Angela Merkel gouverne le pays depuis 2005, tantôt avec les sociaux-démocrates, tantôt avec les libéraux.
Cela vaut tout autant pour la politique européenne que pour la politique intérieure. On doit à la vérité de constater que, sur l’Europe, il n’y a aucune divergence fondamentale entre la CDU, le SPD, les libéraux du FDP et même les Verts. On ne peut parler que de nuances, et encore celles-ci ne s’expriment que lorsque ces partis sont dans l’opposition. Par exemple, lorsqu’il ne participait pas au gouvernement, le SPD défendait une politique de relance économique à l’échelle européenne. On l’a même entendu, une ou deux fois, prononcer le mot tabou « eurobonds », synonyme de prêts communautaires aux pays en difficulté de la zone euro. Une fois arrivé au pouvoir, il a vite été persuadé par Mme Merkel de se conformer à la ligne rigide suivie sur ce point par Berlin, ligne d’ailleurs définie dès le début de la crise, en 2008, par le ministre social-démocrate des Finances Peer Steinbrück.
En matière budgétaire, le SPD a vite abandonné l’idée de combler le déficit par des hausses d’impôts. De plus, les sociaux-démocrates n’ont pas le moindre doute sur les potions que les pays européens, dont la France, devraient ingurgiter pour soigner leurs maux. Pour eux, l’ordonnance du bon Dr Gerhard Schröder est la seule qui vaille pour retrouver la croissance et faire reculer le chômage : dérégulation du marché du travail, coupes drastiques dans les budgets sociaux, réforme des retraites etc… Pour préserver la paix du ménage gouvernemental, Mme Merkel est cependant prête à faire quelques concessions aux socialos sur les retraites et le salaire minimum. Comment l’électeur allemand pourrait-il alors être mécontent de cette politique ? Le pays va bien, mieux en tous cas que presque tous ses voisins. Les Allemands observent avec une moue dubitative les résistances auxquelles se heurtent les gouvernements français, de droite comme de gauche, pour engager les réformes exigées par la situation : on ne répond pas aux problèmes du jour avec les recettes de la veille. Ici, personne ne croit que l’on peut sortir de la mondialisation comme on sauterait d’un train qui irait dans la mauvaise direction. Les résultats du commerce extérieur de l’Allemagne démontrent que ses entreprises peuvent s’adapter à un contexte de concurrence acharnée. On peut se plaindre de la casse qu’elle provoque parfois, mais il vaut mieux considérer ces difficultés comme une incitation à devenir meilleurs. On risque alors une seule chose : réussir. [/access]
Photo: Reynaldo Paganelli/SIPA/00671798_000028
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