Le bourgeois pédagogue, le terme a été inventé par Erik Satie, peut être de gauche ou de droite. Le bourgeois pédagogue a des prétentions matérielles et une avidité que ses ancêtres avaient déjà rajoutent des vanités sociales et intellectuelles. Il croit dur comme fer, est convaincu, que son argent, ses réseaux et les privilèges dont il dispose l’autorisent à poser au guide du peuple, de ces ploucs beaucoup moins intelligents que lui, n’ayant même pas lu les auteurs qu’il faut lire et placer sur sa table basse. Il ne va même pas en salle de sport pour s’entretenir, ne joue pas au squash, ne fait pas de bicyclette « citoyenne » l’inconscient.
Moraline citoyenne
Des ingrats se fichent complètement de ses leçons de morale. Certains osent même se mettre en colère contre ce qui est ressenti par eux comme un arbitraire insupportable. Des enfants gâtés, puisque l’on vous le dit, moquant cruellement la dernière lubie du bourgeois pédagogue, la Cause animale, entre deux léchages de cul et cirages de bottes, son occupation favorite. Maintenir une position ça demande beaucoup d’obséquiosité, un effort nécessaire et indispensable si l’on veut réussir.
Le bourgeois pédagogue est concerné, lui. Il est sans cesse citoyen, lui, soucieux de civisme, il montre l’exemple, lui. Et puis sur Facebook il aime bien les vidéos de petits chatons, si mignons, craquants, et partager aussi celles de L214 montrant que tuer les animaux que l’on mange ce n’est vraiment pas gentil pour les bêtes, pas du tout gentil, la mort ça tue découvre-t-il.
Il continue finalement à moraliser les « classes dangereuses » comme ses semblables au XIXème siècle, comme ces dames des ligues puritaines de vertu et de décence. Il a obtenu l’interdiction du tabac dans tous les lieux publics et en particulier dans les cafés et bistroquets fréquentés par les plus précaires. Le chômeur, le type au RSA, l’ouvrier gagnant mal sa vie, n’a même plus le loisir de se griller une clope avant d’aller travailler, il paie faut-il le dire le paquet de « cibiches » de plus en plus cher. Il ne peut plus non plus boire un peu de vin ou de la bière sans subir le même style de refrain lénifiant et culpabilisant.
Pleurer sur la génisse
L’alcool ce n’est bien qu’avec modération, le tabac c’est mâââl sans parler du sexe qui est un risque puisqu’il impose de se « protéger ». Dorénavant, il n’a plus le droit de manger de la viande sans examen de conscience sur la souffrance des pauvres bêtes abattues pour satisfaire son envie d’une bonne entrecôte ou d’une côtelette de veau voire d’un pied de porc ou un bon gigot. Non, il doit pleurer sur le regard tendre et profond du pauvre petit agneau, se lamenter sur les cris déchirants du cochon qu’on égorge, verser des larmes sur la génisse dont il dégustait avant de temps en temps un petit steak. Il est même encouragé à se soumettre enfin à un régime végétarien ou végétalien strict, ce n’est quand même pas bien compliqué.
Le bourgeois pédagogue est bon, il dispense ses conseils aux petites gens avec une telle générosité ! Pour un peu, il partagerait même ses revenus avec les pauvres. Enfin s’il est certain que ceux-ci utilisent à bon escient son argent. Ce n’est donc pas demain la veille.
Le plouc mange de la semelle
Et puis il faut bien dire que depuis quelques années, le plouc n’en mange plus beaucoup de la bonne viande. Il ne peut plus consommer que la semelle sous cellophane vendue en supermarché, dont on ne sait plus trop la provenance grâce aux bienfaits de l’Union Européenne. La paupérisation qu’il subit lui interdit d’être trop exigeant, il ne peut plus se permettre qu’un petit rôti ou un poulet grillé les jours fastes. La viande d’animaux élevés comme il convient est réservé aux plus riches, on la vend bien souvent telle un bijou dans son écrin, ceci afin de flatter la vanité de ceux ayant encore les moyens d’en profiter.
Salauds de pauvres va ! Non seulement ils sont ingrats mais ils veulent aussi de la viande comme leurs guides naturels.
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