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Cathos de gauche, le divorce


Cathos de gauche, le divorce
Contre-manif pour tous, Lyon. Sipa. Numéro de reportage : 00776842_000004.
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Contre-manif pour tous, Lyon. Sipa. Numéro de reportage : 00776842_000004.

Dans un article récent, le politiste Gaël Brustier prend prétexte de la récente Manif pour tous, pour décrire l’évolution du rapport des forces politiques au sein du catholicisme Français. Il écrit : «L’équilibre des forces internes au monde catholique a considérablement changé en quelques années. Le quinquennat de François Hollande a bouleversé des équilibres anciens. L’organisation du pôle le plus conservateur du «peuple de Dieu» et l’affaissement des piliers traditionnels du catholicisme de gauche n’y sont pas étrangers. Le «mariage pour tous» a été un révélateur et un détonateur d’évolutions profondes. Le nombre de catholiques électoralement fidèles à la gauche a significativement baissé. Compte tenu des taux de participations élevés en leur sein, on peut supposer qu’une part non négligeable d’électeurs hier alignés sur la gauche sont tout simplement passés à droite. Aux élections européennes de 2014, la proportion d’électeurs catholiques de gauche a régressé à environ 16%, un score historiquement bas. Rappelons qu’en 1981, 35% des catholiques avaient voté pour François Mitterrand…»

L’analyse n’est pas fausse. Mais elle soulève au moins deux questions auxquelles Brustier ne répond pas : pourquoi en est-on arrivé là et cesse-t-on d’être de gauche lorsqu’on ne vote plus à gauche ?

Une nouvelle génération de jeunes intellectuels

On connaît sa thèse, superbement développée dans son livre Le Mai 68 conservateur. C’est «la jonction des communautés nouvelles avec la mouvance traditionaliste» qui a créé le terreau nourricier de La Manif pour tous. Une idée qu’il explicite dans un autre article  avec cette formule : «L’esprit « tradismatique » naît ainsi progressivement et précède l’enclenchement de la Manif pour tous.» Ce qui lui permet de décrire, longuement ce que le titre de l’article appelle Le réveil des tradis, avec «le retour en force des catholiques dans le débat public» Pour lui, cette tendance trouve son illustration dans la montée en puissance d’une nouvelle génération de jeunes intellectuels qui s‘expriment notamment dans la revue Limite. 

Fort bien, sauf que cela ne nous dit pas pourquoi les «cathos de gauche» auraient fondu comme neige au soleil. S’ils ont massivement refusé leurs voix au PS lors des dernières élections, ce n’est pas parce que de jeunes intellectuels catholiques battent le pavé médiatique. C’est parce que la gauche les a déçus, et notamment, pour certains d’entre eux, par son passage en force sur la loi Taubira.
Dans son livre de 2014, Gaël Brustier analysait d’ailleurs parfaitement ce qui s’était passé.  Après avoir souligné que c’est le basculement à gauche d’une partie des catholiques «sociaux» des départements de l’Ouest, exaspérés par Nicolas Sarkozy, qui avait permis l’élection de François Hollande en 2012, il observait : «Ni à l’Elysée, ni à l’hôtel Matignon, ni même au ministère de l’Intérieur, il ne s’est trouvé un conseiller suffisamment au fait des rapports de forces internes au monde catholique et des plaques tectoniques de la société française, pour anticiper un tant soit peu le risque politique encouru. Le comble aura été de voir le Président de la République évoquer une supposée clause de conscience des maires pour se dédire dans la foulée et, finalement, faire l’impasse sur le dialogue que sa fonction et sa position lui réclamaient de conduire avec les catholiques d’ouverture.»

La loi Taubira : «Une erreur électorale énorme» (Hervé le Bras)

Déjà, le 28 avril 2013, soit cinq jours seulement après l’adoption de la loi Taubira, le démographe Hervé le Bras écrivait dans Rue89 : « Si le PS avait bien analysé sa progression en 2012, comme nous l’avons fait dans notre livre, il aurait vu qu’elle est due à une maladresse de la droite, qui s’est déportée trop à droite. L’UMP a oublié la composante démocrate-chrétienne de son électorat. Or celle-ci n’a pas adhéré aux positions xénophobes de Nicolas Sarkozy. Les gains de Hollande ont été faits sur ce centre-droit, lié à une tradition catholique. C’est ce qui ressort clairement de la carte électorale. Avec le « mariage pour tous », le PS vient à mon avis de s’aliéner ce qui a été à la base de son succès lors des dernières élections. C’est une erreur électorale énorme.»  Et il concluait : « Il y a un moment où les politiques ne peuvent plus se cantonner à des réformes sur les mœurs. Il faut aussi s’intéresser à l’économie. Et c’est ce virage que les socialistes ont raté.» 

Adopter un enfant mis au monde «pour» être adopté… 

D’où ma deuxième question : faut-il voter à gauche pour être de gauche ? Finissons-en avec cette question de la loi Taubira. Oui, il y a de nombreux chrétiens de gauche qui étaient favorables à cette loi. Mais il y en avait aussi – j’en suis – qui, tout en s’accordant sur une conjugalité homosexuelle qui ne leur pose aucun problème, se sont opposés à la loi pour sa dimension d’ouverture à la filiation. Au risque de bégayer je redis ici : que le mariage ouvre légalement à la filiation ; que toute filiation naturelle étant interdite aux couples de même sexe pour des raisons évidentes, ce désir de filiation suppose l’adoption ; et que dans un pays où il n’y a plus d’enfants à adopter  ce désir ne pourra à terme se satisfaire que par le recours à la PMA et à la GPA.

Or, il existe une différence entre : adopter l’enfant de son conjoint, né d’une précédente union hétérosexuelle, adopter un enfant dont les parents biologiques ne peuvent assumer la charge… ou adopter un enfant – je pourrais presque écrire : un orphelin – volontairement conçu et mis au monde «pour» être adopté. Je crois, là encore, exprimer l’opinion commune, y compris parmi des «gens de gauche» en disant que, dans l’adoption, le droit de l’enfant à trouver des parents adoptifs prime sur le droit des adultes à obtenir, par tous les moyens qu’offre la science, un enfant à adopter. Et qu’il y a là le risque évident d’une dérive marchande du vivant dont on est étonné qu’elle ne gêne pas davantage les contempteurs du libéralisme économique.

L’écologie n’est-elle pas conservatrice par nature ?

Gaël Brustier situe «L’écologie humaine (comme) élément central du conservatisme nouveau» qu’il pointe du doigt, notamment dans la revue Limite. Si l’on comprend bien l’écologie serait de gauche – donc émancipatrice ? – lorsqu’elle s’affiche libertaire, mais deviendrait conservatrice lorsqu’elle est simplement écologique. Si l’écologie n’est pas un combat pour la conservation de la planète et de l’environnement donc également de l’humain, de quoi parle-t-on au juste ? Que cela plaise ou non, il existe une gauche écologique conservatrice. Je revendique cette appartenance ! Et j’affirme que nombre de catholiques se retrouvent aujourd’hui dans cette sensibilité sans avoir le sentiment de trahir leurs valeurs. Pour qui voteront-ils en 2017 ? Là est bien la question. Mais si par hasard, au vu de la personnalité des candidats, ils ne votaient pas à gauche, cesseraient-il d’être de gauche ?

On pourrait poursuivre sur l’idée, à la mode et non dépourvue de fondement, d’un dépassement du clivage droite-gauche. Sauf que ceux qui, dans le monde catholique, la développent avec le plus de gourmandise en tirent généralement prétexte pour nous expliquer qu’il n’y aurait plus d’intellectuels catholiques que de droite. CQFD ! Et que nous autres, malheureux soixante-huitards conciliaires attardés serions désormais sans descendance. D’où notre aigreur bien compréhensible ! Pardon pour ce qui ne veut pas être une récupération grand-paternaliste, mais les jeunes chrétiens de Coexister, ils ne sont pas dans cette filiation ?

L’imposture d’un catholicisme décomplexé

En fait, l’idée selon laquelle les cathos de gauche auraient disparu – mais la gauche elle-même n’a-t-elle pas disparu ? – tient pour une large à l’imposture idéologique d’un catholicisme prétendument décomplexé.  On n’existerait qu’à la condition de porter, toujours et partout, sa foi en bandouilière. C’est en tout cas ce que nous prêchent avec constance et délectation quelques évêques et abbés ensoutanés des beaux quartiers. Sauf que l’enfouissement qui a marqué toute une génération de «cathos de gauche» et que continue de vivre tranquillement une partie de la jeunesse catholique, ne procède pas d’un complexe mais d’une conviction.

Retrouvez cet article sur le blog de René Poujol. 

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