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Les cathos de gauche ont déserté la politique


Les cathos de gauche ont déserté la politique

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Où trouve-t-on encore des « cathos de gauche » aujourd’hui ?

Ils ne se revendiquent plus, en tout cas ouvertement, « cathos de gauche », mais après tout c’est ce que certains voulaient dans les années 1960-1970 : se dissoudre pour devenir le « levain dans la pâte » de la société. Ils restent assez fortement présents dans les grandes associations caritatives, y compris non confessionnelles (Restos du cœur), mais aussi dans l’altermondialisme. On les trouve également parmi les élus locaux (comme maires ou dans les conseils municipaux), et dans tout le secteur associatif de « services » (aide aux personnes, solidarités). On observe sans doute une certaine « tentation de société civile », plus que d’engagement politique. Enfin, dans l’Église même, ils supportent mal tout ce qui leur semble un recul par rapport au concile Vatican II et, en ce sens, ils peuvent être très critiques envers Benoît XVI.

Depuis quelques années, face à la montée du communautarisme musulman, on a l’impression que les catholiques s’expriment comme une « majorité opprimée » soucieuse de préserver l’identité culturelle et morale d’une France historiquement chrétienne. Observez-vous une « communautarisation », voire une droitisation des « cathos » ?

En effet, cette « droitisation » existe, mais je ne vois pas de « communautarisation ».[access capability= »lire_inedits »] Je constate plutôt le retour à une identité catholique affirmée, un peu traditionnelle, voire traditionaliste, en phase avec l’enseignement du pape, y compris son enseignement social.

Est-ce une question de génération ?

Sans doute. Les générations de catholiques « JMJistes » (ceux qui ont participé depuis 1980 aux Journées mondiales de la jeunesse) sont en général extrêmement « ultramontains » ou « légitimistes », alignées derrière Rome et le slogan : « Touche pas à mon pape ! » Politiquement, ces générations, surtout les plus récentes, sont marquées à droite. Une frange très droitière est séduite par Marine Le Pen ou le sarkozysme façon Patrick Buisson, avec le rejet marqué des musulmans et le rappel de l’identité culturelle de la France chrétienne. J’ajouterai que les socialistes n’ont pas fait grand-chose pour attirer de jeunes chrétiens…

Cela dit, la question des musulmans de France pose un problème, même à des « cathos de droite »: depuis les années 1980, l’Église catholique prône la compréhension, le dialogue institutionnel, des relations amicales dans les quartiers, bref, elle défend l’immigré. D’où un malaise par rapport aux politiques policières de l’immigration de Nicolas Sarkozy et de Manuel Valls.

Assisterait-on au retour d’un certain évangélisme chrétien ?

C’est possible. Mais on ne peut nier qu’il y ait dans l’Évangile des paroles fortes sur l’ « accueil de l’étranger » : comme le prisonnier, le pauvre et le petit, c’est une figure du Christ. Pour les cathos qui prétendent s’inspirer prioritairement de l’Évangile, parfois contre l’Église, cela peut créer de l’inconfort, voire de la culpabilité.

Mais l’islam, ce n’est pas seulement l’immigration, c’est aussi une autre façon de vivre la religion, une autre place pour la religion dans l’espace public…

Le paysage religieux a profondément changé ces dernières années. La pluralité religieuse est devenue considérable, les religions revendiquent l’égalité de traitement (qui leur est souvent accordée par les pouvoirs publics), elles se manifestent parfois de façon irritante dans l’espace public et l’Église catholique devient, du coup, « une parmi d’autres ».

L’Église jouit-t-elle toujours d’une place à part, grâce au poids du passé et au nombre de ses croyants ? 

Oui, elle reste la plus puissante, tout en éprouvant le sentiment de son propre déclin. À certains égards, ce qui se passe à propos du mariage homosexuel est assez symbolique : quand l’Église s’oppose massivement à cette politique, elle ne parvient sans doute pas à l’empêcher, mais elle arrive encore à interpeller l’opinion, à faire évoluer les sondages, à créer un débat sur une question où socialistes et associations homosexuelles considèrent toute remise en question comme inutile, voire illégitime. Mais d’un autre côté, elle assied son image très conservatrice à propos de la morale sexuelle et conjugale, tout ce qui concerne la « politique du corps » et de l’intime, d’où le malaise des catholiques soucieux de proximité avec la société moderne telle qu’elle évolue.

En tout cas, il n’y a plus de question laïque, si ?

Non, l’Église se veut officiellement « laïque », elle soutient la laïcité française, mais comme Sarkozy, elle ajoute volontiers un adjectif  : « laïcité positive », « ouverte », ce qui a le don d’irriter fortement les militants de la « laïcité sans épithète ». Une question fondamentale reste malgré tout d’actualité : l’Église doit-elle se contenter du social et de la morale sans faire de politique ? Peut-être est-elle aujourd’hui tentée par cette stratégie dans nos démocraties européennes fatiguées, mais cela peut aussi cacher un repli assez confortable. Elle lance, certes, des appels aux catholiques pour qu’ils n’hésitent pas à s’engager en politique, ce qui est une manière d’envoyer les laïcs au front sans s’impliquer en tant qu’institution. Et en face, toute une tradition laïque, contestable à mon sens, aimerait reléguer l’Église à la sacristie, dans le privé. C’est ce qu’on observe à propos du mariage homosexuel.

Quelle position doit-elle avoir ?

Personnellement, je trouve d’abord que son intervention publique est absolument légitime. Jürgen Habermas, le philosophe allemand si rationaliste, défend aussi cette opinion : devant la modernité qui « déraille » (c’est le mot qu’il emploie), il demande aux démocraties d’écouter (pas nécessairement d’approuver) la voix de la tradition et de la sagesse que représentent les grandes religions. Mais intervenir publiquement, c’est bien entendu s’exposer, c’est risquer l’erreur et aussi le retour de bâton de la critique. Dans l’affaire en cours du mariage gay (et de ses conséquences pour la famille), je trouve que l’Église et les religions parlent plus juste et plus profond que la gauche et les associations LGBT : les premières mettent en scène un débat de fond que les secondes veulent éviter. Seules importent à ces derniers des droits nouveaux, même liberté et même égalité pour tous les individus. C’est là le progrès, et basta ! Je dis cela et pourtant, personnellement ,je ne suis pas convaincu non plus par la « rupture anthropologique » et l’apocalypse de la famille annoncées par l’Église…

Mais quelle influence peut-elle avoir ?

Faible, déjà parce qu’elle est très affaiblie quantitativement, et aussi parce que, à tort ou à raison, son passé et son présent grèvent lourdement et délégitiment sa parole. C’est un angle d’attaque essentiel, actuellement, de la critique des socialistes et des gays contre l’Église.

Au fond, on dirait que le clivage entre « cathos » de gauche et de droite porte avant tout sur l’interprétation du message christique. Jésus a-t-il énoncé une doctrine sociale universelle ou une éthique personnelle ?

Oui et non, car le clivage entre ces deux interprétations de l’Évangile − l’une plus politique, l’autre plus morale − ne passe pas entre gauche et droite : les uns et les autres ont eu la prétention ou la tentation, à divers moments de l’histoire, d’interpréter le message de Jésus comme une doctrine sociale universelle, qui pourrait être mise en œuvre par la politique. Cette hésitation révèle probablement une difficulté chrétienne de fond et, qui sait, il est peut-être préférable qu’il en soit ainsi.[/access]

Jean-Louis Schlegel et Denis Pelletier : À la gauche du Christ. Les chrétiens de gauche en France de 1945 à nos jours, Seuil, 2012.

*Photo : European Parliament.

Décembre 2012 . N°54

Article extrait du Magazine Causeur



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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