Objets d’une infinie sollicitude lorsqu’ils subissent le joug de prêtres pédophiles, les catholiques suscitent une indifférence polie quand leurs églises et cimetières sont profanés. Dans une France jadis fille aînée de l’Eglise, la catholicité cumule le poids du statut majoritaire et les handicaps d’une minorité que l’on somme d’être silencieuse.
« Catholiques, votre rapport à l’Église est troublé par les scandales, racontez-nous. » Cet appel à témoignages, paru le 14 mars dans Le Monde a nourri une vaste enquête publiée le 26 mars sous le titre : « Les catholiques atterrés par le scandale de l’Église ». Un film, des milliers d’articles de journaux, d’innombrables débats, commentaires et éditoriaux : pour une institution dont l’influence semble décroître dans l’indifférence générale, l’apostolique et romaine intéresse sacrément les médias. On dissèque « la dérive systémique et universelle » qui a permis tant de crimes[tooltips content= »Gino Hoel, « Il y a une rupture entre l’Église et notre société, les évêques sont trop hors sol », blogs.mediapart.fr, 19 mars 2019. »]1[/tooltips]. Sur le plateau de Yann Barthès, on se désole de voir l’Église ruiner « son image et sa réputation en refusant la démission de Barbarin ».
Le catholicisme est d’autant plus digne de sympathie qu’il est faible
Quant aux cathos, que l’on regardait avec moins d’aménité quand c’était par le mariage pour tous qu’ils étaient atterrés, ils sont l’objet d’une infinie sollicitude. Dans l’éditorial qu’il leur consacre, Le Monde observe leurs tourments, « de l’accablement à l’écœurement, en passant par la honte, l’humiliation, la stupeur ». Et narre le cas émotionnant d’un fidèle qui a participé à la Manif pour tous et « ne se remet pas d’avoir découvert qu’un prêtre qui a accompagné son parcours spirituel a fait de la prison pour attouchements sexuels ». Peut-être l’auteur espère-t-il que cette expérience traumatisante hâtera la conversion du malheureux à la vraie religion – celle du Progrès. Au passage, nombre d’observateurs décrètent qu’il faut mettre fin au célibat des prêtres pour que le calvaire d’enfants violés ne se reproduise plus. Curieuse conception qui fait de la pédophilie une sexualité alternative, un pis-aller quand on n’a pas d’adulte sous la main, plutôt qu’une perversion et une maladie.
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Le désarroi de nombreux catholiques est bien réel alors qu’une institution dans laquelle ils avaient placé leur confiance – et leurs enfants – les a trahis. Tant d’inquiétude et de prévenance pour des croyants qu’on regardait hier comme une peuplade arriérée n’en pose pas moins question. La France des beaux esprits et des grandes âmes serait-elle prise de remords pour les tombereaux d’injures déversés sur eux il y a six ans ? Ou peut-être que, par ces temps chamboulés, ils constituent une présence rassurante, un écho faiblissant d’un monde qu’on croyait détester et pour lequel on éprouve, alors qu’il est menacé de marginalisation, une bouffée de nostalgie. Le catholicisme est d’autant plus digne de sympathie qu’il est faible. Or, comme le montre Jérôme Fourquet, dans son excellent Archipel français et dans l’entretien que nous publions, il a largement perdu son privilège culturel parce que « le soubassement anthropologique chrétien de la société a craqué ». Si, d’après Le Monde, 53 % des Français se déclarent catholiques, moins de 5 % d’entre eux se rendent à la messe une fois par mois. Le règne de l’Église sur les esprits est révolu. Tant mieux. Faut-il pour autant effacer toutes les traces qu’il nous a léguées – et jusqu’à son souvenir même ?
75 à 90 % des profanations concernent des édifices et cimetières chrétiens
Il n’est pas certain que l’empathie pour les fidèles déboussolés soit exempte de toute joie mauvaise. Si nombre de ceux qui s’indignaient hier que l’on parle des racines chrétiennes de la France câlinent aujourd’hui le catho malheureux des turpitudes de certains de ses clercs, n’est-ce pas parce que son malheur a été causé par d’autres catholiques – et non des moindres ? On s’entraccuse souvent, dans le débat public, de préférer certaines victimes à d’autres, mais peut-être choisit-on moins ses victimes que ses coupables.
En tout cas, la compassion bruyante qui s’est abattue sur les paroissiens tranche avec le silence de plomb qui entoure les dégradations et profanations d’églises et de cimetières, dont le nombre a pourtant explosé ces dernières années. Sur près de mille atteintes (de gravité évidemment variable) recensées par le ministère de l’Intérieur, 75 à 90 % concernent des édifices et cimetières chrétiens, apprend-on dans l’enquête d’Erwan Seznec. Or, alors que toute attaque contre une synagogue, une mosquée ou un cimetière juif ou musulman est abondamment traitée par les médias et déclenche une salve de déclarations, de « nous ne céderons pas », quand ce n’est pas une visite présidentielle, la série de profanations qui a eu lieu début février dans plusieurs églises et à la cathédrale Saint-Alain de Lavaur, dans le Tarn, n’a pas bouleversé grand-monde. Quelques jours plus tard, après l’insupportable agression d’un « gilet barbu » contre Alain Finkielkraut, toute la France proclamait « plus jamais ça ». Et on voyait le président se recueillir dans le cimetière de Quatzenheim, en Alsace, où 80 tombes juives avaient été saccagées.
Et l’Église tend l’autre joue
Bien sûr, ce n’est pas la même chose. D’abord, parce que la majorité des actes vise des pierres et non des hommes, ensuite parce qu’elle n’obéit pas à des motivations idéologiques. Pour le coup, beaucoup sont l’œuvre de déséquilibrés, de marginaux ou de gamins en mal de transgression sans risque, qui s’en prennent aux églises parce qu’elles sont là, qu’ils cherchent quelque chose à voler ou s’ennuient. Souvent, ce sont de petits sacrilèges bébêtes, commis pour défier sans savoir ce qu’on défie. Pour le philosophe Olivier Rey, dès lors que, pour beaucoup de jeunes, « la religion n’est plus que lettre morte et l’église qu’un édifice bizarre », casser, profaner est une « façon de donner à l’inculture, à l’impuissance, à la déréliction les allures de la rébellion ».
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Ce n’est pas la même chose, mais ça y ressemble de plus en plus souvent. Avec les attentats déjoués contre des églises en juillet 2015 et l’assassinat du père Hamel un an plus tard, des catholiques ont été visés en tant que tels. C’est-à-dire comme infidèles. Certes, en France, la haine des chrétiens est sans doute moins largement partagée – ou passe moins souvent à l’acte – que celle des juifs. Reste que les chrétiens, otages de la guerre des civilisations en Orient, sont partie prenante de celle qui sévit à bas bruit dans nos contrées. Et la propension de l’Église à tendre l’autre joue en exaspère plus d’un.
Catholiques, la tentation minoritaire
Beaucoup de cathos en ont gros sur la patate et commencent à trouver qu’on s’indigne toujours pour les mêmes. C’est humain, sinon glorieux. Menacés de n’être plus qu’une minorité comme les autres, ils aimeraient bien en retirer le bénéfice symbolique du chouchoutage victimaire. Au lieu de quoi ils cumulent le poids du statut majoritaire, qui leur demande d’avoir le cuir épais face à la caricature, et les handicaps d’une minorité que l’on somme d’être silencieuse. D’où la tentation d’entrer dans la course au pompon victimaire. Alors que l’Église est sur la ligne « pas de vagues », des voix s’élèvent, y compris à l’Assemblée nationale, pour demander la création d’un délit de « cathophobie ». Me too ! Outre qu’il risque de surpeupler « la cage aux phobes »[tooltips content= »Philippe Muray, Exorcismes spirituels, III, Les Belles Lettres, 2002, p. 349. »]1[/tooltips] déjà bien pleine, ce mimétisme victimaire entérine le déclassement du catholicisme, de substrat culturel majoritaire en religion minoritaire. Les cathos auraient tort de troquer les vestiges de leur droit d’aînesse contre des nounours, des bougies et des grands discours.
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