Accueil Médias Catholique en Turquie, un métier à risques

Catholique en Turquie, un métier à risques


Catholique en Turquie, un métier à risques
Luigi Padovese.
Luigi Padovese
Luigi Padovese.

Rêvons un peu. Soyons positif pour une fois. Imaginons un monde, d’ici quelques années – enfin, injectons un peu de réalisme dans ces propos euphoriques, et disons d’ici quelques décennies- dans lequel l’antiracisme pavlovien qui nous sert de conscience morale en ce début de millénaire sera devenu en France un objet d’études pour des facultés de sciences humaines rénovées et efficaces sous la férule du vénérable et presque centenaire[1. Rien à voir avec la réforme des retraites. Enfin, j’espère.] ministre d’Etat en charge de l’Education nationale et des Humanités, Alain Finkielkraut. Les réactions médiatiques en Europe au meurtre du vicaire apostolique Mgr Luigi Padovese au début du mois de juin 2010 y seront peut-être étudiées comme un cas d’école de l’aveuglement idéologique occasionné par les surdoses de moraline à laquelle sont aujourd’hui accros la plupart de ceux qui font l’opinion dans notre pays.

L’exigence d’apaisement contre l’exigence de vérité

Elles seront analysées comme parfaitement symptomatiques de cette exigence d’apaisement, qui s’est substituée à l’exigence de vérité dans le travail des journalistes. On y constatera aussi l’immensité de l’absence de curiosité et d’esprit critique qui caractérise le travail de la presse lorsqu’il ne s’agit pas de dénoncer le néo-colonialisme occidental, la profondeur des préjugés sexistes et racistes français ou l’ampleur des discriminations inhérentes à la structuration hétéro-fasciste des sociétés judéo-chrétiennes.

Lorsqu’en France des tombes musulmanes sont dégradées, il s’agit nécessairement d’un acte d’une haute signification politique, le fait d’une montée de l’islamophobie et du rejet de l’autre qui frappe la France moisie contre laquelle nous devons tous nous mobiliser à coup de prise de conscience citoyenne et de lutte subventionnée contre les préjugés. Lorsqu’en Turquie un Turc, déclarant agir sous l’emprise d’une inspiration divine, égorge un évêque catholique, au moment même où le Pape se rend à Chypre, notamment pour évoquer le sort tragique des chrétiens d’Orient, et alors que la victime devait elle-même rejoindre le Souverain pontife à Nicosie, il ne peut s’agir que d’un fait divers, l’acte d’un déséquilibré sans aucune portée politique ou religieuse.

Le meilleur des mondes postchrétien

Peu importe que depuis des années la folie soit la cause sans cesse invoquée par les autorités turques dans les cas d’attaques de chrétiens par des extrémistes islamistes, peu importe le fait que Mgr Padovese ait été l’un des principaux conseillers de Benoît XVI pour les questions des relations de l’Eglise avec l’islam, peu importe le contexte général de la montée de l’islamisme en Turquie et des persécutions des minorités religieuses. Non, tout cela est insignifiant. Ce qu’il importe de souligner lorsqu’on parle de la Turquie, c’est le magnifique dynamisme de cette société turque dont l’entrée dans l’UE serait une chance pour notre vieille Europe recroquevillée et xénophobe. Ce qu’il faut dire et répéter lorsqu’on lutte tous ensemble contre l’islamophobie consubstantielle à la chrétienté, c’est que l’islam est une chance pour la France. Au nom de l’ouverture à l’autre et de l’abandon de nos réflexes xénophobes, consacrons l’islam religion de paix et d’amour, une religion dans laquelle on intime sans relâche aux persécutés de tendre la joue gauche lorsqu’on les frappe sur la joue droite, et où l’on exige sévèrement du croyant qu’il aime non seulement son prochain, mais aussi ses ennemis. Peu importent l’islam et la Turquie réels, tout doit aller pour le mieux dans le meilleur des mondes postchrétiens.

Voici donc les limites au devoir d’investigation et de recherche de la vérité qui motive, paraît-il, l’action des journalistes dans notre pays : la vérité ne saurait nuire à la bonne entente des citoyens, à la méchanceté des méchants et la gentillesse des gentils, et au dogme selon lequel tout est dans tout et rien dans rien.

Ainsi, et malgré cette équivalence proclamée de toutes les croyances, les grands gourous des forces de progrès, d’Ankara à Saint-Germain-des-Prés, n’hésiteront pas à baptiser sans son consentement un tueur d’évêque pour en faire un bon catholique, et à faire de ce meurtre le produit d’une histoire personnelle et compliquée, sans aucun rapport avec la montée des attaques antichrétiennes dans les pays musulmans. La paix sociale vaut bien une néo-messe.



Vous venez de lire un article en accès libre.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !

Article précédent Ethique et toc !
Article suivant Affaire Hebbadj : quand la Justice frappe juste
Florentin Piffard est modernologue en région parisienne. Il joue le rôle du père dans une famille recomposée, et nourrit aussi un blog pompeusement intitulé "Discours sauvages sur la modernité".

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Pour laisser un commentaire sur un article, nous vous invitons à créer un compte Disqus ci-dessous (bouton S'identifier) ou à vous connecter avec votre compte existant.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération