Catherine Robbe-Grillet, la dominatrice de la littérature, fut à une époque la très sulfureuse Jeanne de Berg. Son livre culte reparait dans la collection les Cahiers Rouges.
Cérémonies de femmes, ouvrage culte publié, sous pseudonyme, reparaît aujourd’hui sous le véritable nom de l’auteure, Catherine Robbe-Grillet, l’épouse de l’écrivain mort en 2008. Elle relate, à travers six grands tableaux, les moments troublants de sa vie de dominatrice. En 1985, Catherine souhaite garder l’anonymat, même si Mai 68 a bouleversé les mentalités. Elle publie donc sous le pseudonyme de Jeanne de Berg Cérémonies de femmes. Invitée sur le plateau d’Apostrophes, le 13 décembre, elle décide de masquer le bas de son visage avec une voilette. Alain Robbe-Grillet, de New York où il enseigne la littérature française, lui prodigue quelques conseils.
Onirisme
C’est un habitué de l’émission ; il y manie l’humour, l’ironie, ses réparties fusent, le regard espiègle au milieu d’un visage barbu. Il tient tête aux conservateurs Michel Droit et Louis Pauwels qui le regardent avec mépris. Il ne lâche rien face au bondissant Philippe Sollers qui n’admet pas de partager le pouvoir des lettres avec « le pape » du Nouveau Roman. À Catherine, donc, il lui recommande d’être naturelle malgré son masque, de ne pas chercher à trop faire la promotion de son livre, de souligner surtout l’urgence qu’il y a à exprimer des fantasmes féminins, ce qu’il fait dans ses livres, souvent de manière onirique. Il dit encore : « On fait trop croire aux femmes qu’elles n’ont pas de vie sexuelle fantasmatique, et même pas de vie érotique indépendante. » Catherine se retrouve face à Françoise Sagan, Bertrand Poirot-Delpech et Roger Peyrefitte. Son intelligence et son audace font mouche. En guise de conclusion à l’émission, Bernard Pivot ne peut s’empêcher de cabotiner en lisant un quatrain dont voici les deux derniers vers : « N’ôtera ni chapeau ni voilette ni robe/En sorte que son nom ne sera pas grillé. » Le secret est éventé. Le livre devient un best-seller.
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De New York aux appartements cossus de Paris, en faisant une halte le long des quais de la Seine, particulièrement suggestive, Catherine Robbe-Grillet lève le voile sur sa longue carrière de dominatrice, méticuleuse ordonnatrice de soirées théâtralisées, qui oscillent entre Sade et Bataille. Le martyre de Saint Sébastien reste le point d’orgue de ces soirées entre initiés. À la lire, on se croirait dans un tableau de Georges de La Tour. Les plaies ouvertes et saignantes ne sont pas sans rappeler celles du Christ en Croix. On se demande alors si cette violence infligée volontairement n’est pas la recherche de la souffrance endurée par le Christ pour obtenir la Rédemption de l’homme malgré son incurable incertitude durant la Vigile pascale.
Glissements progressifs du plaisir
Toujours à propos de Sébastien, Catherine Robbe-Grillet évoque le film de son mari, Glissement progressif du plaisir (1974). « Il y a une scène où une jeune femme casse des œufs sur le corps d’une autre femme, rappelle Catherine Robbe-Grillet. Ces œufs sont déposés avec délicatesse, de telle sorte qu’ils bougent, qu’ils tremblent, mais qu’ils n’éclatent pas. J’avais envie, au contraire, qu’ils éclatent. » Elle remplace alors les flèches du supplice de Saint Sébastien par des œufs. La référence au livre de Georges Bataille, Histoire de l’œil, est évidente. Bataille, né d’un père aveugle et paralysé, écrit : « J’ai, comme Œdipe deviné l’énigme : personne n’a deviné plus loin que moi. » À travers cette mystérieuse jouissance humiliante, Catherine Robbe-Grillet, a-t-elle deviné aussi loin ?
Précisons que ce livre est, avant tout, un objet littéraire qui prouve, une nouvelle fois, que la boite noire de la littérature émet d’où elle veut.
Catherine Robbe-Grillet, Cérémonies de femmes, Les Cahiers Rouges, Grasset, 144 pages.