On vous plaint sincèrement. On a mal pour vous. Pire que la cohabitation ou l’alternance, la politique n’est plus un art, au mieux une farce tragi-comique. Les fauves du suffrage universel sont devenus des épiciers ambulants. Les seigneurs des assemblées ont disparu à la fin des années 1980, remplacés par des cadres très moyens. Les hémicycles suintent d’ennui et les ambitions maastrichtiennes sont le nouvel horizon indépassable des médiocres. La grande presse, celle qui faisait valser les gouvernements, où ferraillaient les éditorialistes à la plume tranchante, pense digitalisation de l’économie et référencement sur Google. L’écrit a perdu son aura mystique. On parle contenu et flux, le journalisme sera bientôt une option « chimie » au bac scientifique. Partout, le spectacle offert est affligeant, comme ces pièces de boulevard interprétées gauchement dans des théâtres de province, les effets des acteurs tombent à plat dans la fosse.
Les petits notables n’imitent plus Chaban
Notre vieux pays convalescent, soldat inconnu de la mondialisation, manque de flambe et de carbure. Il faut raviver notre flamme intérieure. C’est déjà trop tard certainement. Nous nous sommes habitués aux fréquences basses et aux personnalités sans envergure. Alors, oui, chère consœur, vous devez être bien triste de voir un personnel politique aussi insignifiant, prisonnier de ses propres carences. Où sont passées les figures flamboyantes qui transportaient l’électeur, qui l’impressionnaient et le fascinaient quand le petit écran émettait en noir et blanc ? Les mythologies politiques sont mortes avec la disparition du cash dans les échanges commerciaux. Les notables de sous-préfectures n’imitent plus le sport chic cher à Chaban qui jouait au golf comme on dirige un conseil municipal, avec sourire et détachement. Les maîtresses de maison ne repèrent plus cette robe à impression persane vue sur Claude Pompidou dans les pages de Jours de France. En ce temps-là, leurs couturières avaient pour mission de copier les créateurs de Paris. Et mystère de la province, elles y arrivaient assez fréquemment.
Les héros de guerre sont morts avec la classe ouvrière
Les entrepreneurs actuels connaissent-ils le nom de Jean-Luc Lagardère ? Qui se souvient de Roger Frey, de l’UNR et d’Olivier Guichard ? Les héros de guerre sont morts avec la classe ouvrière. Les capitaines d’industrie boursicotent et délocalisent. Les penseurs soliloquent entre eux. Les médias radotent par peur d’une pétition moralisatrice qui bloquerait les budgets « pub ». Le public n’attend donc plus rien de ce manège désenchanté. Alors, en cette période miraculeuse de Noël, il est réconfortant de se plonger dans votre monde d’avant, celui des DS opaques, d’une enfance périgourdine, des étés à Saint-Tropez, des luttes émancipatrices, des libérations sexuelles et des combats politiques sanglants. Notre nation se reconstruisait. La croissance et l’espérance baguenaudaient ensemble. Après avoir lu votre livre Souvenirs souvenirs… aux éditions Robert Laffont, je vous ai vraiment jalousée. Ce demi-siècle au cœur du pouvoir, au milieu des élites intellectuelles, politiques et financières, vous étiez toujours aux premières loges, à l’Elysée, à Matignon, en voyages officiels, dans les comités de rédaction ou les dîners en ville. Votre haute taille vous distinguait du commun des journalistes souillons, une classe naturelle, cette beauté pure était le meilleur moyen de refroidir les malotrus.
Une intelligence vive et charmeuse
Il y a un style Catherine Nay, quelque chose de bourgeois dans la pose et d’insoumis dans l’usage de la liberté, une rigueur de façade qui laisse percer un humour à froid, une timidité qui est surtout le gage d’une intelligence vive, charmeuse (a-t-on encore le droit d’écrire cet adjectif ?) et originale pour son milieu. Vous aviez un détecteur interne parfaitement étalonné pour repérer les charismatiques et les fausses valeurs, les planches pourries et les amis pour la vie. Vous en avez vu défiler des animaux sauvages prêts à tout pour un mandat et décrocher ce fameux quart d’heure de célébrité. Catherine, cette allure BCBG clivante de nos jours où il faut singer la pauvreté pour toucher l’auditeur, était un véritable atout. Personne n’a remis en cause vos qualités d’enquêtrice. Car, derrière la coupe impeccable, se niche une autre Catherine, une punk aux saillies drolatiques, qui se fout des oukases bien-pensants. Dans cette longue traversée de la Vème République, du Général à Sarkozy, de L’Express à Europe 1, vous racontez les mœurs, les étrangetés de ce biotope, vous portraiturez les dirigeants, mais surtout, vous exprimez votre ressenti sans filtre.
Une journaliste de droite qui ne se cache pas
Albin Chalandon, l’amour de votre vie, y tient une place de cœur. Michèle Cotta, la complice de toujours n’est pas loin. Vous alternez les bonnes manières et les formules assassines. Jamais, on n’avait aussi bien décrit la psychologie d’une Marie-France Garaud, forcément sublime d’aplomb. Vous êtes une journaliste de droite qui ne se cache pas derrière les barricades d’une époque terrifiée par la liberté d’opinion. De Georges Pompidou, vous écrivez : « Il avait ce fluide de l’autorité dont parlait le général de Gaulle. Et quel fluide ! Je l’admirais. De toute ma vie de journalisme, je n’ai jamais rencontré d’équivalent ». Sur Françoise Giroud : « Elle avait une drôle de façon de se lover dans le canapé, jambes repliées sous elle. Une chatte. Le spectacle commençait. J’étais à l’école et avec quelle professeure ! ». Plus circonspecte sur d’autres personnages, vous raillez « Giscard et ses obsessions nobiliaires », Barre un « casse-pieds » et un « orateur très ennuyeux » ou un JJSS « réfractaire à l’humour ». Ce récit de souvenirs est délicieux pour ceux qui veulent revivre les Trente Glorieuses racontées par une journaliste plus indépendante qu’il n’y paraît.
Souvenirs souvenirs…, Catherine Nay, Robert Laffont.
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