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Castaner: itinéraire de l’obligé de Macron

Il est l'inamovible "premier flic de France"


Castaner: itinéraire de l’obligé de Macron
Le 6 décembre 2015, Christophe Castaner, candidat du Parti Socialiste pour les regionales en region PACA, se retire de la campagne apres les resultats du 1er Tour © LILIAN AUFFRET/SIPA Numéro de reportage: 00733552_000003

Quoi qu’il dise, quoi qu’il fasse, sa place au Ministère de l’Intérieur semble inamovible. Retour sur le parcours du natif d’Ollioules qui cristallise la détestation de beaucoup de citoyens.


La première impression est presque toujours la bonne. Castaner, je l’ai découvert en 2015, lors des régionales. Candidat du PS en PACA, il y était opposé à l’ectoplasmique Estrosi et à Marion Maréchal. Certes, le contexte n’était pas favorable au parti de Hollande ; déjà le quinquennat de ce dernier oscillait entre le pathétique et le grotesque. Mais avec ses airs de concessionnaire Volvo dépressif, Castaner, alors député des Alpes-de-Haute-Provence, faisait peine à voir. Piètre orateur et débatteur – il ne s’est guère amélioré depuis –, il avait enchaîné, sur le plateau de France 3 acquis à « l’arc républicain », les lieux communs les plus éculés sur « les heures les plus sombres » et le « vivrensemble ». L’heure était, comme d’habitude depuis vingt ans, au front commun contre la Bête immonde. Car à ce moment de la campagne, les sondages donnaient gagnante la petite-fille du Menhir. Je me souviens m’être demandé comment un tel énergumène, dont le charisme pouvait tout au plus emballer quelques michetonneuses niçoises, s’était hissé jusqu’à la députation ; il fallait vraiment que le PS fût dans la panade pour avoir choisi ce garçon qui ne semblait même pas comprendre ce qu’il disait.

Castaner, un fidèle de Macron de la première heure

Mais tout le génie du politique, en ploutocratie, c’est de savoir réseauter. Et ça, de toute évidence, Castaner sait faire. Juste après son monstrueux échec – il avait été éliminé au premier tour avec moins de 17% des voix -, il plaça toutes ses billes dans Macron. Je dois au moins lui reconnaître d’avoir eu cette intuition, même si, comme le raconte à la fois très mal – le pamphlet n’est décidément pas un genre de gauche – et très bien – car il explique remarquablement comment fonctionnent les réseaux de la classe dominante – Juan Branco dans son Crépuscule, il était clair dès ce temps-là que le Marc-Aurèle d’Amiens, le Kennedy de la rue d’Ulm avait été sélectionné par le système libéral-libertaire pour unir les buveurs de smoothie bio et les rentiers face au populisme. « Poids lourds » de l’équipe Macron, dans laquelle se distinguait Sibeth Ndiaye, grande bourgeoise sénégalaise bien décidée à faire la leçon aux petits blancs « fumeurs de clopes qui roulent au diesel », pour parler comme son prédécesseur rue de Grenelle Benjamin Griveaux, il s’était rendu indispensable, écumant les plateaux, serrant des pognes, incarnant par ailleurs le marchisme de province quand tout, dans ce mouvement financé par le CAC 40 – pour les détails, lire Branco – sentait Paris, enfin celui de ces « bistrots » qui ressemblent moins à des bars qu’à des cliniques vétérinaires. Après la victoire, que dis-je ?, le sacre de Toutânplastron sur le parvis de la Pyramide du Louvre, la presse raconta comment l’enfant d’Ollioules avait été « déçu » de n’obtenir que le secrétariat d’État aux Relations avec le Parlement en plus de la direction de LREM. Il voulait l’Intérieur, apprenait-on. Las ! c’est Gérard Collomb, l’homme sans cou, qui choppa le poste. Aussi, durant un an et demi, Castaner rongea son frein ; toujours aussi peu à l’aise devant les caméras, il eut la bonne idée de se faire copain avec Philippe, à qui il donne du « mon poulet » pour le plus grand plaisir des journalistes, ces bohiscoutes qui s’adressent à des enfants – l’infantilisation est l’une des causes principales de nos désastres – la fin de l’Occident, c’est deux trentenaires qui « débattent » sérieusement de l’intrigue de Transformers

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Heureusement pour notre homme, Lyon manquait au locataire de la place Beauvau. La tâche, incontestablement énorme, avait de quoi décourager un radical-socialiste, forcément plus à l’aise à la cantine d’une mairie qu’à la tête d’un grand ministère. Ainsi Castaner devint-il « le premier flic de France ». Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il aime ça. Sans doute avait-il rêvé de faire, durant trois ans, la tournée des commissariats, de bons gueuletons entre deux cérémonies d’hommages, la République ayant développé dans ce domaine une expertise internationalement reconnue depuis 2012 et la tonitruante équipée de Mohamed Merah. 

Les gilets jaunes contre la bourgeoisie

C’était sans compter sur la France périphérique qui, en novembre 2018, rappela qu’elle existait. Le trouillomètre à zéro, les yeux rivés sur leur épargne, les deux bourgeoisies exigèrent le rétablissement de l’ordre. Peu leur importait, à ces lâches qui, sur le site du Monde, leur Pravda, réclamaient des massacres avec la verve d’un Dumas fils en 1871, qui fût aux commandes. « Cognez fort », disaient-ils, et Castaner le fit. Sa conception du maintien de l’ordre – que j’ai pu observer de près, m’étant rendu dix fois sur les Champs quand tant de réactionnaires, mes frères, ont regardé cela à la télé et sur le net, ayant peut-être peur d’attraper la gale au contact des « gens », comme dit salement Mélenchon –, laquelle consistait pour l’essentiel à « nasser » les gilets jaunes puis à faire pleuvoir sur eux lacrymo, matraque et flashball, rassura les Parisiens au prix de centaines de blessés, score inédit depuis les grèves de l’après-guerre. Pas plus que Macron Castaner n’eut un mot pour les morts, les éborgnés, les manchots. Non, lui, il était là pour « soutenir » la police – à grands coups de menton et de primes – et dorloter les bourgeois métropolitains qui forment, avec les retraités et les minorités, l’électorat de LREM – c’est l’alliance des péteux, des assis et des « victimes ». Bien sûr, la corporation des journalistes, où règne une endogamie suffocante, a refusé d’accabler le Caudillo des Calanques quand elle a, du reste fort justement, fait tomber François de Rugy pour quelques homards. Quel bilan en douze mois à peine ! Il y eut notamment l’affaire de la Pitié-Salpêtrière, celle de l’adultère sous vodka un samedi soir, celle du pauvre Steve Maia Caniço, et maintenant celle d’un islamiste revendiqué en poste au sein des services du renseignement de la préfecture de la police de Paris. Castaner n’est jamais responsable ; quand on le critique, il se planque derrière ses subalternes ; il bénéficie toujours du soutien de Macron et de Philippe. Comment expliquer ce maintien alors que tant d’autres ont dû partir pour cent fois moins ? Il paraît que l’ancien banquier de chez Rothschild est fidèle en amitié ; il l’a prouvé avec Benalla, dont le toupet sidère, qui s’est même transformé en commentateur de la vie publique, protégé qu’il est par une virilité qu’il assume et qui a dû subjuguer plus d’un militant « non binaire » du PS et de LREM. Castaner, premier des potes du premier de cordée, profite assurément de sa proximité avec le chef de l’État. Surtout, on a tendance à nous le faire oublier, mais l’Intérieur, c’est la carte électorale. Le « kéké » doit tout à son maître ; sans lui, il eût sûrement été écrasé aux législatives et fini maire de Saint-Puplin-sur-Crugnole. C’est l’obligé, le très obligé de Macron. Aussi, parions qu’il redécoupera les circonscriptions sans trembler, ajoutant partout du bobo et du bon catho – les catholiques pratiquants ont voté très majoritairement pour LREM aux européennes, démontrant au passage que L’Église est une cause perdue – où il y a trop de « chômeurs illettrés racistes franchouillards », comme disent les abonnés de L’Obs

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Il paraît que les ministres « sautent » quand leur image est trop abîmée auprès de l’opinion publique. Mais qui hisse, lèche, dégrade, lynche ? Les grands médias. Dès lors, tant que ces derniers, troupes de choc du mondialisme, épargnent Castaner, il n’a aucune raison de quitter son poste. Enfin si, il en a une : la dignité la plus élémentaire. Mais le monde d’en haut n’a pas les mêmes valeurs que le monde d’en bas. Voyez par exemple comment, en cinquante ans, dans le champ intellectuel, le machiavélisme est passé d’une faute morale à la manifestation la plus éclatante d’une intelligence supérieure. Pour ces gens-là, dépourvues d’idéaux – mais de quoi peuvent bien rêver les énarques ? –, la politique est un jeu – en plus d’une appréciable source de revenus. Sans doute son obscure origine pousse-t-elle Castaner à faire du zèle, à prouver à la bourgeoisie qui l’a admise en son sein qu’il mérite sa fabuleuse élévation. C’est, comme beaucoup d’autres, une sorte de parasite, comme l’était devenue l’aristocratie après avoir rompu – lire Les Origines de la France contemporaine de Taine – le pacte tacite qui la liait au peuple. Si seulement l’histoire pouvait s’achever de la même manière… Car qui peut encore croire, parmi ceux qui ne se résignent pas à voir mourir notre civilisation, que cette engeance est prête à partager le pouvoir ?

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Nicolas Lévine est écrivain

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