Casseurs : la loi du petit nombre


Casseurs : la loi du petit nombre

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Sommes-nous encore en démocratie ? Quand nos gouvernants semblent de plus en plus soumis au chantage de minorités agissantes qui imposent leurs funestes idées à la majorité silencieuse, la question n’est nullement rhétorique. Et les événements de Sivens ne rassurent guère sur la santé de notre République. Quand des lobbies font la loi, il n’y a plus de chose commune.

De quoi parle-t-on ? D’une centaine d’extrémistes armés de barres de fer, de cocktails Molotov, et d’une rage qui leur fait mépriser le risque que chaque dérapage émeutier leur fait courir, à eux ou à la police. Seulement, bien sûr, derrière les « enragés » – dénomination curieusement flatteuse en langage médiatique –, il y a des romantiques, des idéalistes, des suiveurs emportés par la vague, comme ce jeune homme qui a eu la vie arrachée. On imagine la peine de la famille. Tout ça pour ça, tout ça pour quoi ? À quoi s’opposaient-t-ils ? Un barrage dans des marécages… un projet monté par des élus, des représentants du peuple, des dépositaires de l’État de droit. Dans n’importe quel pays démocratique, on déplorerait le terrible accident qui a tué un manifestant sans pour autant remettre en cause les décisions prises par la représentation populaire. « Un flic, une balle, justice sociale », hurlaient-ils à l’adresse de l’État. Et l’État, prêt à se déjuger sous le diktat de l’émotion, semble leur donner raison. Au prétexte de rendre justice à la victime, on donne une prime à la violence.

Il y a bien une victime. Reste à savoir ce qui l’a tuée. Une terrible erreur policière, sans doute. Le spectacle télévisuel pitoyable de Cécile Duflot, s’affichant toute pudeur bue, les larmes aux yeux, en pleine Assemblée nationale, suggère qu’il a aussi été victime de l’irresponsabilité et du cynisme politiciens. Et nous voilà conviés au bal des hypocrites, où ceux qui, la veille, encourageaient des gamins à se battre à 2 heures du matin, s’affligent bruyamment de la mort d’un jeune qu’ils prétendent, pour finir, enrôler comme martyr.[access capability= »lire_inedits »]

Au lendemain du drame, des politiques se bousculent devant les caméras pour exprimer leur « émotion », « exiger des mesures » pour que « cela n’arrive plus jamais ». Au sommet de l’État, on cherche à « calmer le jeu ». On mènera une enquête, on envisage d’ôter leurs armes aux gendarmes. Le citoyen lambda est le témoin affligé et impuissant de tant lâcheté. L’État est-il devenu si faible, si peu sûr de son bon droit, qu’il n’imagine d’autre réaction aux cris d’indignation amplifiés sur tous les écrans que la reculade et l’effacement de ses propres principes ?

Comment des minorités peuvent-elles faire ainsi plier la loi et ceux qui sont chargés de la défendre ? La première explication est des plus prosaïques. Une armée d’oisifs, de marginaux et autres étudiants en sociologie jouit d’un avantage comparatif sur le « boloss » qui s’obstine à aller au boulot : elle dispose d’un temps considérable. L’idéologie fait le reste : compassionnalisme à tous les étages, culte du mythe révolutionnaire, mépris du peuple qui vote mal et à qui on prétend enseigner les bonnes manières de penser.

De reculade en reculade, l’exemple s’est imposé : pour écrire ou modifier l’histoire de France, pas besoin d’être nombreux, il suffit de caillasser, de briser des vitres, de brûler des voitures et d’insulter des flics. À la mi-novembre, alors que la mobilisation lycéenne contre les « violences policières » prétendument responsables de la mort de Rémi Fraisse s’était rapidement essoufflée – on se lasse vite de jouer à la guérilla, surtout en période de vacances –, quelques centaines d’irréductibles parvenaient encore à bloquer ou à perturber des dizaines de lycées, tandis que l’université de Rennes se voyait contrainte de bloquer ses accès par peur des violences. Que dire d’un État incapable de garantir à ses citoyens le droit élémentaire d’aller à l’école ou à la fac ?

Le plus inquiétant, c’est qu’il ne s’agit pas d’un cas isolé que l’on pourrait mettre au compte d’une émotion somme toute compréhensible. Céder aux caprices et aux oukases de lobbys aussi vindicatifs qu’ils sont numériquement faibles est devenu un principe de gouvernement. Ainsi l’activisme débridé, parfois violent, et parfois juste ridicule, de « collectifs », associations et coteries diverses, épaulés par d’impayables experts et sociologues appointés (comme l’insubmersible Mucchielli), qui grenouillent autour ou à l’intérieur du pouvoir, prend-il le pas sur l’expression démocratique.

Plus ces nouvelles avant-gardes sont minoritaires, plus elles se croient autorisées à imposer au peuple leurs idées farfelues, démentes ou dangereuses. Arrêtons-nous sur le cas des Verts, qui sont en train de tuer la belle idée d’écologie en la coloriant de rouge. Que le PS leur ait offert leurs électeurs sur un plateau, dans le cadre d’une combinazione préélectorale, ne les a pas empêchés de mettre leur grain de sel dans d’innombrables dossiers : loi Alur, fiscalité des entreprises, du capital ou des particuliers, normes de construction, centres de shoot. Voilà un parti qui a su rentabiliser ses 2,31 % à la présidentielle. Difficile d’avoir un meilleur ratio représentativité/influence.

Dans de nombreux domaines de la vie publique, des groupes de pression plus ou moins visibles et organisés influencent directement l’action publique dans un sens conforme à leurs intérêts catégoriels. De ce point de vue, l’insécurité est un cas d’école. Qu’ils soient de gauche ou de droite, les Français, dans leur immense majorité – 70 à 80 % à en croire certains sondages – aspirent à un retour de la tranquillité, du civisme, de l’ordre, en un mot de la justice – qui passe par la punition du coupable. Et les lois s’empilent en sens inverse, tout simplement parce que les lois sont écrites sous la dictée du Syndicat de la magistrature, minoritaire chez les magistrats eux-mêmes. Quelques « juges rouges » peuvent donc ériger en dogme la culture de l’excuse, en contradiction totale avec ce que veut le peuple français, au nom duquel la justice est rendue.

En matière d’éducation, le même renversement des valeurs est à l’œuvre. Là aussi, des minorités surpuissantes mènent depuis des décennies une guerre contre le bon sens, ordonnant les déconstructions successives qui ont ruiné la qualité de l’instruction, infligeant aux élèves et aux professeurs leurs lubies pédagogistes et modernistes, il suffit de lire un manuel scolaire pour s’en rendre compte. Là encore quelques idéologues prétendent piloter le formatage des cerveaux des enfants contre l’avis des parents – « s’appuyer sur la jeunesse pour changer les mentalités », disait Benoît Hamon. Alors que le mérite, l’effort, l’exigence sont plébiscités par la majorité, on envisage la suppression des notes et la fin des internats d’excellence et on prépare en douce la mise au pas des prépas, dernier bastion de la méritocratie – trop bourgeoise, sans doute.

Si l’éducation n’est pas venue à bout de toute singularité, l’aristocratie de la culture s’y emploiera. Le népotisme, les réseaux subventionnés, les connivences politiques et le conformisme de l’anticonformisme se coalisent pour dicter au peuple ignorant ce qu’il convient d’aimer. Une étroite caste se partage les places et les honneurs, condamne à l’oubli et à la précarité d’authentiques créateurs et se gausse des ploucs horrifiés par le plug anal géant, tellement rebelle, de Paul McCarthy place Vendôme.

Curieuse époque, tout de même, qui célèbre la démocratie citoyenne et ignore les aspirations fondamentales des citoyens. La génération 68 a perdu la bataille idéologique : de plus en plus de Français veulent en finir avec l’héritage de sa révolution d’enfants gâtés. Mais elle entend toujours régenter les esprits. Et quand elle échoue à convaincre, elle n’hésite pas à châtier, comme en témoignent les innombrables procès en sorcellerie et les mises en quarantaine prononcées à l’encontre de tous ceux qui ne pensent pas droit.

Le plus grave, c’est que ces minorités agissantes (dont la puissance est à la mesure de la faiblesse de l’État) contribuent à soulever les Français les uns contre les autres. On l’a vu lors du débat pipé d’avance sur le « mariage pour tous ». Le lobby LGBT (dépourvu de toute représentativité) voulait un affrontement frontal : les insultes proférées contre les opposants, les manipulations, les amalgames honteux, le refus de toute discussion – les mots « droits » et « égalité » suffisant à réduire l’adversaire au silence –, ont abouti à ternir l’image d’une communauté qui auparavant avait la sympathie de tous ou presque. La majorité des homosexuels aurait sûrement préféré un débat plus serein.

On pourrait encore évoquer le jusqu’au-boutisme de certaines associations féministes qui ont déclaré la guerre au « vieux mâle blanc hétérosexuel », la cécité que tentent d’imposer les « antiracistes », ou encore certains syndicats capables de bloquer le pays ou de conduire des entreprises au cimetière sans que personne n’y puisse rien. Mais on n’en finirait pas.

Reste à s’interroger sur la curieuse complaisance des médias pour ces opinions minoritaires et ceux qui les portent, quand ces mêmes médias ne cachent pas leur mépris pour les idées partagées par un grand nombre de leurs concitoyens. En effet, cette tyrannie du petit nombre ne peut s’exercer que grâce à d’efficaces porte-voix médiatiques. Faisant en quelque sorte office de lobby des lobbies, les médias deviennent ainsi les adversaires du pluralisme qu’ils prétendent incarner.

Chaque jour, la loi de la République doit ainsi s’incliner devant la loi de la minorité. Et on ne voit nul homme d’État se dresser contre ce festival de revendications catégorielles auxquelles s’ajoutent désormais des exigences religieuses et culturelles. Au contraire, les élus auxquels le peuple a confié la défense de l’intérêt général somment sans cesse ce peuple de « s’adapter », de « respecter les différences » et, finalement, d’effacer la sienne pour ne pas « stigmatiser ». Face à cette forme larvée de dictature, on songe à ce que penserait de Gaulle s’il revenait nous visiter. « La chienlit au pouvoir ? » Il n’y croirait pas un instant.[/access]

*Photo : SALOM GOMIS SEBASTIEN/SIPA. 00699456_000003.

Décembre 2014 #19

Article extrait du Magazine Causeur



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