Les casseurs, des Champs-Elysées et d’ailleurs, ne sont pas des étrangers : comme les joueurs de l’équipe de France, ils sont les fils de la République. Nous ne devons pas commettre la même erreur qu’en 1998.
Après une folle nuit de célébration, la France s’est réveillée, lundi 16 juillet, fière, heureuse mais aussi un peu sonnée. Grisée mais groggie. Au matin de cette première journée sur le toit du monde, ce n’est pas une simple gueule de bois que nous avons éprouvée. En de nombreux points de l’Hexagone, les scènes de liesse et de joie ont parfois été entachées par des actes de vandalisme.
Bris de bleus
Nos existences post-modernes sont désormais vécues deux fois : une fois sur le vif et une seconde fois en captation et en partage numériques. Rares furent les témoins directs de ces échauffourées. Pourtant, personne n’a pu échapper aux images dérangeantes de cette extraordinaire et magnifique communion nationale perturbée par des hordes d’adolescents déchaînés.
Perturbantes, ces séquences le sont à plus d’un titre. L’effet contraste y est saisissant. Sur certaines vidéos, des pillards sortis d’une série de zombies avec, en arrière-plan, un arc de triomphe pavoisé et lumineux qui n’a jamais mieux mérité son nom.
En regardant ces gamins, principalement d’origine africaine ou maghrébine, le Tricolore sur les épaules briser des vitrines, renverser des véhicules et caillasser des CRS, on ne peut se départir d’un malaise.
C’est la faute à Voltaire
Nous ne sommes plus en 1998. Les attentats sont passés par là. Plus personne ne célèbre une France black-blanc-beur, surtout pas les Bleus qui revendiquent leur patriotisme haut et fort. Et les gosses des banlieues qui affluent dans les centres villes pour laisser éclater leur joie leur emboîtent le pas. On assiste à la démonstration filmée de l’assimilation paradoxalement réussie de la jeune génération. Comme si ces casseurs, euphémisme pour parler des bandes de voyous, étaient, sans le savoir, les descendants des sans-culotte, les héritiers de Gavroche, des communards et des étudiants de 1968.
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L’émeute et l’affrontement avec les forces de l’ordre font tellement partie de notre ADN historique que cette jeunesse est plus française qu’elle ne le soupçonne elle-même. Y compris et peut être surtout dans sa détestation des forces de l’ordre et dans son anarchisme. Mais il n’y a qu’une piètre consolation à tirer de ce constat. Certes, et ce n’est déjà pas si mal, les oiseaux de mauvais augure du « remplacisme », les obsessionnels de la race qui prophétisaient la sécession ethnique et islamiste en ont été pour leurs frais. Dimanche soir, les indigénistes, censés communier dans la haine de la France, brandissaient fièrement le Tricolore. Ceux que certains décrivaient comme de la graine de djihadistes dévalisaient les supérettes pour se procurer de l’alcool. Peu d’oriflammes algérien, tunisien ou marocain à l’horizon. Les jeunes violents des cités ne se sentent pas étrangers. Les casseurs ne se réclament pas de l’islam pour voler les « koufars ». Les racailles ne se revendiquent pas noirs ou arabes. Ils sont de jeunes français et « en même temps » de jeunes barbares sans foi ni loi.
La France n’a pas le problème qu’elle croit
Pour autant, les béni-oui-oui du vivre-ensemble et les autruches de la société omni-tolérante seraient mal avisés de pavoiser. Les Français d’origine européenne sont très peu nombreux à y prendre part. Refuser de l’admettre confine à l’aveuglement idéologique.
Les classes « dangereuses » ne sont pas seulement des classes populaires mais aussi et peut-être surtout des classes aliénées. La distance religieuse et culturelle et, plus encore, la contradiction entre les valeurs familiales (patriarcales) et les valeurs sociales (celle d’une école et d’une société française livrée au relativisme maternant) jouent certainement un rôle dans cette aliénation. Situation que l’on peut ainsi résumer : la France a un sérieux problème avec une partie de sa jeunesse d’origine immigrée mais elle n’a pas le problème qu’elle croit.
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Ce n’est pas la couleur de peau de la racaille, ni son idéologie (laquelle ?) qui pose problème aux Français paisibles (de toutes origines d’ailleurs) mais le complexe de supériorité et le sentiment d’impunité dans lequel elle se berce.
Car, bien qu’isolés, ces actes de vandalisme ne doivent surtout pas être pris à la légère. On serait d’ailleurs bien inspiré de leur appliquer un raisonnement par récurrence cher aux mathématiciens : si ces jeunes sont à ce point agressifs alors qu’ils manifestent leur joie, on redoute la brutalité qui se déchaînerait s’ils étaient réunis par la colère.
« Tout, tout de suite »
Dimanche soir, nos Meursault des cités étaient heureux de se voir si triomphants et si forts dans ce miroir embellissant que leur tendait les médias ainsi que tout un peuple adulant le génie footballistique d’un Mbappé (d’origine moitié camerounaise, moitié algérienne et pourtant si fier d’être Français).
Ces ilotes des quartiers sensibles ne sont pas fondamentalement méchants. Pourtant, dans leur juvénile bêtise, ils représentent un grave danger pour eux-mêmes et pour la concorde nationale. Ils se croient tout puissant. Ils ne comprennent pas ou n’admettent pas les règles du réel. Le rôle du talent, de la chance et du travail ainsi que le caractère totalement exceptionnel d’une réussite comme celle des Bleus leur sont totalement étrangers.
Tout leur est dû. Cela fait 40 ans qu’on leur dit et leur répète qu’ils sont des victimes. Eux se voient comme des dominants. Ces prédateurs à capuche n’entonnent le refrain de la victimisation que comme un rôle appris et dont ils ont compris les bénéfices. Ils croient ce qu’on leur a si bien enseigné : ils pensent avoir droit à une réparation illimitée. Comme dans la télé-réalité, comme dans Scarface, comme dans l’univers du rap ou dans ce qu’ils perçoivent du showbizz, du foot et des start-up, ils veulent « tout, tout de suite ».
Ces barbares ne sont pas hors les murs. Ils sont nos compatriotes et nos enfants.
Marianne vient d’être pelotée
L’un de mes amis m’a rapporté une scène, digne des Choses Vues de Victor Hugo, qui corrobore cette analyse. Dimanche soir, minuit passé sur les grands boulevards, une jeune parisienne élégante appartenant manifestement à la classe moyenne agite un drapeau.
Un jeune passe devant la belle qui sourit, heureuse de cet instant de communion. Le sauvageon s’arrête et malaxe furtivement la poitrine de la fille, en éclatant de rire. L’agresseur repart aussi vite qu’il était venu. Il a agi avec tant de spontanéité que la victime en est restée interdite.
Marianne vient d’être pelotée. Au risque de casser un peu l’ambiance, il est important de regarder cette réalité en face. Sans rien céder de notre fierté retrouvée et de notre joie légitime, il ne faut pas reproduire l’erreur de 1998 et se bercer d’illusions qui seront forcément déçues. Au contraire, cette fois, les promesses de l’unité et de la République doivent être tenues. Partout et quoi qu’il en coûte.
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