A. s’est coupé ce matin en se rasant ; il a jeté rageusement la double lame SupraCut, pourtant volé la veille à Lidl, contre le miroir ébréché des toilettes.
B. ne reçoit plus de sms de Sarah. Leur caresses en cachette lui manquent, son sourire quand elle est collée à C. le dévaste.
C. éjacule toujours trop tôt avec Sarah, à cause des images qui lui brouillent la tête, à cause de Sarah aussi, cette p…
D. s’est encore disputé avec son beau-père, qui ne lui parlera pas avant qu’il se décide à faire le premier pas. Il ne supporte plus la morgue de celui-ci, quand il lui tend son argent de poche, billets de 100 euros qui sentent l’Hugo Boss et le tabac froid.
E. ne retourne en prison que dans trois jours : il a tout le temps qu’il faut.
F. s’est fait renvoyer du lycée après avoir frappé jusqu’au sang une prof qui n’était même pas la sienne.
G. est la risée des autres parce que ses Converse sont fendues depuis plus d’une semaine.
H. n’a pas fait son compte ce mois-ci ; les flics ont trouvé sa réserve à l’intérieur du lampadaire. Il leur fera payer.
I. n’ira pas sur la tombe de son frère cette année, et n’adressera plus la parole à son père saoul sur le divan.
J. ne sait plus s’il a envie de se faire un gréviste, un CRS ou une lycéenne, mais il sent que ça vient.
K. a besoin de nouvelles fringues, et de montres aussi.
L. s’est fait tatouer « Tony » sur le poignet et un « Montana » vertical sur la cuisse, mais tous les autres l’appellent le Fou.
M. a changé d’imam. Le précédent lui parlait d’obéissance et de foi, mais le nouveau sait ce qui est bon pour lui : mettre à sac ce qui s’interpose entre son âme et Dieu.
N. n’a pas de religion ; pas de parents non plus, du reste. Elevé par une tante qui ne parle pas français, au milieu de nombreux cousins qui braillent, il ne s’isole jamais mieux que sur son skyblog guerrier où il est le chef de Crew Commando.
O. est l’un des meilleurs pour le tir de mortier : son bras bouge à peine au moment de la déflagration.
P. a fait deux ans de psycho et sent la honte monter. Quand il crie, les autres baissent instantanément les yeux.
Q. pense que ses collègues du syndicat ne voient pas assez loin et qu’ils se feront avoir comme d’habitude.
R. a donné plus de gifles qu’il n’en a reçues, aux profs, aux éducateurs, à ses sœurs, à sa mère aussi. Il n’y a que son petit frère qui l’apaise, juste en souriant.
S. a douze ans mais c’est lui qui, l’année passée, a réussi à blesser un pompier sans se faire prendre. Respecté dans le quartier, et même au-delà, il est souvent interviewé dans les reportages-choc.
T. a la rage contre les Français qui ont fait de son père un larbin et de son frère un rappeur en vogue.
U. va de dilemme en dilemme : musulman accro à la bière, sentimental ne rechignant pas au viol, rmiste gagnant plus que toute sa famille réunie.
V. aime bien faire pleurer ceux qui se mettent en travers de son chemin : il sait qu’il fait peur et rien ne peut l’empêcher d’aimer ça.
W. prend son rôle très au sérieux. Il a tout le harnachement qu’il faut et le vocabulaire qui va avec : pour un peu on jurerait que c’est un vrai.
X. insulte en américain, en français et dans sa langue maternelle. Il rêve de Malcolm et aimerait éradiquer, vraiment éradiquer, tous les bouffons.
Y.. n’oubliera jamais la silhouette silencieuse de ses parents, il y a sept ans, revenus la tête basse de l’usine qui n’a jamais rouvert.
Z. aime sentir ce frisson qui vous prend quand on détale dans la fumée, cette ivresse des sirènes hurlantes et des caméras affolées.
En dépit des simplificateurs de tout poil qui aimeraient tant les absoudre, les féliciter ou les maudire en bloc, ces vingt-six individus ont pu se retrouver cet après-midi-là place Bellecour, unis le temps d’une échauffourée : tous casseurs !
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