Casse-Noisette est mis à l’honneur sur la scène du Grand-Théâtre de Bordeaux. Dans cet écrin, le ballet de l’Opéra national de Bordeaux déploie un savoir-faire admirable pour donner vie au chef-d’œuvre de Tchaïkovski.
À Bordeaux, le simple fait de se rendre au Grand-Théâtre est en soi un plaisir. Que l’on soit face au magnifique édifice de Victor Louis avec, depuis sa chambre, une vue superbe sur la façade, ou que l’on chemine, pour y accéder, à travers une ville d’une beauté classique si harmonieuse, le parcours est un enchantement. Et lorsqu’on parvient au Grand-Théâtre, la noblesse de son vestibule monumental constitue un sujet d’admiration supplémentaire.
Convenu mais plaisant
En ce mois de décembre, divertissements de fin d’année obligent, le Ballet de l’Opéra national de Bordeaux affiche une production de Casse-Noisette. Rien de plus traditionnel, sinon de plus convenu. Et pourtant, rien de plus plaisant, tant la musique de Tchaïkovski, un chef-d’œuvre du genre, est spirituelle, envoûtante, et tant est séduisante l’histoire imaginée par E.T.A. Hoffmann, remaniée par Alexandre Dumas.
Pour cette réalisation hivernale honorablement portée par l’Orchestre national de Bordeaux-Aquitaine, sous la conduite du Lituanien Robertas Servenikas, on a eu recours, la chose n’est pas ordinaire, à un chorégraphe bulgare, Kaloyan Bojadjiev. Oui, un Bulgare, un vrai, né à Sofia au cours du crépuscule de l’effroyable dictature communiste, formé à la danse dans sa ville natale, danseur soliste à Pretoria, puis à Oslo où il s’essaie à la chorégraphie jusqu’à créer cette version de Casse-Noisette en 2016, laquelle obtient un franc succès dans son pays d’adoption. Assez pour qu’elle en vienne à débarquer (considérablement modifiée) à Bordeaux. Et cela en coproduction avec le Ballet de l’Opéra de Leipzig, en Saxe.
Salle comble pour 17 représentations
Longtemps dirigé par un ancien danseur étoile de l’Opéra de Paris, Charles Jude, et aujourd’hui par un ancien premier danseur de la même institution, Éric Quilleré, le Ballet de l’Opéra national de Bordeaux a déjà à son actif un vaste répertoire où l’on n’oubliera pas l’envoûtant Pneuma, création de Carolyn Carlson au cours de laquelle la compagnie fit des merveilles. Elle compte encore d’innombrables pièces du répertoire classique et néo-classique ou des créations contemporaines qu’elle a généralement su défendre avec vaillance.
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Comptant quarante danseurs qui forment un beau groupe homogène, cette excellente troupe ne peut cependant s’attaquer à de grosses productions sans faire appel à des surnuméraires. Ils sont vingt-cinq danseurs supplémentaires pour permettre d’assurer, en alternance, les dix-sept représentations de ce Casse-Noisette qui fait salle comble. À eux s’ajoutent seize enfants venus du Conservatoire de Bordeaux.
Plus que la chorégraphie proprement dite, c’est bien le travail de mise-en-scène qui fait ici l’excellence du premier acte. Faut-il, plus qu’au chorégraphe bulgare, en être redevable au dramaturge et metteur-en-scène anglais Jon Bausor (associé à la Royal Shakespeare Company) qui a également conçu l’ensemble de la scénographie, des décors et des costumes ?
Tableaux plein de vie
Toujours est-il que les tableaux qui se succèdent – scènes de rue tout d’abord, où les auteurs envoient une flèche empoisonnée à la brutalité aveugle des militaires figurés sur le plateau ; scènes dans les salons des parents de la jeune héroïne, Clara, saisissante bataille rangée entre les rats, leur roi (excellente interprétation du titulaire du rôle) et les soldats de bois – ces tableaux sont pleins de vie, de naturel et magnifiquement exécutés. Pour ne rien dire de la danse des flocons de neige, si habilement chorégraphiée qu’elle donne l’illusion surprenante de vrais tourbillons neigeux quand débute leur chute. L’ensemble s’insère dans un décor remarquable d’élégance et de sobriété, mais d’où sourd aussi un inquiétant climat d’étrangeté.
Un décor qui, dans le songe de Clara, grandit démesurément, ce qui, sous les yeux des spectateurs, offre un effet théâtral extrêmement convaincant… avant que la jeune fille (Mathilde Froustey) et le jeune prince de ses rêves (Riku Ota), l’un et l’autre excellents techniciens, on le verra au second acte, s’envolent poétiquement sur un énorme lustre de cristal qui les transporte à Confiturembourg, le royaume de la fée Dragée.
Hélas, aussi enthousiasmante que peut être la première partie du ballet, le seconde apparaît en revanche bien quelconque. Il est vrai que l’action y est quasiment nulle, qu’elle n’est constituée que de divertissements, de pas-de-deux et de variations peu propres à exciter les neurones d’un dramaturge. Et ce n’est pas en travestissant les danseurs en bonbons, sucres d’orge et autres pièces en chocolat, qu’on les sort de l’ornière. Toutefois, le chorégraphe aurait pu imaginer des scènes originales sur les pages exquises de Tchaïkovski, plutôt que de s’en tenir à un modèle terriblement conventionnel. Aussi remarquables qu’aient été les décors du premier acte, ceux du second sont curieusement insignifiants. Et le contraste est si flagrant entre les deux parties qu’on en vient à se demander si la production n’a pas été victime de cruelles restrictions budgétaires. C’est infiniment regrettable, car le Ballet de Bordeaux, qui a fait pour cette grosse entreprise un effort considérable, tenait là quelque chose de parfait pour asseoir davantage encore sa belle réputation.
Casse-Noisette, Ballet de l’Opéra national de Bordeaux, au Grand-Théâtre de Bordeaux. Jusqu’au 31 décembre 2024.
05 56 00 85 95 ou https://www.opera-bordeaux.com/danse-famille-casse-noisette-54772#a-propos