Les réseaux et la presse retentissent d’une clameur qui permet de poursuivre gaiement le Macron bashing, distraction estivale pratiquée avec d’autant plus de joie mauvaise que je n’ai pas voté pour Jupiter et sa bande. « Les députés n’auront pas besoin d’un casier judiciaire vierge » nous annonce la presse.
Démagogues et ignorants
Aïe, mauvaise pioche, la ministre de la Justice qui a souhaité retirer cette partie du texte, a entièrement raison sur ce point. Curieux d’ailleurs que cette revendication, guère poétique, qui est une ânerie démocratique et juridique, soit devenue ce serpent de mer. Que l’on voie émerger de loin en loin, transformée en étendard par les démagogues qui pensent gagner des voix en proclamant qu’il faut laver plus blanc que blanc. Il y a également malheureusement aussi des gens de bonne foi qui, souvent par ignorance, la voient à tort comme un moyen de moralisation de la vie publique.
Mélenchon dans l’ornière
Concernant les politiques qui la brandissent, on peut légitimement penser qu’il s’agit de mauvaise foi. Les équipes d’Emmanuel Macron la présentaient comme une des mesures phares de la loi de moralisation, première initiative que le jeune monarque, par François Bayrou interposé (!) devait présenter au Parlement. On voit mal qu’ils n’aient pas lu les avis du Conseil d’État et du Conseil constitutionnel qui leur avait mis les points sur les i. Quant à Jean-Luc Mélenchon, l’homme de la VIe république, qui nous a martelé la proposition pendant des mois, soit, mal entouré il est ignorant, soit c’est un cynique. Dans les deux cas, c’est ennuyeux.
L’inéligibilité est prononcée par un juge
De quoi s’agit-il ? Les tenants de cette mesure veulent inscrire dans la loi l’obligation d’un casier judiciaire vierge pour pouvoir se présenter à une élection. Je rappellerai d’abord l’un des principes fondamentaux du suffrage universel : pour être éligible, il faut être électeur. Et tout citoyen français dispose du droit de vote, et par conséquent se trouve être éligible. On peut priver de ces droits fondamentaux, comme on peut le faire de la liberté avec la prison, mais l’inéligibilité est une peine. Et comme toutes les peines, dans une société démocratique, elle va devoir être prononcée par un juge après une procédure contradictoire régulière.
Et la Constitution?
La loi française la prévoit comme « une peine accessoire », qui doit être appliqué dans le respect des principes du droit pénal de personnalisation et de proportionnalité de la peine. Tout ceci résulte de la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen, de la Constitution, et de la Convention Européenne des Droits de l’Homme. Excusez du peu. Il n’y a pas de peines automatiques, celles-ci sont proscrites. Donc faire dépendre l’éligibilité d’un citoyen par ailleurs électeur, qui a accompli sa peine et payé sa dette à la société, est une façon de le chasser à jamais de la communauté des citoyens. C’est radicalement inconstitutionnel.
Ce qu’est le casier judiciaire
Et puis qu’est-ce que c’est que ce casier judiciaire ? C’est un outil d’information qui porte la mention des condamnations subies par un citoyen. Il est divisé en trois bulletins :
- le bulletin numéro 3 (B3), celui qui ne comporte que les condamnations les plus graves et dont le citoyen concerné peut demander la délivrance.
- Le bulletin numéro 2 (B2) qui comporte la plupart des condamnations avec beaucoup d’exceptions. Ce bulletin ne peut être délivré qu’à certaines administrations pour des motifs précis et limitativement énumérés. Certains employeurs privés y ont également accès pour les mêmes motifs. C’est de cette possibilité que découle la tarte à la crème : « on demande bien le casier pour embaucher un pompier ». Un pompier est choisi sur la base d’un certain nombre de critères, et il n’y a pas que le casier… Il n’est pas élu au suffrage universel.
- Le bulletin numéro 1 (B1), particulièrement complet, accessible aux seuls magistrats et établissements pénitentiaires.
Payer sa dette à la société
Rappelons qu’il est toujours possible de demander au juge la non-inscription des condamnations au B2 et au B3. Et ceci même bien après le prononcé de celles-ci.
Par conséquent, le casier judiciaire n’est pas une sanction, mais une information à la disposition de différentes institutions. Cette information peut disparaître au bout d’un certain délai, en général assez court s’agissant des délits et contraventions, plus long pour les crimes. Tout ceci est d’ailleurs fort logique, puisque le droit pénal est là pour « rétribuer » l’infraction, fixer le montant de la dette à la société, et dès lors qu’elle est réglée, permettre la réintégration à la communauté nationale avec tous les éléments attachés au statut de citoyen. Vouloir donner au casier judiciaire la valeur d’une sanction, c’est ne rien comprendre des conditions de l’exercice de la violence légitime déléguée à l’État par les citoyens.
L’exemple Balkany
Alors pourquoi s’exprime régulièrement ce besoin compulsif de pénal, et cet amour de la punition ? Comment cette pulsion peut-elle être aussi fréquemment reprise et flattée par ceux qui s’imaginent que le populisme judiciaire sera utile pour leur permettre de se dispenser de faire la preuve de leur efficacité dans la défense de l’intérêt général ?
Plusieurs sentiments se combinent, mais finalement celui qui domine est celui de la défiance vis-à-vis des électeurs. Ceux qui ne sont pas moi, et qui votent mal. Prenons simplement l’exemple emblématique de Patrick Balkany. Voilà un maire caricatural, tête de turc des médias qui sera battu à la régulière en 1995 par un candidat se présentant comme un Monsieur propre. Mais le Zorro sera battu à l’élection suivante, victime de son incompétence, Balkany faisant un retour triomphal en 2001. J’habiterais Levallois-Perret, aucune chance que je vote pour lui, mais une très grande majorité des habitants de cette ville ne sont pas de mon avis. Alors ceux-là, il faudrait les priver de leurs moyens de choisir ? Parce qu’ils ne pensent pas comme moi ? Pas d’accord, un homme (une femme) une voix. Il y a aussi l’exemple des présidentielles de 2002, où Lionel Jospin fit le choix suicidaire d’une campagne contre Jacques Chirac axée uniquement sur les « affaires ». On sait qui a tiré les marrons du feu.
Du boulot en septembre
La France vient de payer très cher la manipulation, par toute une série d’instrumentalisations judiciaires et médiatiques, de l’élection présidentielle, mère de toutes les batailles. Un président inquiétant, une Assemblée nationale partiellement ridicule, une majorité de Français dans l’expectative, il y aura donc du boulot en septembre. Ne nous laissons pas distraire par des bêtises.
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