Accueil Culture Jean-Paul Belmondo et moi (1/8)

Jean-Paul Belmondo et moi (1/8)


Jean-Paul Belmondo et moi (1/8)
Jean-Paul Belmondon dans "Léon Morin prêtre".

Cartouche (1962)

Dans Cartouche, Claudia Cardinale meurt. On ne devrait jamais faire mourir Claudia Cardinale. C’est un postulat de base du cinéma. Vous pouvez faire mourir Danièle Évenou, Isabelle Huppert, Véronique Genest, Marion Cotillard, Virginie Efira, Marie-Anne Chazel, mais pas Claudia.


Cartouche ( 1962 – bande annonce ) par fludbis

Léon Morin, prêtre (1961)

Je me souviens d’un article de journal sur les conditions du tournage et des rares mots prononcés par mon père au sujet de notre futur mariage avec Julia. Le film, tout le monde le connaît, confrontation torride entre Riva et Belmondo, sur fond d’Occupation, de religion et de désir refoulé. Léon Morin, prêtre, c’est l’image d’un Belmondo en soutane au volant d’un cabriolet AC, débarquant sur le plateau, avec l’insolence de son talent. Toit décapoté, chapelet au vent et carmélites en bakélite. La messe est dite ! La chapelle sixties ouvre ses portes. La décontraction à l’état pur. Belmondo, incorrigible et magnifique, pas le genre introspection, mise en condition, disons le gros mot, « Actors Studio ». Dérapage contrôlé, klaxon italien, vrombissement de sa voiture de sport, stupeur dans l’équipe, admiration des figurants, agacement teinté de jalousie d’un Melville en Stetson et puis, dès que la caméra tourne, moteur, action, le fanfaron de la place Denfert-Rochereau ne joue pas pied au plancher. Surprise, il reste sur la réserve, bloqué sur le frein. Le trublion du Conservatoire renverse la vapeur. Les certitudes volent en éclats. Vous vouliez de l’ébouriffant, vous vous attendiez à du grandiloquent, il vous servira de la génuflexion, tout en finesse et componction. Prière d’admirer l’artiste, le numéro d’équilibriste. Une leçon de cinéma et une morale pour son jeune public d’alors. Toujours surprendre son entourage me disait mon père, ma demande en mariage n’était-elle pas prématurée ? Brouiller les pistes, dépasser les convenances de son milieu, oser l’imprévu ! Au risque de foncer droit dans le mur comme avec cette insaisissable Julia. Pratiquer le beau jeu même si, à la fin de la partie, le tableau des scores vous déclare désespérément vaincu. Belmondo nous apprend que la vie est un Grand huit dans lequel on ne tient pas le manche. Et vogue la galère… Avec ma fiancée, j’ai essayé de créer ce personnage complexe, un jour, fils de bonne famille, un autre, gueule de rastaquouère patibulaire. Le courant alternatif. Il faut du temps pour se forger des identités multiples.


Léon Morin, prêtre 1961 par le-pere-de-colombe

 

Flic ou voyou (1979)

Énième interprétation de la guerre des polices. Le commissaire Stanislas Borowitz déboule à Nice pour confondre deux flics corrompus, les inspecteurs Rey et Massard. « Celui qui a des lunettes, c’est Rey, le plus con, c’est Rey, le plus dangereux c’est Rey, l’autre, c’est Massard », formule audiardesque balancée par l’inénarrable Charles Gérard. Charlot pour les amis, amateur de jolies filles, surnommé l’homme-crocodile en référence à son addiction aux polos Lacoste et à sa passion pour le tennis. Belmondo fait le ménage sur la Promenade des Anglais en réglant ses comptes à Theo dit l’Auvergnat et à Achille Volfoni dit le Corse, deux truands sortis des années 40, du côté de la rue Lauriston autour du numéro 93. Alors que le film date de 1979. Tout un programme éculé comme cette sordide demande dans une trattoria bruyante de Saint-Sulpice. Julia, le nez dans une plâtrée de linguine, aussi distante que Marie Laforêt à l’écran. Snob et hautement baisable. Les femmes qui font la gueule sont de puissants aphrodisiaques. Entre l’odeur de friture et mes hésitations proustiennes, la ficelle semble un peu usée. J’ai un souvenir précis, mon père particulièrement à cheval sur les horaires du coucher, m’avait laissé veiller un dimanche soir pour que nous regardions en famille Flic ou voyou. Il avait compris toute l’importance pascalienne de Belmondo dans mon éducation. Au-delà de l’idée mouvante de bien et de mal, Belmondo nous enseigne l’irrévérence et l’absurde comme si la vie s’apparentait à une mascarade, un immense jeu de rôles où l’on pourrait à chaque mi-temps, changer de camp.

Dans les meetings de Lutte ouvrière, Arlette aurait dû montrer des extraits de Flic ou voyou à ses militants galvanisés de rouge carmin. Elle aurait aisément atteint le deuxième tour de la présidentielle. Les bourgeois y sont grossiers, les truands chaleureux, les flics pourris, les femmes trompées, les commerçants veules, les putes sentimentales, les proxénètes calculateurs, les hommes défaits et les écrivains forcément neurasthéniques. Une vraie grille trotskiste de la société giscardo-mitterrandienne en marche. Ce que je préfère, c’est la scène d’ouverture ahurissante de bouffonnerie. Si au moins j’avais réussi avec Julia mon entrée en scène, nous n’en serions pas là. Même ça, je l’ai lamentablement loupé. Belmondo s’arrête sur une aire d’autoroute au volant d’un cabriolet Caterham blanc et déplie à même le sol son sac de couchage. Il est attaqué par des marlous de banlieue qui roulent en Renault 16. Des voyous en R16, on est déjà dans le second degré. Après avoir été menacé et dépouillé d’une partie de ses vêtements, le commissaire Stanislas sort un flingue, enfin un pétard que même les Américains n’osent montrer dans leurs films d’action par peur d’inciter au crime racial. Clint Eastwood peut retourner à l’armurerie. Dents blanches et diction parfaite, Belmondo demande à ses visiteurs du soir si la soie revient à la mode afin qu’ils baissent leur froc. Pour un garçon qui a eu l’autorisation exceptionnelle de se coucher à 22 h 30, la veille d’un jour d’école, quelle jouissance, quel bonheur ! Liberté, j’écris ton nom : Belmondo ! Simpliste, manichéen, grotesque, quel gosse n’a pas rêvé un jour, une seule fois d’imposer ses choix, d’être le patron, le boss ultime, dieu dans la cour de récréation? Je commande, j’ai le revolver en pogne, vous n’avez qu’à bien vous tenir. Dans les entreprises, nous courrons tous après cette promotion, ce mirage des Trente Glorieuses, la voiture de service et la secrétaire accorte aux seins lourds de conséquences. Cette course ridicule au pouvoir, Belmondo nous l’explique avec son flingue de compétition. Ce soir-là, dans ce restaurant vaguement italien, je ne possédais pas une arme aussi dissuasive. Mes mots bégayaient dans la panna cotta. Ma demande passait au mieux pour une provocation, au pire pour une blague de très mauvais goût.


Flic ou voyou: trailer par cinebel

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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