À la rentrée, Cartouche (1962), le film de Philippe de Broca avec Jean-Paul Belmondo, Claudia Cardinale et Jean Rochefort sortira dans une version restaurée. En avant-première, Causeur vous en parle.
Les héros ne sont jamais fatigués chez Philippe de Broca. À Rio ou à Mexico, dans la forêt d’Ermenonville ou du côté de Pézenas (lieux de tournage de Cartouche en 1961), ces personnages magnifiques et fantasques courent, chevauchent, chapardent et pétaradent comme des enfants turbulents dans une cour de récréation. Le sourire aux lèvres et la répartie fracassante. Jamais rassasiés de cette fureur intérieure qui les pousse à vivre vite et avec déraison. Comme si la destinée se jouait sur un coup de dé. À pile ou face. Là, maintenant, aujourd’hui, sur le moment, car après, il sera trop tard. Les jeunesses pauvres sont faites pour exulter. Que les corps s’effondrent de fatigue ou de plaisir, il sera toujours temps de penser à la mort, un jour peut-être. Avant, il serait discourtois de ne pas se goinfrer au buffet de l’existence. La fougue est un plat qui se mange bouillant. C’est la première leçon de ce cinéma cavalier et primesautier, un pied-de-nez aux pesanteurs des époques noires, une politesse du désespoir, de ces espagnolades qui enivrent, de ces mécaniques infernales qui tournent sur elles-mêmes, une toupie qui annihilerait la pendule, détraquerait les aiguilles de l’horloge. Philippe de Broca est un métronome pressé. Il compresse les minutes en secondes. Aucun sablier ne lui résiste, il les casse pour les passer à sa propre moulinette, un tamis à gros trous, à grandes lampées.
Le cinéma qui brille et émerveille
Avec lui, l’accélération est le rythme normal de croisière et de narration. L’avenir étant incertain, par nature. Le passé périmé, par essence. Reste ce présent angoissant et friable que Dieu met à notre disposition, prenons-le et faisons-en bon usage, nous dit-il, en substance. Il n’est pas de ces réalisateurs pointillistes qui touchent le public par quelques effleurements de la caméra, variations infimes, de ces chipoteurs de la focale qui s’émerveillent d’un bouton de fleur ou d’une capeline moirée. Philippe de Broca embrase la pellicule par une fantasia qui s’étend indéfiniment, à perte de vue, il ne s’arrête plus, il filme animé par bonheur et par nécessité. Le spectateur est happé par cette cavalcade. Il suffoque parfois par tant de frénésie. Maître, laissez-nous respirer ! le supplions-nous, le visage en sueur, devant notre écran. C’est sa manière à lui de nous être agréable, cette vieille courtoisie délicieuse des aristocrates, Philippe de Broca n’a pas décidé (pour l’instant) de noircir l’horizon, il veut se faire aimer, alors il déploie sa maestria en plans larges, en munificence de costumes, en dorures et bijoux scintillants, ce cinéma-là brille et émerveille.
Si le XVIIIème siècle m’était conté
Il plonge dans notre histoire de France avec gourmandise et taquinerie. Il recouvre d’un habit de lumière, les trente premières minutes de son film, le drape de mille feux. Le XVIIIème siècle explose sur la toile blanche. Le faste est son quotidien. L’aventure sautillante, son tempo durant 1 h 42 mn. L’excès, sa source d’inspiration. Il en extrait une satire splendide, un sprint épuisant vers l’au-delà. Car, ne vous y trompez pas, derrière les bagarres et la légèreté des propos, les chaises qui volent dans une taverne et les décolletés des filles de joie, la misère sourd. Le déclin est en marche. Inexorablement, il trace son chemin. Impitoyable, le tragique s’immisce dans les paroles et les regards de ce divertissement de cape et d’épée. La fatalité pousse tous les protagonistes vers une voie sans issue. L’homme préférera toujours s’agiter, se mentir, se trahir même, quitte à se noyer dans le tourbillon de la vie plutôt que de regarder son reflet si déplaisant dans le miroir. Philippe de Broca, moraliste et libertin, n’est jamais dupe. Ses films ne seraient que brio et fougue, distractions et fariboles, la postérité lui aurait échappé depuis longtemps. Comment pourrait-il séduire un si large public et fixer l’imaginaire de tant de générations successives sans ce regard introspectif sur nos errances et nos faiblesses ? Broca travaille sur l’intime et l’éphémère, la nostalgie et les souvenirs volés, sans avoir recours à un surligneur grossier. Il laisse les zooms outranciers aux faiseurs du 7ème art et à tous les marchands de suspense haletant. Son cinéma élégant et pénétrant, inoffensif en apparence et tellement déstabilisant, n’utilise pas les artifices habituels que sont le larmoyant et le pathétique. Au contraire, il déjoue notre attention par l’aventure, le goût de la farce et des cabrioles. Les cors de chasse et les trompettes de la renommée ne sont qu’un masque.
Romantisme de cascadeurs
Une sorte de bienséance. Philippe de Broca se refuse dans un premier élan de générosité, à juger ses héros et à les classer dans des catégories infamantes. Il déteste les raccourcis, les vainqueurs et les vaincus, par avance. Le pourpre et le pourpoint sont un leurre, le réalisateur veut nous amener sur des territoires toujours plus intimes. Les années passent et ce que l’on croyait naïvement comme un spectacle populaire, un cinéma seulement du dimanche soir, plein de féerie et de coups de poings, de bonne humeur et de panache, était, en réalité, un cinéma tout en profondeurs et anfractuosités. Un abîme où les égos viennent s’échouer, où les sentiments s’expriment dans le silence. L’organdi de toutes les délicatesses. Il a créé un romantisme de cascadeurs, le nouvel orgueil des amoureux.
Suite demain…
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