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Cartel des gauches : la nuit des seconds couteaux

La gauche, une union qui divise...


Cartel des gauches : la nuit des seconds couteaux
Manifestation contre l'extrême droite sur la place de la République, à Paris, le 15 juin 2024. © OLIVIER JUSZCZAK/SIPA

La grande alliance construite par les différents partis de gauche est plus que fragile. Dès la fin des élections, les partenaires – surtout Mélenchon et Hollande – seront à couteaux tirés. Pour sa part, Emmanuel Macron fait le grand écart afin de reconstituer son bloc centriste. L’analyse de Gabriel Robin.


La vie politique de la gauche ne fut pas un long fleuve tranquille ces dernières années. Arrivée miraculeusement au pouvoir en 2012, alors que Nicolas Sarkozy avait toutes les cartes en main pour s’installer durablement durant son quinquennat, la « gauche plurielle » a depuis lors beaucoup perdu dans le cadre de la grande recomposition politique que nous traversons depuis les élections européennes de 2014 où le Front National d’alors était arrivé en tête pour la première fois de son histoire avec 24,86 % des voix.

L’atomisation de la gauche s’est construite en deux étapes principales qui ont détruit l’hégémonie socialiste qui avait été le socle de toutes ses victoires depuis 1981. Elle a d’abord été rendue possible par l’impopularité croisée de François Hollande qui a été rejeté par les siens en mettant en chantier les lois dites « travail » ou El-Khomri, et, évidemment par la droite, dans le contexte post « Manif pour tous ». En outre, la série d’attentats islamistes qui ont ensanglanté la France tout au long des années 2015 à 2017 a alimenté le discours anti-immigration et sécuritaire porté par un Front National alors en pleine mue.

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Il faut savoir que le Parti socialiste qui est arrivé au pouvoir en 1981 sur la base d’un « programme commun » avec le Parti communiste est issu de la synthèse du Congrès d’Epinay de juin 1971. C’est à cette occasion que François Mitterrand devint premier secrétaire du parti, remplaçant Alain Savary et installant l’idée de l’union de la gauche. Des figures célèbres furent à la manœuvre, à l’image de Jean-Pierre Chevènement et Pierre Mauroy qui représentaient notamment l’aile gauche et le CERES. Ce compromis autour du « parti socialiste » s’est effondré sous François Hollande.

D’abord, le 10 février 2016, date de la création de La France Insoumise par Jean-Luc Mélenchon, lui-même ancien de l’aile gauche socialiste qui a pu ainsi renouer avec ses premiers amours lambertistes et former une jeune garde de cadres entièrement dévouée à sa personne. Ensuite, par la formation de La République En Marche par le ministre de l’économie du gouvernement Valls II, un certain Emmanuel Macron. Par cette transgression initiale que Gérald Darmanin avait très justement qualifiée de « bobopopulisme », Emmanuel Macron a acté les contradictions d’Epinay qui ont culminé lors de la primaire du Parti socialiste qui a vu s’opposer lors d’un duel violent Manuel Valls à Benoit Hamon. La gauche était alors irréconciliable, atomisée façon puzzle sur à peu près tous les items politiques fondamentaux : sécurité, laïcité, immigration, économie ou encore éducation.

La France Insoumise : le parrain du cartel ?

En 2022, Jean-Luc Mélenchon a mis temporairement la main sur la gauche. Terminant bon troisième et pas loin d’accéder au second tour juste derrière une Marine Le Pen devancée par le président Macron – avec tout de même 1,6 millions de voix de plus -, Jean-Luc Mélenchon n’était qu’à 400.000 voix de Le Pen. Il s’en est fallu de peu, de très peu… Un meilleur score d’Eric Zemmour l’aurait ainsi porté au second tour ce qui aurait changé toute la dynamique de ce quinquennat. Las, il n’en fut pas ainsi pour l’éternel troisième Mélenchon. Il a, en outre, pâti depuis deux ans des divisions de la gauche et du comportement absolument sidérant de ses députés à l’Assemblée nationale comme en dehors, sans cesse provocateurs et plus qu’ambigus vis-à-vis de l’attaque terroriste du Hamas du 7 octobre. La radicalisation mélenchonienne s’est notamment incarnée au travers de plusieurs figures polémiques mises en avant au cours des derniers mois, dont la plus célèbre est désormais Rima Hassan.

Embrassant non pas simplement l’idéal de la « diversité et du progressisme » cher à Terra Nova, Jean-Luc Mélenchon a tout simplement abandonné le prolétariat classique de la gauche qu’il avait en partie su regagner entre 2016 et 2022 avec l’émergence de personnages plus consensuels et enracinés comme François Ruffin. Il a tout misé sur deux électorats : les très jeunes urbains et la « banlieue » au sens large qu’il a encore plus draguée avec l’antisionisme assumé depuis le 7 octobre. Il n’hésite plus à investir des lambertistes ou des radicaux tels que Philippe Poutou dans l’Aude ou le meneur antifa et fiché ‘S’ Raphaël Arnault dans le Vaucluse, ou encore à maintenir une grande ambiguïté avec un certain conspirationnisme d’extrême gauche qui le voit flirter avec la rhétorique d’un Poutine qu’il n’ose plus condamner que du bout des lèvres, même au plus fort de la guerre.

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Cette rupture avec la France populaire a d’ailleurs été observable lors des élections législatives de 2022, à telle enseigne que certains analystes de le carte électorale pour le Rassemblement National ont constaté une migration directe des voix LFI à la présidentielle qui s’est traduit par l’élection de nombreux députés RN dans le Nord-Est. Là où Mélenchon perdait 5 points, Le Pen gagnait mécaniquement 5 points. Hors quelques endroits bien ciblés, comme la circonscription de François Ruffin dans la Somme, LFI était dépassée dans les endroits en déshérence sociale mais marqués par une sociologie plus « franchouillarde » où la demande d’autorité et de sécurité était importante.

La purge du vendredi 14 juin au soir aura sûrement achevé de les convaincre que Jean-Luc Mélenchon a tout du « tyran ». Pour un geste et un mot de trop, il a éliminé des lieutenants qui le suivaient fidèlement, détruisant politiquement et humainement ceux qui n’étaient pas des « lignards ». De manière amusante, on a d’ailleurs pu voir sur Twitter des commentaires de proches et de militants pro Mélenchon écrire que des gens comme Corbières, Garrido ou Simonnet devaient « tout au parti » qui en retour ne leur « devait rien ». La référence au PPF de Doriot leur échappe sûrement, la culture politique n’étant plus ce qu’elle était autrefois, mais le parallèle est tout de même saisissant. Les exécutés, qui sous Staline auraient fini avec une balle dans la nuque ou affamés au Goulag, ont la chance de ne pas vivre dans le modèle de société que défend leur formation politique : ils seront tous candidats opposés au candidat LFI soutenu par le Nouveau Front Populaire. De quoi promettre quelques moments sportifs sur le terrain.

Au-delà de la politique, il y a l’éthique élémentaire. Celle dont sont dépourvus les appareils claniques et les machines militantes idéologiques, pour qui l’homme ou la femme qui s’engagent sont corvéables à merci et jetables au premier désaccord. Cela inspire-t-il confiance en leur projet ? Non. Et c’est peut-être aussi inquiétant que les outrances gauchistes, islamo-compatibles et racistes anti-blancs des « Insoumis », sans même évoquer le programme économique qui nous mettrait sous le feu du FMI comme le Venezuela de Maduro.

Et pour le « cartel » : one-shot habile ou amour durable ?

Les « cartels » sont un grand classique de la gauche française. « Séparés, ils frappaient ensemble », dit un jour Léon Trotski. C’est le principe du « cartel » électoral. De la fin du XIXème siècle à 1936 avec le Front Populaire, c’est ainsi que la gauche a procédé pour gagner le pouvoir. Hier sur BFM TV, Jean-Christophe Cambadélis qui représente l’éternel lieutenant tenant du « parti » a expliqué de la sorte l’inclusion surprise de François Hollande au Nouveau Front Populaire : « Hollande est dans la course pour ne pas laisser la gauche à Jean-Luc Mélenchon et la France à Marine Le Pen ». Tout est dit. Il trace d’ailleurs ici une forme d’équivalence. La référence au poème d’Aragon appelé « La Rose et le Réséda », aussi aimé des socialistes que des communistes, dévoile la logique du procédé.

On peut le résumer ainsi : les socialistes pensent faire aux Insoumis le coup de Blum, les Insoumis espèrent faire celui des Bolchéviques aux socialistes. Le tout justifié par la peur des Blancs – sans mauvais jeu de mots -, aujourd’hui comme hier. Le pari est moins risqué pour les Insoumis, puisque Jean-Luc Mélenchon a totalement intériorisé le changement démographique et sait tenir la rue. Investir Arnault et Poutou est aussi miser sur le fameux « troisième tour ». L’histoire bégaye et la gauche s’abandonne à ses instincts grégaires et purgeurs.

De son côté, François Hollande doit fourbir ses armes et préparer la future « nuit des seconds couteaux ». Il pourrait même se révéler un faiseur de roi en cas de blocage, quittant le Front Populaire pour former une majorité non pas avec Mélenchon, ce qui est totalement improbable, mais avec un certain… Emmanuel Macron. De fait, ce dernier cherche à reconstituer le bloc central en divisant ses forces sur deux fronts opposés. Un d’opposition ouverte à la gauche qu’il va tenter d’assimiler intégralement aux Insoumis à raison, l’autre à la logique unioniste bonapartiste du Rassemblement National qu’il veut disqualifier mais qui prospère sur ses manques (autorité, identité, sécurité comme l’a rappelé Nicolas Sarkozy au JDD). Pour accomplir ce très périlleux grand écart et empêcher les deux autres blocs de gagner, il doit diaboliser la gauche pour fracturer son électorat et montrer à une partie de la droite qu’il a entendu la leçon sur le régalien et que leur patrimoine financier est en danger. Complexe…



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Gabriel Robin est journaliste rédacteur en chef des pages société de L'Incorrect et essayiste ("Le Non Du Peuple", éditions du Cerf 2019). Il a été collaborateur politique

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