Il fallait un admirateur pour Aymeric Caron. J’aurais pu le parier : ce fut Jean Birnbaum, responsable du Monde des Livres.
À côté d’une critique extasiée du dernier livre de Catherine Millet, Jean Birnbaum nous offre un billet empli de sympathie intellectuelle et idéologique à l’égard d’Aymeric Caron et de l’ouvrage que celui-ci vient de publier, Incorrect. Pire que la gauche bobo, la droite bobards.
J’indique tout de suite n’avoir lu ni ce dernier livre de Catherine Millet ni Aymeric Caron, à l’évidence d’un genre différent.
Pour Aymeric Caron, j’ose écrire que cela n’a pas beaucoup d’importance, tant la personnalité et les questionnements de ce dernier à la télévision, chez Laurent Ruquier, sont très révélateurs de ce qui l’inspire et le gouverne. Plus une assurance, une arrogance aigres et sommaires à l’encontre de ses adversaires qu’une compréhension et une écoute fines et lucides. Plus de partialité que de qualité.
Surtout, il est clair que le propos de Jean Birnbaum est moins, malgré les apparences, de porter aux nues l’écrit d’Aymeric Caron que de vitupérer à nouveau ce trio, pour lui infernal : Elisabeth Lévy, Eric Zemmour et Robert Ménard.
Encore heureux qu’il n’ait pas ajouté à cette liste quelques personnalités qu’à l’évidence ni lui ni son auteur préféré ne goûtent particulièrement : par exemple, Denis Tillinac, Gilles-William Goldnadel, Eric Naulleau, Alain Finkielkraut ou Ivan Rioufol.
Puisque, semble-t-il, on n’a le droit de dénoncer, pour Jean Birnbaum, qu’à condition de n’être pas invité dans les émissions dont on récuse l’aptitude à la tolérance et à la liberté d’expression, je suis bien placé pour intervenir : Laurent Ruquier, que je pourfends avec constance, m’a toujours privé du plaisir de dialoguer avec Natacha Polony et de la poudre de l’affrontement avec Aymeric Caron.
Dénigrer Elisabeth Lévy comme le fait Aymeric Caron qui la traite « d’omniprésence de l’absence, de grand cri du silence » peut amuser mais relève d’un procès très injuste. Je n’aime pas cette facilité qui consiste à ne jamais contredire sérieusement le fond des convictions mais à tourner en dérision le fait qu’on entend ou qu’on voit trop quelqu’un qui, au demeurant, ne s’est jamais plaint d’une quelconque rareté médiatique.
Est-il nécessaire de venir au secours d’Eric Zemmour qui certes reste assez volontiers dans sa chapelle et répugne à cultiver la solidarité qui devrait être celle des esprits libres ? Faut-il sans cesse lui imputer à charge son talent, son savoir, sa verve de polémiste, son hostilité de la pensée convenue et sa passion du dialogue et de la contradiction ? Ce qui serait loué à gauche serait choquant de la part de cette droite atypique ou de ce souverainisme excitant ?
Quant à Robert Ménard, on aurait pu espérer que la vindicte de Jean Birnbaum à son encontre se soit apaisée depuis son élection royale comme maire de Béziers ! Non pas bien sûr que ses idées, sa conception de la vie sociale et son refus du conformisme stérilisant aient pu devenir ceux du Monde des Livres mais au moins par une sorte de retenue, de prudence face à la légitimation par le suffrage démocratique d’une personnalité et de ses projets – ce qui est bien autre chose que l’autarcie satisfaite d’elle-même d’un journalisme élitiste et méprisant.
Ce qui est au cœur de la venimeuse charge de Birnbaum, en totale connivence avec Caron, tient à la prétendue plainte de ces personnalités détestées parce que les médias ne les inviteraient pas assez alors qu’elles le seraient surabondamment !
Ce serait vraiment les accabler sous une stupidité qui n’est pas leur fort que de les penser ainsi écartelées alors qu’aucune d’elles n’ignore que leur liberté et leur singularité, dans un monde intellectuel et médiatique fade, font leur succès et que celui-ci a pour inévitable rançon les répliques vigoureuses qui leur sont opposées. Mais ces dernières non seulement admissibles mais stimulantes n’ont rien à voir avec les interrogations condescendantes d’Aymeric Caron, adressées à des personnalités qui le dépassent et qui le montrent sans cesse frustré de n’être pas à leur hauteur, et donc onctueusement vindicatif.
Il ne faudrait pas pousser beaucoup Aymeric Caron et Jean Birnbaum pour que leur pensée profonde, qui est d’exclusion et d’ostracisme à l’égard de ces dissidents, soit formulée.
Reste que Jean Birnbaum a tort quand il se plaint de n’entendre que ces polémistes, qui tout au plus sont conviés comme un poil à gratter, une imprévisibilité à cultiver, des partenaires indispensables pour que les auditeurs ou les téléspectateurs ne sombrent pas dans l’ennui à cause du conventionnel de l’exercice : on me comprendra mieux si d’une oreille, un samedi, on entend sur France Inter Christophe Barbier et Laurent Joffrin. On s’endort.
Alors que ceux que je défends et que Caron et Birnbaum vitupèrent réveillent.
Je remercie le second d’avoir rendu grâce au premier : Caron n’aura plus l’aura du martyr.