Caroline Fourest, l’inné, l’acquis et le déni


Caroline Fourest, l’inné, l’acquis et le déni

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L’humanité qui vient a ses prophètes. Ce sont peut-être les plus sournois que l’histoire ait produits car eux ne viennent pas nous dire que leurs prédécesseurs s’étaient trompés. Nos prophètes contemporains vont plus loin et nous assurent que, pour notre bien, ils s’opposent à toute forme de prophétie. Toujours en traque d’une croyance délétère à débusquer et à détruire, ils s’emploient à dépouiller l’être humain de ses moindres déterminismes pour faire de chacun de nous des individus totalement déliés, totalement libres, mus par notre seule volonté, astreints uniquement à nos propres choix et, au pire, à l’assomption de ceux-ci. Caroline Fourest est l’une d’entre eux. Elle était récemment l’invitée d’Alain Finkielkraut face à Claude Habib dans une émission de Répliques consacrée au féminisme.

Au principe du déterminisme, il y a les notions d’inné, d’acquis, et l’idée de liberté individuelle à l’égard de ceux-ci. Historiquement, l’appréhension de la nature est passée par des tamis successifs. Les Anciens voyaient la nature comme quelque chose à réaliser ; le christianisme l’a muée en un état de corruption à racheter ; les Modernes, le pied à l’étrier, se sont employés à la surpasser. Revenue des messianismes collectifs et du danger qu’ils constituent, se fondant sur la seule et unique liberté des individus, la postmodernité ne voit, quant à elle, dans l’idée de nature qu’un concept éculé, une réalité non avenue. Non pas un « conte de bonne femme », ce qui serait déjà céder aux stéréotypes, mais un gros fantasme machiste.

Notre époque voue un véritable culte à l’égalité la plus étendue possible. Les déterminismes et leurs aléas contreviennent à ce beau projet, il nous faut donc lutter contre. Si notre époque répugne tant à accorder sa juste place au déterminisme biologique, c’est parce qu’il demeure très difficile à surmonter. De fait, si une doctrine veut s’imposer, elle aura toutes les chances de le faire si elle parvient à convaincre – fût-ce à tort – qu’elle s’appuie sur un ordre naturel des choses. C’est un danger incontestable, maintes fois rencontré dans l’histoire. Dès lors, plutôt que de déterminer la part de l’inné, on court moins de dangers à l’escamoter purement et simplement. Mieux encore : en visant l’indifférenciation des individus (le choix du sexe sur catalogue, par exemple), on obtient l’égalité qu’elle recèle. Qui peut le plus peut le moins.

Caroline Fourest fait donc partie de ces gens éclairés qui dénient l’inné, le vident de sa substance et en affublent l’acquis. Mais leur combat ne s’arrête pas là car l’acquis, lui aussi, peut s’opposer à la libre volonté des individus : le déterminisme social n’est surtout pas à négliger. Celui-là n’est pas fatal mais tout de même dur à combattre. Du point de vue féministe, c’est ici qu’intervient la société « patriarcale ». Nous serions toutes et tous conditionnés très jeunes pour jouer, pour certains un rôle masculin, pour d’autres – moins chanceuses – un rôle féminin. Ainsi se serait ancrée une domination culturelle dans ses aboutissants, faussement naturelle dans ses tenants.

À cela il n’est pas vain d’opposer le rappel qui suit. Certains scientifiques se sont penchés sur la différence de conformation entre le cerveau d’un homme et celui d’une femme. La conclusion qu’ils en tirent relève d’une complémentarité biologique : les femmes seraient des êtres dits « temporels » tandis que les hommes seraient des êtres dits « spatiaux ». L’hypothèse invoquée serait qu’à nos origines, le mâle, plus fort physiquement, serait parti, loin et longtemps, en quête de nourriture dans un environnement hostile, tandis que la femelle serait restée au foyer pour nourrir l’enfant au sein. Ainsi le territoire parcouru par la moitié de nos ancêtres et le temps de l’attente subi par l’autre moitié auraient-ils respectivement influé au fil de l’évolution sur l’hérédité de l’espèce répartie en deux sexes. D’aucun(e)s (suivez mon regard) y verront une tentative malvenue de confiner la femme aux fourneaux et, bien sûr, il ne s’agit pas de cela. La seule chose qui puisse être mise ici en accusation n’est pas le complot viril mais les dures nécessités de la survie. Avouons néanmoins que cette explication antédiluvienne n’est pas totalement déconnante. Elle fait fond sur l’inné et l’acquis ainsi que sur des différences entre sexes qui n’interdisent pas la nuance, des degrés entre polarités, une part féminine plus ou moins prononcée chez les hommes et vice-versa.

Mais l’engagement personnel de Caroline Fourest ne peut s’en tenir à cela. Le véritable problème à ses yeux est que la dichotomie sexuelle met l’homosexualité mal à l’aise. Si l’on s’en tient à deux cases, où doit-on ranger les homosexuels, et d’après quels critères ? En fonction des attributs conférés par la nature ou selon leur orientation consentie ? En face, certains n’hésitent pas à parler de l’homosexualité comme d’un élément « contre-nature », entendons contraire aux desseins de la nature. Autrement dit, il s’agirait pour eux d’un choix privé s’opposant aux prescriptions natives. Faire pièce à cela de la manière la plus décisive, c’est prouver qu’au contraire l’homosexualité est parfaitement prévue par la nature, et pas seulement dans l’espèce humaine. Au lieu de cela, les défenseurs (et –fenseuses) du « genre » – plus souple que le « sexe » (si je puis dire) car indéterminé et au service d’un individu supposément versatile – préfèrent nier l’existence du moindre déterminisme naturel. Le réel pouvant être fasciste, à tout prendre, mieux vaut le congédier.

Une émission sur France 2 mettait récemment les pieds dans le plat en posant la question qui, en France, n’est jamais posée : « Homo ou hétéro, est-ce un choix ? » Il en ressort que d’un point de vue scientifique (épigénétique) l’homosexualité est un déterminisme naturel, en puissance chez certains et que vient, en quelque sorte, mettre en acte le vécu de ces personnes. Voilà de quoi défriser et les tenants d’une homosexualité « contre-nature » ou maladive, et les apôtres d’une humanité hors-sol, totalement déprise de la moindre assignation d’ordre naturel. Oui mais voilà, constate Thierry Berrod, réalisateur du documentaire : « Chez nous, la génétique, ça fait peur en raison notamment de notre histoire liée à la Seconde Guerre mondiale. En France, on s’intéresse davantage aux facteurs culturels. Mais la réalité des causes est entre les deux, entre l’inné et l’acquis. Tout s’influence ».

L’avenir que nous concoctent les « constructionnistes » – soit les genristes et certains féministes, tous préposés à la dénonciation de la domination sociale – ne doit pas prêter au doute : nier la nature pour mieux déloger et braver le déterminisme culturel, phallocratique et essentialiste. L’inné les insupporte en tant qu’il s’impose inéluctablement aux individus. La domination sociale est, elle, un ennemi plus abordable et permet des postures. Mais si tout ne relève que d’un choix, du bon vouloir des individus, si tout est construit et à déconstruire, sur quoi fonder la lutte contre les préjugés lorsqu’ils sont eux-mêmes objets d’un choix délibéré ?

*Photo : Pixabay.



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est l'auteur du Miroir des Peuples (Perspectives libres, 2015).

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