Le nouveau roman de Caroline de Mulder expose un pan méconnu de la Seconde Guerre mondiale : les Lebensborn. Dans ces pouponnières, des femmes sélectionnées et engrossées par de bons soldats devaient perpétuer la race aryenne.
Il ne faut pas se fier aux apparences. De loin, la maternité de Hochland, installée à Steinhöring, petit village de Bavière, ressemble à un éden. Entre ses murs repeints de frais grandissent des bébés. « L’endroit ne ressemble pas à une caserne, encore moins à un hôpital. Plutôt à une pension de vacances très bien tenue. Un chalet surdimensionné entouré de dépendances et de champs, avec vue sur l’étang. » Et pourtant. Cet endroit privilégié qui a été créé en juin 1936 par l’un des plus hauts dignitaires du IIIe Reich, Himmler lui-même, illustre ce que l’Allemagne nazie a imaginé de pire avec la Shoah : le programme des Lebensborn. Des femmes sont sélectionnées en vue de perpétuer la race aryenne ; elles passent leur journée à allaiter et à s’occuper de leur bébé. Elles sont au calme, mangent à leur faim et veillent sur leur progéniture dans les meilleures conditions possible. La plupart sont filles mères, grandes, blondes aux yeux bleus. Tout est fait pour leur épanouissement. Mais malheur à celles qui n’enfantent pas un bébé conforme à la norme. Celui-ci est aussitôt euthanasié. Plusieurs « maternités » de ce genre voient le jour en Allemagne, ainsi qu’en Norvège, en Autriche, en Pologne, au Luxembourg, en Belgique et même… en France, non loin de la forêt de Chantilly. Lebensborn, en vieil allemand, signifie « source de vie ». Ces maisons (Heim) ont pour vocation de préparer la future élite du régime. On estime que plus de 21 000 bébés sont nés dans ces centres.
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C’est dans le Heim d’Ochland, maison-mère du Lebensborn, que se déroule le sixième roman de Caroline de Mulder. Nous sommes fin 1944. Le livre s’ouvre sur la Cérémonie du Nom. À cette occasion, le nouveau-né, auquel on donne un nom et un parrain, est intégré dans la communauté SS. Helga, l’infirmière en chef, veille au bon déroulement de cette cérémonie qui a lieu en présence d’Himmler. Parmi les femmes de l’assemblée, une jeune fille, Renée. Elle a été tondue par les Français pour avoir fauté avec l’ennemi, Artur, un soldat SS. Enceinte, elle attend désespérément de le revoir. Il y a aussi Frau Geertrui. À la naissance, son bébé est ausculté, mesuré, pesé et considéré comme déficient. Il lui est aussitôt enlevé. C’est à Helga qu’incombe la lourde tâche d’annoncer à la mère que le bébé a dû être supprimé. On lui explique que cette issue est préférable, dans la mesure où l’enfant n’est pas viable. La jeune mère est dévastée. Helga elle-même en est ébranlée. À l’approche de la victoire des Alliés, le Heim s’emballe et vire à la folie. Tous les documents, les archives doivent être brûlés. Helga, dans un moment de lucidité, note dans son journal « Si nous avons bien fait, pourquoi détruisons-nous nos archives ? », et raye aussitôt sa phrase.
On ne sort pas indemne de ce roman glaçant mené de main de maître. Les principaux responsables du programme Lebensborn ont été jugés à Nuremberg. Aucun n’a été condamné. Ce livre, parce qu’il met en lumière ce volet méconnu de l’Histoire, est plus que nécessaire, il est essentiel.
Caroline de Mulder, La Pouponnière d’Himmler, Gallimard, 2024.