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Propos estivaux


Propos estivaux
Crédit photo : PATRICK BAZ

Les carnets de Roland Jaccard


Ce que le paradoxe est dans la sphère des idées, la perversité l’est dans l’ordre de la passion. Toute âme passionnée recèle un fond de perversité, tout comme l’intelligence a besoin d’être constamment aiguillonnée par la fulgurance de pensées abjectes. Sans perversité, la passion s’étiole. Sans paradoxe, la pensée s’éteint.

L’homme élégant se fait un devoir de cultiver une pensée paradoxale, ainsi que la forme de perversité qui lui siéra le mieux. Sans ces deux atouts, il n’est qu’un rustre ou un idéologue, bref un homme sans esprit. La morale lui tiendra alors lieu de viatique, la famille de refuge, la religion d’idéal et les partis politiques de déversoir à ses ressentiments.

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Dino Risi, le grand cinéaste italien, après avoir assisté à l’élection de Miss Italie, a eu ce mot fameux : « Pour se faire passer l’envie des femmes, il suffit d’assister à l’élection de Miss Italie. » Déclaration à portée universelle, bien entendu.

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Le mot qui m’a le plus réjoui est celui de Marc Cohen à propos de Claude B. Levenson qui a introduit le dalaï-lama en France : « Ce jour-là, elle aurait mieux fait de se casser une jambe ! »

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Imre Kertész rapporte qu’au début du XVIIe siècle, à Vilnius, eut lieu un rassemblement de plusieurs dizaines des plus éminents rabbins ashkenazim, sages de la septième initiation et exégètes de la cabale. Les rabbins délibérèrent pendant trente mois et trouvèrent enfin la réponse à la question de l’être et du non-être. Une réponse inattendue : « Il ne fait aucun doute qu’il serait préférable que le monde réel, celui dont nous constatons l’existence, n’ait jamais été créé. Et il est plus évident encore que le plus souhaitable serait que ce monde parvînt à son terme et se fondît dans ce qui est infini. » Commentaire de Kertész : cela ressemble étonnamment à la réponse de Diogène à Alexandre le Grand : « Ce que tu dois préférer à tout, c’est de n’être pas né, de ne pas être, d’être néant. Mais, après cela, ce que tu peux désirer de mieux, c’est de mourir bientôt. »

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Quand Spinoza, qui approchait de la cinquantaine et souffrait de tuberculose, sentit la mort venir, il s’isola pendant trois jours, après que son médecin lui eut laissé du suc de mandragore dont il usa, comme le raconte son ami le pasteur Colerus, pour abréger ses souffrances. Freud fit de même avec l’aide de son médecin privé. Tous deux étaient athées. Spinoza aurait prononcé un dernier mot : « Le monde veut être trompé. Qu’il le soit donc ! Amen. » Tous deux pensaient que la vie éternelle n’est pas une vie future, mais la vie présente à laquelle se hausse l’homme qui se connaît dans son essence, car son essence est éternelle. La philosophie n’est pas une méditation sur la vie, elle est la vie même.

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À propos de la vie, je trouve qu’une femme allant chercher les pantoufles d’un homme est un spectacle répugnant. « J’aurais une bien meilleure opinion de vous, disait Bernard Shaw à une jeune fille, si vous me les jetiez à la figure. » La donzelle répliqua : « N’hésitez pas à faire de même ! » C’est ainsi que naît un couple. Il meurt avec la paresse du désir. Elle vient toujours plus vite que l’homme ne le croit et que la femme ne l’espère.

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Lacan, à juste titre, exécrait la philosophie, car il y a si longtemps, ajoutait-il, qu’elle ne dit plus rien d’intéressant. Quant à la psychanalyse dont il voyait bien qu’elle devenait plus vite une foi qu’une science, il préférait la définir comme une pratique, une pratique qui s’occupe de ce qui ne va pas. Et comme, pratiquement, rien ne va, il n’était pas surpris de voir étudiants et snobs se précipiter à son Séminaire et attendre dans son cabinet un bien-être hors de leur portée. Ce n’étaient pas leurs symptômes qu’il soignait, mais leur lâcheté. À coups de bâton, comme un moine zen.

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De temps à autre, j’aime bien revenir à Jean-Pierre Georges, surtout lorsqu’il nous exhorte à ne pas renoncer à nos minuscules satisfactions. Nous n’avons qu’elles. Sinon c’est le gouffre, la solitude et l’abandon. Comme pour le coureur qui n’accroche pas la dernière roue du peloton.

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Vous mourez. Vous vous trouvez face à deux portes. Sur l’une est écrit : Paradis. Sur l’autre : Conférences sur le paradis. Pour ma part, je n’hésite pas, je choisis la seconde. Et vous ?

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Été 2017 - #48

Article extrait du Magazine Causeur




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