Notre contributeur Alain Destexhe revient d’Israël. Il a visité des villages attaqués dans le sud par le Hamas et dans le nord par le Hezbollah. Dans la vieille ville de Jérusalem, vide de touristes, il a également recueilli des réactions de Palestiniens. Causeur publie son journal de bord (2/2)
Relire la première partie
Jour 4 – Visite d’un village supplicié par le Hamas (Kfar Aza)
Nous sommes autorisés à visiter le kibboutz de Kfar Aza, un de ceux qui ont le plus souffert, en compagnie d’un rescapé qui revient pour la première fois pour nous accompagner. Une opération militaire est en cours non loin à Gaza. Au début de notre visite, toutes les cinq à dix secondes, nous entendons le fracas d’un obus, et un hélicoptère survole la zone. Nous ne pouvons parcourir qu’une petite partie du kibboutz, toute la zone n’a pas été déminée et nous devons rester sur les allées en béton sans mettre le pied sur l’herbe.
L’endroit devait être agréable à vivre, avec de beaux arbres, des pelouses et des plantes. Les maisons, simples, ressemblent plus à des bungalows confortables qu’à des villas, elles n’ont ni étage, ni cave. On voit des maisons brûlées ou effondrées, des toits éventrés, d’autres avec des impacts de RPG et certaines « intactes » en apparence, sauf les traces de balles. À l’intérieur, des scènes de pillages (armoires et frigo ouverts) et les signes d’un départ rapide, les tables parfois encore dressées, des bouteilles de coca, des jouets d’enfants, des lits défaits. En quelques minutes, la vie a basculé, d’abord dans l’horreur de l’attaque, puis pour les rescapés dans la détresse d’une évacuation subite.
Comme il n’y a pas de cave dans ces maisons, une petite chambre pour enfants sans fenêtre fait office de pièce de refuge. Conçue pour se protéger contre les roquettes, elle ne ferme pas à clé et comporte une double clinche extérieure et intérieure. Notre témoin, rescapé, nous explique qu’il est resté quasiment 24 heures le poignet en supination pour maintenir la porte fermée et protéger sa famille, par crainte d’une intrusion subite des djihadistes.
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Visualisons la scène ! D’abord les habitants sans téléphone ni électricité qui ne comprennent pas ce qui se passe, entendent des coups de feu, les enfants terrorisés. Les djihadistes arrivent et les tuent (violent, torturent dans certains cas) dans leur lit, leur salon ou la minuscule pièce de protection qui ne ferme pas à clé. Les terroristes eux vont lentement de maison en maison, ralentis par la maigre équipe de protection du village (des civils qui n’avaient jamais imaginé un tel scénario), mais aussi parce qu’ils ne savent pas si certains habitants ne sont pas armés. Quand la maison est fermée à clé – les portes restaient ouvertes la nuit avant le 7 octobre – ils essayent d’entrer par le toit ou y mettent le feu et parfois passent à une autre sans s’attarder. La vie tient à si peu ce 7 octobre. Tout cela prend du temps, beaucoup de temps, des heures, plus de 24 heures dans le cas de Kfar Aza.
A qui se sont attaqués les terroristes ? Un kibboutz est une communauté qui a conservé l’idéal égalitaire socialiste. Les revenus sont mis en commun et partagés équitablement, les études des enfants sont payées par la collectivité. Les membres sont de gauche et ont soutenu les initiatives de paix (la paix maintenant…). Beaucoup ont manifesté contre Netanyahu et la réforme de la Cour suprême. Les maisons sont équipées de panneaux solaires, on aperçoit un drapeau LGBTQ devant une maison, un cadre à l’extérieur représentant les Gorillaz – un groupe musical qui a produit une chanson anti-Trump – devant une autre. Des conteneurs spécifiques pour les bouteilles en plastique sont répartis dans le village. Ce sont donc des Israéliens ordinaires, historiquement de gauche, sans protection militaire – le village est simplement entouré d’une clôture –, installés au milieu du désert qui vivaient ici. Pour les tuer ou les kidnapper, les terroristes ont dû aller les chercher, méthodiquement, maison après maison.
Le but n’était donc pas d’attaquer Israël, mais de tuer des juifs uniquement parce qu’ils étaient juifs. D’un point de vue militaire, cela n’a aucun sens de s’attaquer à ce village isolé. Tuer et prendre des otages était le seul objectif. Il ne s’agit donc pas de crimes de guerre comme on a pu le lire, mais de crimes contre l’humanité imprescriptibles.
Jour 6 – Jérusalem sans touristes
La vieille ville de Jérusalem est vide, les habitants ont peur. Jamais, je n’ai vu Jérusalem aussi vide. Les ruelles ? Vides. L’église brouillonne et cacophonique du Saint Sépulcre ? Vide de touristes, seuls les prêtres sont à leur poste. Le Mur des lamentations ? Quelques rares juifs dodelinent de la tête ou déposent leurs souhaits dans les interstices du mur qu’ils appellent le Kotel. La porte de Damas, la principale entrée de Jérusalem-Est, la partie musulmane, d’habitude si bruyante et si animée ? Vide.
Ma promenade préférée à Jérusalem et peut-être au monde va, sur quelques centaines de mètres, de la Porte de Damas au Mur des Lamentations, en croisant la via dolorosa, sur laquelle le Christ a parcouru son chemin de croix avec ses quinze stations. Ces quelques rues sont les plus chargées d’Histoire et d’émotion au monde : nous sommes au cœur du christianisme et du judaïsme et de la troisième ville la plus importante pour les musulmans. Mais ce parcours dans des ruelles désertées n’a pas la saveur de mes souvenirs, l’atmosphère est sinistre avec des militaires et des policiers en grand nombre un peu partout.
L’esplanade des mosquées sur le Mont du Temple, que l’on rejoint en passant un check-point, n’est ouverte qu’aux musulmans de Jérusalem – pas à ceux des Territoires – et pas non plus aux jeunes hommes, la plupart du temps par crainte de troubles. Elle est également interdite aux juifs par le grand-rabbinat d’Israël, selon son interprétation de la Torah. Dans toute la vieille ville, cinq fois par jour, les mosquées appellent à la prière, un appel peu discret que tous sont obligés de subir. Dans cet État juif, dans sa capitale éternelle, les juifs, même quand ils prient au Kotel, sont obligés d’entendre cinq fois par jour le muezzin affirmer « qu’Allah est le plus grand ».
Jour 7 – « Gaza, pire que l’Holocauste ! » : réactions palestiniennes
« À Gaza, ils ont fait pire que l’Holocauste ». « L’apartheid en Afrique du Sud, ce n’était rien à côté de ce qui se passe ici ». « Ce qu’ils ont fait à Gaza, c’est pire que la bombe atomique ». « Pour le Fatah et Mahmoud Abbas, c’est game over, en cas d’élections le Hamas obtiendrait 90 % des voix ».
À Jérusalem, je me suis entretenu avec quelques Palestiniens et j’ai récolté des impressions à la sauvette, de chauffeurs de taxis, auprès de jeunes dans la rue ou en prenant le thé. Passé le premier moment de méfiance, les langues se délient. Pourquoi ne lis-je jamais ces phrases révélatrices dans les médias occidentaux qui ont des correspondants sur place – Hello BBC, are you here ? –, alors que je les ai recueillies en quelques heures ?
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Je n’ai trouvé aucun Palestinien exprimant spontanément de la compassion pour ce qu’avaient vécu les Israéliens proches de Gaza ou pour les otages, et aucun non plus pour considérer que le Hamas est une organisation terroriste. Comme nos islamo-gauchistes occidentaux, ils le perçoivent comme un mouvement de résistance légitime.
La situation de ces Palestiniens de Jérusalem n’est pas facile. Ils sont nés dans la capitale israélienne… sans être cependant des citoyens israéliens. Ils disposent d’une carte de résident israélien, mais s’ils veulent voyager, ils doivent demander un passeport… jordanien. Et s’ils s’absentent trop longtemps de Jérusalem, ils n’ont plus le droit de revenir y habiter. Ils vivent bien entendu leur situation comme une occupation, depuis si longtemps qu’ils ne croient plus à la possibilité qu’elle se termine. Ils sont en butte à une série de difficultés et de vexations lorsqu’ils demandent des permis de construction par exemple ; parfois leurs maisons sont détruites sous des prétextes urbanistiques. Le contrôle de la terre est un enjeu majeur à Jérusalem.
Je suis témoin d’une scène révélatrice. Un vieux commerçant arabe prend le thé en présence d’un de ses voisins, un jeune juif religieux qui porte la kippa au milieu de la ville arabe. La nombreuse famille de ce dernier — il a dix frères et sœurs, les juifs orthodoxes étant connus pour faire beaucoup d’enfants — s’est installée au milieu des Palestiniens, car elle a pu prouver qu’un aïeul y habitait au début du XXᵉ siècle. Le vieil homme parle de la paix et de la concorde entre les peuples et les religions, « il faut arrêter cette guerre, Israël ne peut pas continuer à bombarder des hôpitaux et des enfants ». Le jeune homme lui répond que la paix viendra en gagnant la guerre. Ils sont voisins, se parlent, prennent le thé, mais ne partagent rien d’autre. Leur vision du monde est aux antipodes. Quand le jeune juif s’en va, le brave homme m’explique que, juifs, musulmans et chrétiens vivaient en harmonie sous l’empire ottoman, et que les problèmes sont venus au XXᵉ siècle avec l’idéologie sioniste.
« J’ai besoin de mon passeport, de mon drapeau et de mon pays », me dit avec fougue un chauffeur de taxi. Certes, mais pour cela lui et les siens sont-ils prêts à reconnaître l’État d’Israël, à renoncer à toute forme de violence contre celui-ci, à lutter avec acharnement contre les terroristes, à ne plus les considérer comme des martyrs de la cause, à ne plus financer leurs familles, bref à vivre en paix avec Israël et les juifs ? La réponse va de soi. Même si une majorité de Palestiniens le voulaient, avec le terrorisme islamiste, ils seraient incapables de garantir une paix durable. Le temps du combat national palestinien est sans doute dernière nous, la force politique dominante est désormais l’islam.
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Dans ces conditions, il ne peut y avoir d’État palestinien. La « solution à deux États » ? Rien que le mot solution devrait déclencher un éclat de rire dans cette région du monde ultra-violente. Et il ne faudrait pas non plus que cette solution soit le début d’une seconde solution finale pour les juifs d’Israël, celle préconisée par le slogan From the river to the see… C’est une ritournelle entonnée par les dirigeants français, belges et européens qui ne pèsent d’aucun poids dans la région et ne sont pas les amis d’Israël. Si, par malheur, Israël venait à disparaître, ils feraient un beau communiqué très digne « condamnant cette disparition contraire à nos valeurs » puis s’en iraient déjeuner ! Un jour, peut-être deux États, mais les conditions sont loin d’être réunies.
Jour 9 – Epilogue
Israël sortira-t-elle renforcée de cette épreuve ? Ce qui ne tue pas rend plus fort, dit l’adage (Nietzsche).
Au cours de ce voyage passionnant et émouvant, j’ai aussi pu apprécier le fameux humour juif qui est souvent de l’autodérision et dont les films de Woody Allen sont un bel exemple. Mon trait préféré illustre, je crois, le destin des juifs :
They try to kill us.
They failed
Let’s eat !
Ils ont essayé de nous détruire. Ils ont échoué. Allons manger !
Remerciements. Je remercie chaleureusement le groupe de personnes que j’ai accompagné et tout particulièrement Claude, le génial organisateur.
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