L’ouvreuse répond aux questions de Causeur sur l’exfiltration rocambolesque (et mélomane) de notre Carlos Ghosn international.
Carlos Ghosn ne doit pas avoir le triomphe modeste.
Sa fuite du Japon vers le Liban relève du grand art et prouve, en ces temps de déglingue générale, qu’il y a encore des gens qui savent bien faire leur boulot. C’est rassurant. Et même si nous ne savons rien ou pas grand-chose du déroulé précis de son exfiltration (hormis la « malle géante » des barbouzes-musiciennes et les 3 ou 5 millions de dollars que lui a coûté cet aller simple), cet événement a le mérite d’insuffler un peu de superbe dans une actualité très petite-bourgeoise. Il met surtout un coup de projecteur sur ces professionnels de l’évasion internationale, sur ces transporteurs d’un genre particulier pour marchandises spéciales. Le réseau tissé par ces anciens bérets verts, mercenaires de gros calibre et aventuriers au long court est d’autant plus fascinant qu’il semble impénétrable pour les blancs-becs de civils que nous sommes. Il révèle aussi, en creux, un certain amateurisme japonais. Comment ces armoires à glace déguisées en harpistes ont pu passer aussi facilement les douanes nippones ? Pour en savoir plus, nous avons posé la question à notre Ouvreuse.
Causeur. « Son exfiltration aurait été menée par un groupe de barbouzes se faisant passer pour des musiciens. » Leur jet privé, venu chercher l’ex-grand patron à l’aéroport d’Osaka, avait décollé d’Antananarivo, à Madagascar, sans éveiller les soupçons des douanes japonaises. Antananarivo est-elle une étape habituelle lors des tournées internationales ?
L’Ouvreuse. Pas habituelle, mais occasionnelle. Au temps de Tananarive, on jouait Beethoven à Madagascar. L’Institut français organise ces temps-ci une saison de concerts baptisée « Madagascar Mozarteum » où est régulièrement programmé un chœur français, Les Cris de Paris. Antananarivo n’est pas Vienne, mais pas non plus la planète Mars.
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Est-il fréquent de faire voyager les orchestres en jet privé ?
Pareil. Pas fréquent – hélas ! le voyage des instruments sur les longs courriers ordinaires peut virer au cauchemar, et un blogueur anglais très connu dans le milieu tient à jour sa black list des compagnies mélophobes. Mais en cas d’urgence, il arrive qu’on affrète un engin spécial – vu qu’en théorie un gros jet contient pile-poil un petit orchestre. Cher, mais commode. Et un tarif ça se négocie, pas vrai Carlos ?
À quoi peut servir à un orchestre une « malle géante », hormis cacher un ex-patron en cavale ?
À plein de trucs. À transporter une harpe, un marimba, pas mal d’instruments en somme. Sans compter la hi-fi – dans un concert pop certaines enceintes acoustiques font à peu près la taille d’une chambre d’hôtel à Tokyo. L’opérette d’Offenbach intitulée Oyayaye, ou la Reine des îles conte l’histoire d’un musicien en croisière sauvé après un naufrage par sa contrebasse qui lui sert de canot.
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Est-ce confortable ?
La contrebasse, non. Mais la caisse à matériel audio se défend. On peut y pratiquer des trous d’aération, dissimuler un strapontin, tendre un harnais. Apparemment ce serait la technique choisie par le commando Carlos. Avec l’astuce d’Houdini et la niaque d’Edmond Dantès ça les aura même bien fait rire. À condition que le trajet dure moins de deux heures. Au-delà, le numéro relève du fakirisme. Ou de l’ostéopathie.