S’il existe, en France, une institution politique qui fonctionne à la satisfaction générale, ce sont bien les assemblées départementales, dits Conseils généraux depuis la loi du 28 Pluviôse de l’an VIII, promulguée en un temps où Napoléon perçait sous Bonaparte… Si l’on veut bien considérer comme exceptionnelles les turpitudes altoséquanaises, buccorhodaniennes ou ultramarines qui ont, ces derniers temps, défrayé la chronique, on peut considérer les départements comme un échelon plutôt vertueux de la démocratie locale. Composés de notables locaux ancrés dans leur territoire, les Conseils généraux s’occupent des routes départementales, des collèges, des personnes âgées, de l’aide sociale. Les lois de décentralisation successives depuis 1982 leur ont accordé des pouvoirs et des compétences détenus jusque-là par le préfet représentant l’État. Tout cela ne marche pas trop mal : les étrangers de passage sont admiratifs du bon état de notre réseau routier secondaire, les vieux trouvent un abri lorsque le grand âge les rend dépendants. Les enseignants des collèges vont très rarement demander « Des sous ! » sur l’air des lampions devant l’Hôtel du département. Ces bâtiments, soit dit en passant, n’ont pas, pour la plupart, versé dans l’ostentation mégalomaniaque des sièges de Conseils régionaux, par lesquels leurs présidents veulent montrer qu’ils en ont, eux, du pouvoir…[access capability= »lire_inedits »]
Que fait un énarque membre de cabinet ministériel lorsqu’il constate qu’une institution travaille bien sans être totalement sous la coupe de la caste des hauts fonctionnaires surdiplômés ? Il s’efforce de trouver un moyen de faire cesser ce scandale, et de déstabiliser ces élus locaux qui ont le toupet de se faire régulièrement réélire par des citoyens estimant que la plupart d’entre eux ont rempli leur mandat de manière satisfaisante. La droite sarkozyste avait imaginé de faire fusionner les Conseils généraux avec les Conseils régionaux, éloignant ainsi le pouvoir local des administrés. La gauche, dès son arrivée au pouvoir en mai 2012, passe à la trappe ce projet de réforme, mais ne renonce pas à dynamiter l’institution départementale. Cette dernière présente, aux yeux des faiseurs patentés de l’air du temps, un vice rédhibitoire : la parité homme-femme, ce n’est pas son truc, et les conseillères générales ne constituent que 13,4% de l’effectif. Il fallait donc trouver une mesure radicale pour mettre un terme à cette scandaleuse anomalie, tout en maintenant le lien des élus avec leur territoire, ce qui interdit le scrutin proportionnel départemental. L’imagination énarchique étant sans rivale lorsqu’il s’agit de construire des machines à compliquer les choses, les grosses têtes du pouvoir socialiste ont sorti de leur sac à malices le scrutin le plus baroque jamais conçu dans notre République. Les élections cantonales de 2015 se feront au scrutin duonominal à deux tours. Comment ça marche ? Chaque canton sera représenté par deux conseillers généraux élus solidairement au scrutin majoritaire, chaque paire étant obligatoirement composée d’un homme et d’une femme. Pour cela, on supprimera la moitié des cantons, pour ne pas faire augmenter le nombre des élus. Il suffira donc d’une seule élection cantonale pour tripler, au minimum, le nombre de dames dans les Conseils généraux, et d’éjecter simultanément un nombre équivalent de messieurs qui auraient, dans l’ancien système, pour la plupart retrouvé leur siège. Mais à malin, malin et demi : il me parvient, dans ma montagne, que des conseillers généraux sortants envisagent de se marier électoralement, qui avec sa maîtresse, qui avec sa secrétaire ou encore avec sa belle-sœur pour pouvoir demeurer le baron du canton sans que la baronne ne vienne lui disputer la prééminence.
Résultat : un certain nombre de potiches décoratives viendront remplacer des élus expérimentés, dont le seul défaut est d’être pourvu d’une paire de chromosomes XY. Peu importe, car la cause des femmes doit avancer, et vite, même au prix d’un affaiblissement de la puissance publique.[/access]
*Photo : Gertjan Baarda.
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