Les promoteurs de la légalisation du cannabis minimisent systématiquement les effets sociaux et sanitaires du produit. Ils enjolivent ce que serait un marché régi par l’Etat…
Le Conseil d’analyse économique (CAE) recommande la légalisation du cannabis dans une note. « Le système de prohibition promu par la France depuis 50 ans est un échec », estiment les auteurs de la note, Emmanuelle Auriol et Pierre-Yves Geoffard. Selon eux, la légalisation permettrait de créer jusqu’à 80.000 emplois tout en générant des recettes fiscales jusqu’à 2,8 milliards d’euros. Il s’agirait d’une « gestion étatique centralisée ».
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Concrètement, l’État délivrerait des licences à des « producteurs et distributeurs agréés », comme pour le tabac. Le ministère de la santé fixerait le taux de THC autorisé. Pour faire bonne mesure, cette manne serait réinvestie dans la prévention, « la politique en faveur des quartiers populaires » et la lutte contre le trafic. On récupérerait ainsi une filière économique échappant à l’Etat et à ses recettes. Pour nous en convaincre, on explique que selon la littérature scientifique, une « consommation modérée » de cannabis n’aurait « pas d’effets nocifs sérieux avérés » sur la santé des adultes. En revanche, un risque de schizophrénie « des plus jeunes » justifierait une interdiction de vente aux mineurs. Tout cela est-il bien sérieux ?
Promotion de la réalisation légale du « Moi »
Le gouvernement dit rester opposé à la légalisation du cannabis, avançant que sa consommation provoque « des risques pour la santé humaine, notamment sur le fonctionnement cérébral ». Il précise que cette note n’est pas de son fait.
Effectivement, comment ramener essentiellement ce sujet à une question économique, et à la réalisation légale du « Moi » des « consommateurs » qui en France aspirent à se droguer en rond au nom d’un libéralisme poussé jusqu’au bout, en minorant les conséquences en termes de sécurité, de santé publique, et de vie quotidienne des quartiers ? La responsabilité sociale et politique s’efface devant les désirs des individus. « C’est mon choix » devrait passer au-dessus de toute idée de règles communes, à écouter les revendications des militants de la légalisation.
La répression, un échec ? Elle n’existe plus, c’est tout le problème!
On donne comme prétexte à cette note, que la répression ne fonctionnerait pas. Faux, s’il y a répression, c’est en direction des gros trafiquants et des dealers. Concernant les consommateurs voire petits délinquants, ils savent ne rien risquer. Ce qui est d’ailleurs devenu une véritable incitation. Le discours laxiste et permissif de toute une frange de l’éventail politique français a largement contribué à sa banalisation, ainsi que le soutien à celle-ci d’une partie des élites médiatiques et artistiques, à travers, l’air de rien, l’apparition régulière dans les téléfilms français de scènes où on voit des personnages fumer le « pétard ». C’est une publicité déguisée propre à des pratiques bien partagées dans certains milieux où l’on confond tout avec l’éloge du « moi ». On parle de lever un tabou. Mais le réel tabou à lever serait plutôt de pouvoir faire entendre à des médias acquis à cette banalisation, que le cannabis est une drogue, à proscrire et à combattre.
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Il n’y a pas de prévention sans dénonciation du danger et sans sanction. La règle de droit rappelons-le, générale et abstraite, s’applique normalement partout et à tous. On n’imaginerait pas expliquer autre chose en matière de sécurité routière. Mais pour le cannabis, circulez, il n’y a rien à voir!
Dérive sociale, judiciaire et politique
On affirme que cette légalisation ferait reculer la criminalité liée au trafic. C’est un leurre, si on regarde ce qui se passe dans les pays qui ont dépénalisé. Ce sont les condamnations relatives à cet unique trafic qui diminuent, puisque les anciens trafiquants peuvent devenir des distributeurs légaux, pendant que les autres drogues continuent de fructifier. Nulle part la légalisation n’a donné les résultats escomptés et pour cause, le cannabis est une drogue et des alternatives existent, comme le prix descendant de la cocaïne en témoigne ou d’autres produits de synthèse facilement accessibles qui font des ravages.
Et puis, dans le cadre d’un monopole d’Etat, il faudrait un prix élevé si l’on veut empêcher que la légalisation ne se traduise par une augmentation de la consommation. Il serait ainsi immédiatement mis en place un marché noir tout aussi criminel. Ce qu’il faut, c’est un message clair et porteur de valeurs de nos responsables politiques, rejetant toutes les drogues, mais aussi de notre justice, qui doit mettre un cran d’arrêt à cette dérive.
« Pas d’effets nocifs sérieux avérés » : quel déni !
« Pas d’effets nocifs sérieux avérés » sur la santé des adultes ? Cette note ne fait là que reprendre les poncifs trouvés sur des sites qui, sous couvert d’information, font la promotion de la légalisation et qui minorent systématiquement les risques sanitaires et sociaux du produit.
Selon la revue 60 millions de consommateurs qui a effectué des tests et diffusé les résultats en mars 2006, fumer un joint fait absorber six à sept fois plus de goudrons et de monoxyde de carbone (CO) que fumer une cigarette, ainsi que deux fois plus de benzène et trois fois plus de toluène. Fumer trois joints tous les jours fait courir les mêmes risques de cancers ou de maladies cardiovasculaires que fumer un paquet de cigarettes par jour. Une étude néo-zélandaise arrive au même résultat avec un joint par jour.
Mieux encore, le Professeur Jean Costentin, de l’Unité Neuropsychopharmacologie de la Faculté de Rouen, une référence sur ce sujet, démystifie l’idée de « drogue douce » et d’absence de risques :
« Selon l’Observatoire Européen des Drogues et des Toxicomanies, la France est le pays de l’Union Européenne le plus touché par la toxicomanie au cannabis : 1,5 million de Français en sont des consommateurs réguliers. Un consommateur régulier est celui qui fume au moins un joint tous les trois jours. Cette fréquence d’usage peut paraître insignifiante, elle est pourtant importante car, de toutes les drogues, le THC est le seul à se stocker durablement dans le cerveau et les autres masses riches en lipides de l’organisme. Avec une telle fréquence de consommation, le consommateur s’inflige en permanence une imprégnation de THC. Exprimé trivialement, « le réservoir est si grand que le consommateur, n’a pas besoin de repasser souvent à la pompe (…) L’existence d’une conjonction entre la consommation de cannabis et l’induction de troubles psychotiques est désormais établie, tant pour l’entrée dans la schizophrénie que pour l’aggravation de celle-ci quand elle a débuté. Une société sans cannabis compterait 15% de schizophrènes en moins. Pour la France cela ferait 75.000 sujets épargnés. (…) Enfin, le cannabis constitue un sas d’entrée dans l’héroïnomanie. Tous les héroïnomanes en France (environ 200.000) sont « passés » par le cannabis (…) L’addiction au cannabis démultiplie le plaisir des premières injections d’héroïne.(…) Il est extrêmement facile de vérifier que le cannabis perturbe la mémoire à court terme et qu’il affecte de ce fait les capacités cognitives », parlant d’un côté « amotivationel » (démotivation) pour insister sur les conséquences « des études ratées, des ambitions brisées, la dépression, ou la schizophrénie, ou l’entrée dans l’héroïnomanie ». Interpellant les jeunes il leur rappelle « que si le plaisir est souvent présent aux premières rencontres avec cette drogue, il s’efface ensuite, faisant place alors à un besoin tyrannique, l’addiction ; terme qui se traduit par : servitude, asservissement, dépendance. » Que dire de plus pour stopper ce discours permissif des grands médias, spécialement audiovisuels.
Reprendre le contrôle?
Ce sont souvent les mêmes qui vantent l’écologie et la lutte contre la pollution, les produits bio, sont obsédés par le moindre risque sanitaire, qui dans le cas du cannabis éliminent les arguments qui les gênent pour justifier de tout laisser faire au nom d’une idéologie « nombriliste » ! « Reprendre le contrôle » en en faisant un marché public est donc faux et pas très moral ! Pour justifier ce lâcher-prise, on contrôlerait le taux de THC par le ministère de la santé lui-même. Quelle gageure ! Les consommateurs réguliers n’auront de cesse de chercher des produits à la hauteur de leur niveau d’intoxication sur un marché noir. On monte en épingle l’exemple californien de légalisation, sous prétexte d’un produit porteur de réussite économique. L’économie, contrairement aux Etats-Unis, n’est heureusement pas une fin en soi dans notre pays. Les exemples de l’Espagne et des Pays-Bas n’ont rien d’enviable, entre une explosion de la consommation, une délinquance qui ne faiblit pas et la naissance d’un narco-tourisme.
Le cannabis légalisé impliquerait le monopole de cette « filière » par l’Etat, se mutant en dealer public. Au lieu de jouer son rôle de porteur de l’intérêt général, ce dernier serait l’organisateur de l’abrutissement et de l’intoxication des citoyens. Dans le contexte actuel de crise des repères, quelle idée donnerait-on de la politique si la logique marchande pouvait l’emporter ici sur tout ?
Des effets sociaux désastreux du cannabis toujours tabous
On refuse de voir que l’usage du cannabis est l’un de nos plus importants problèmes au regard de l’échec scolaire, de la délinquance ou de la marginalisation. Comme l’explique le Professeur Jean Costentin, la consommation de ce produit atteint les facultés cognitives, entame la qualité de l‘attention, sape la confiance en soi et exclut. Un vrai problème pour les programmes de réussite éducative et les écoles de la seconde chance !
L’usage de cette drogue crée des drames familiaux terribles et innombrables que connaissent bien les professionnels de la protection de l’enfance (où j’ai travaillé une vingtaine d’années). Ils ne sont pas aidés dans leur travail de prévention par ce discours. Et ne parlons même pas du climat que le cannabis peut créer en bas des cages d’escalier, lorsque jeunes et moins jeunes y zonent. Combien de violences sont liées à cette consommation ? Combien d’agressions, combien de violences conjugales ? Quel poids le cannabis représente-il dans la désocialisation voire la radicalisation de certains, et combien coûte-t-il à notre cohésion sociale?
Parler de réinvestir une part des profits tirés de ce trafic d’Etat en faveur de la prévention est une imposture doublée d’immoralité. C’est une insulte à ceux qui, loin des beaux quartiers, souffrent des injustices sociales et des inégalités. Ils auraient bien besoin de se sentir mieux considérés en étant protégés contre ce cancer au lieu d’être poussés vers ces artifices qui se paient cash devant la vie.
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