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Il était une fois le Canada


Il était une fois le Canada

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Dans la mare, le pavé de l’Histoire est jeté. Les conclusions de l’historien québécois Frédéric Bastien dans son dernier ouvrage, La bataille de Londres, sont fracassantes[1. Pour mémoire, le Canada est une fédération dont le chef d’État est la reine d’Angleterre. Le Canada moderne (ou fédération canadienne) est né en 1982 lorsque sa constitution a été rapatriée de Londres à Ottawa, lui permettant ainsi d’acquérir sa complète souveraineté : c’est ce que l’on appelle le rapatriement constitutionnel.]. L’auteur révèle qu’en 1982, lors du rapatriement de la Constitution canadienne, acte de naissance du Canada moderne, la Cour suprême aurait délibérément bafoué le sacrosaint principe de séparation des pouvoirs. Se pourrait-il alors qu’un « coup d’État démocratique » soit à l’origine du pays de l’érable ?
Après plusieurs années de recherche dans les archives britanniques du Foreign Office, Frédéric Bastien dévoile les dessous du premier référendum sur la souveraineté du Québec en 1980 et les secrets du rapatriement constitutionnel. Selon Bastien, lors du référendum, le gouvernement Thatcher était prêt à reconnaître officiellement une victoire du Oui. Les Britanniques considéraient en effet le Québec comme un État potentiellement viable. John R. Rich, consul britannique à Montréal, écrivait d’ailleurs : « Même si l’idéal pour nous est un Canada qui reste fort et uni, nous devons traiter le Canada français comme une entité distincte, même à l’intérieur de la Confédération. Si le Québec devenait indépendant, il formerait un État viable, le Parti Québécois envisage de demeurer membre du Commonwealth et de l’OTAN. Nous devons songer à l’avenir de nos relations dans l’éventualité de l’indépendance ».
Malgré tout, le Non l’emporta. Cette victoire permit à Pierre Elliott Trudeau, Premier ministre du Canada à l’époque, de rapatrier la Constitution canadienne de Londres, et d’y intégrer une Charte des droits et libertés encadrant les droits linguistiques et politiques des citoyens. En réalité, Trudeau cherchait à gommer le dualisme canadien originel, qui liait l’Amérique britannique et l’Amérique française, en prônant un « pluralisme culturel de la société canadienne ». Francophones et anglophones n’allaient pas manquer de réagir à ce projet multiculturel.
Sur les dix provinces canadiennes, huit (dont le Manitoba, la Colombie-Britannique, le Québec, Terre-Neuve, l’Île du Prince-Édouard et l’Alberta) s’étaient opposées à l’insertion de cette Charte dans la Constitution. Elles désiraient avant tout préserver leurs spécificités culturelles. Malgré ces divergences, Trudeau était persuadé que les Britanniques allaient immédiatement appuyer son projet. Tel ne fut pas le cas. Pour Margaret Thatcher, il revenait en effet aux Canadiens de décider de la nécessité d’une telle charte. À l’aube des années 1980, le rapatriement constitutionnel et l’unité nationale du Canada, unilatéralement voulu par Trudeau, étaient fortement compromis.
Entre Londres, Ottawa et les provinces canadiennes, s’est alors engagée une saga diplomatique sans précédent. Thatcher, qui voyait d’un mauvais œil les affinités entre Trudeau, l’URSS et Cuba, céda finalement, en s’engageant à faire valider son projet par Westminster au moment opportun. Elle désirait, entre autres, conserver de bonnes relations diplomatiques avec le gouvernement fédéral canadien en dépit de l’opposition des provinces. La Dame de fer ne pouvait oublier le sacrifice des milliers de Canadiens pour défendre l’Empire de Sa Majesté.
Parallèlement, la Cour suprême du Canada avait été saisie pour statuer sur la légitimité du rapatriement constitutionnel. Particulièrement favorable à la Charte, Bora Laskin, juge en chef de la Cour, rencardait les gouvernements britannique et canadien sur l’état des délibérations des juges. Trudeau a ainsi pu compter sur le soutien du juge Laskin, qui lui devait d’ailleurs sa nomination. À l’évidence, le principe de séparation des pouvoirs avait trouvé son exception.
Dans la soirée du 4 novembre 1981, cyniquement baptisée « nuit des longs Couteaux », Trudeau réussit finalement à imposer son projet à toutes les provinces canadiennes, à l’exception de la Belle Province. René Lévesque, Premier ministre du Québec, considérait en effet que le multiculturalisme sapait les fondements de l’identité francophone québécoise et que la Charte favorisait un gouvernement des juges. Il avait d’ailleurs souvent accusé le gouvernement fédéral de fomenter un coup d’État. Il ne croyait pas si bien dire. Le haut commissaire britannique à Ottawa, John Ford, admettait également qu’une « véritable tentative de coup d’État dans le but de modifier l’équilibre des pouvoirs dans la Confédération » était en train de se produire.
En définitive, Frédéric Bastien couvre d’une remarquable manière cette épopée canado-britannique en alliant talent littéraire et rigueur historique. Il lui aura fallu huit années d’enquête pour découvrir que le Canada moderne s’apparente à un château de sable, aussi difficile à construire que facile à détruire. Rien d’étonnant à ce que l’ouvrage fasse un véritable carton en librairie. Rien d’étonnant non plus à ce qu’il déchaîne les passions outre-Atlantique. Ironie de l’histoire, le livre est sorti le 8 avril dernier à Montréal, jour où la Dame de fer s’éteignait.

Frédéric Bastien, La bataille de Londres. Dessous, secrets et coulisses du rapatriement constitutionnel, Boréal, 2013. 

*Photo : Thompson Rivers.



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est titulaire d'un master de sciences politiques (Université Jean Moulin, Lyon III) et d'un LL.M. en droit international (Université de Montréal).

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