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Canada, France, Etats-Unis: on veut tuer le roman national


Canada, France, Etats-Unis: on veut tuer le roman national
La statue de Jean-Baptiste Colbert à l'Assemblée nationale, Paris. SIPA. 00641528_000051

Aux États-Unis, les dernières échauffourées ayant opposé l’extrême droite « confédérée » à l’extrême gauche « abolitionniste » ont été l’occasion pour plusieurs militants multiculturalistes de proposer une révision en profondeur de l’histoire. Le retrait de plusieurs statues de personnages historiques ayant pris part à la guerre de Sécession (1861-1865) du côté du sud a suscité un réel enthousiasme chez certaines élites politiques.

L’emballement autour de ce nouveau révisionnisme est tel que, quelques jours après la controverse meurtrière entourant la statue du général Lee à Charlottesville, le maire de New-York songeait à retirer celle de Christophe Colomb située en plein cœur de Manhattan. L’objectif du maire : épurer sa ville de tout monument jugé offensant pour l’une ou l’autre des minorités culturelles en présence. Et dans le cas du découvreur de l’Amérique, en particulier : se désolidariser symboliquement de l’entreprise conquérante américaine ayant mené à la disparition de peuples autochtones.

L’histoire est-elle raciste?

La réécriture de l’histoire est donc bel et bien entamée. Selon plusieurs, il s’agirait d’en finir une fois pour toutes avec le roman national des démocraties occidentales. Une fresque de l’imaginaire qui ne mettrait en scène que des hommes blancs hétérosexuels, un récit démodé qui ne serait plus conforme au nouveau programme multiculturaliste à appliquer. L’histoire telle que conçue par les vieux esprits occidentaux serait une sorte d’hagiographie réactionnaire, une présentation répétitive et complètement biaisée de leurs exploits véhiculant des préjugés à l’endroit des minorités.

Au Canada, le projet prend déjà l’allure d’une monumentale parodie réactualisant le mythe du bon sauvage. La figure de l’Amérindien n’est pas seulement acceptée, intégrée à la conscience nationale comme elle devrait l’être, mais hypocritement célébrée, glorifiée, exaltée dans un esprit fleur bleue. Pendant que l’on ne cesse de reconnaître le caractère « autochtone » de plus en plus de territoires habités, les peuples amérindiens, dans la réalité, demeurent cantonnés à des réserves éloignées qui ne leur offrent aucune perspective d’avenir. Les icônes, c’est bien joli, mais ça ne règle pas tous les problèmes.

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Aux États-Unis, la révision du passé s’inscrit dans une démarche un peu moins caricaturale. Si elle tente légitimement d’atténuer des tensions raciales qui demeurent honteuses pour une grande démocratie, elle va déjà beaucoup trop loin, la volonté de déboulonner Colomb en étant l’illustration. En France, l’enjeu se présente différemment : il s’agirait surtout de supprimer toute référence au passé colonial du pays. D’ailleurs, la mort de Max Gallo, un grand défenseur du roman national, avait fait resurgir cette question en juillet dernier. Pour une grande partie de la gauche hexagonale, il faudrait probablement raser Paris pour que plus aucune trace de l’empire ne soit visible.

Place au roman transnational

Dans un article paru récemment dans le journal La Presse, deux historiens québécois écrivaient que la mémoire collective devait être substantiellement rectifiée, celle-ci reposant « la plupart du temps sur ce que l’on appelle un roman national, c’est-à-dire un récit de mythe-histoire qui offre une version édifiante du développement d’une nation, conçue comme un bloc monolithique intangible […] ». Que deux historiens se disent opposés à la glorification du passé est une chose. On les comprend : leur métier leur impose d’interpréter objectivement les événements. L’ironie, c’est qu’ils obéissent eux-mêmes à un mythe tout aussi romantique, celui d’une civilisation occidentale profondément mauvaise, un Occident qu’il faudrait démolir au nom d’un paradis multiculturel à venir.

Dans les faits, on propose de remplacer le roman national par un roman postmoderne, de vider le Panthéon de tous ses grands hommes pour en faire un temple de la Diversité. Que font encore là Voltaire et Rousseau alors qu’on pourrait faire de la place pour y accueillir des migrants ?

L’histoire ne sera jamais totalement objective. Mircea Eliade écrivait qu’il suffisait souvent de quelques années pour que les grands événements deviennent des mythes. Il reste donc à choisir l’histoire que nous voulons transmettre : une version qui dépeint les bâtisseurs de nos nations comme des figures héroïques ou une version qui les dépeint comme de méchants colonialistes ayant fait couler le sang dans le seul but de s’enrichir ? Une histoire qui fait honneur à notre civilisation ou une histoire qui la dénigre constamment ?

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Auteur et journaliste. Rédacteur en chef de Libre Média. Derniers livres parus: Un Québécois à Mexico (L'Harmattan, 2021) et La Face cachée du multiculturalisme (Éd. du Cerf, 2018).

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