Accueil Monde Canada : chefs-d’oeuvre en péril

Canada : chefs-d’oeuvre en péril

« La perte de mémoire rend un peuple incapable de faire des choix éclairés et d’agir sur la réalité », Gilles Laporte, historien canadien


Canada : chefs-d’oeuvre en péril
Actes de vandalisme à l'Université Ryerson, suite au scandale du pensionnat de Kamloops, en Colombie-Britannique, Toronto, 1er juin 2021 © Shawn Goldberg/Shutterstock/SIPA

Face à l’offensive woke, le patrimoine architectural chrétien vandalisé, incendié, laissé à l’abandon ou carrément rasé par des promoteurs immobiliers, est en voie de disparition au Canada.


Lorsque Mark Twain, l’un des plus célèbres romanciers américains, visita Montréal en 1881, il ne put s’empêcher de s’écrier qu’il était impossible de lancer une brique dans les rues sans casser le vitrail d’une église. Et pour cause, la ville, découverte par l’explorateur Jacques Cartier en 1535 et évangélisée par les missionnaires français et les idéalistes catholiques de la Nouvelle-France, tels que Jeanne Mance, Marguerite Bourgeoys et Paul de Chomedey de Maisonneuve au 17ème siècle, comptait alors quelque 260 églises.

Aujourd’hui, à l’instar des édifices religieux des autres grandes villes canadiennes, les églises montréalaises sont devenues la cible des attaques conjuguées des satanistes, des promoteurs immobiliers et de la gauche woke bien décidée à effacer toute mémoire chrétienne du pays, à s’accaparer ce patrimoine architectural pour le transformer selon ses goûts ou pour carrément le détruire.

L’église du Saint-Enfant-Jesus à Montréal a été taguée avec le slogan
« Brûlez les églises » par des activistes militant pour la disparition des églises et du patrimoine chrétien au Canada.

Une histoire nationale empreinte de religiosité

A la suite de la Guerre de Sept Ans (1756-1763), de la prise de la ville de Québec par les Anglais en 1759 et de la capitulation de Montréal en 1760, la France perd la majeure partie de son immense territoire en Amérique du Nord. En 1762, la France a déjà cédé la Louisiane à l’Espagne. Le Traité de Paris signé en 1763 met tragiquement fin à la grande épopée bicentenaire de la Nouvelle-France en Amérique du Nord (1534-1763). La France serait aujourd’hui dotée d’un territoire supplémentaire de 10 millions de km2, si tant est qu’elle ait été victorieuse face à l’Angleterre !

Sous la domination anglaise, avec l’Acte de Québec de 1774, un compromis est cependant trouvé en ce qui concerne le sort des Québécois, qui sont autorisés à conserver la langue française, la religion catholique, le droit des biens et le droit civil français. Si l’Eglise anglicane est désormais l’église officielle, les privilèges de l’Eglise catholique sont rétablis.

Sous l’influence conjuguée des Français, des Anglais, des Ecossais et des Irlandais, le patrimoine architectural chrétien de la colonie britannique – qui deviendra un dominion de la Couronne en 1867 (c’est-à-dire un Etat autonome au sein de l’Empire) et dont l’indépendance sera reconnue en 1931 en vertu du statut de Westminster qui lui confère une autonomie législative – va croître et prospérer. Des chefs d’œuvre d’architecture et des ensembles monumentaux vont surgir de terre au fil des époques. Les villes canadiennes sont alors animées par une profonde ferveur religieuse.

A lire aussi, Pierre Bénard : Patrimoine: cette France qui croule

A Montréal, par exemple, les Catholiques édifient leur église-mère, la basilique Notre-Dame, la cathédrale Marie-Reine-du-Monde ou l’oratoire Saint-Joseph, ainsi que des dizaines d’églises, monastères, écoles et collèges. Les vagues d’immigration successives en provenance d’Europe accélèrent la construction de lieux de cultes chrétiens. En premier lieu, les Catholiques irlandais avec l’imposante basilique Saint-Patrick, mais également italiens, espagnols, portugais, polonais, baltes, de même que les Orthodoxes grecs, roumains, serbes, russes, ukrainiens ne sont pas en reste. Dans la ville de Québec, les églises foisonnent et les architectes et autres corps de métier rivalisent de talent.

Les Anglicans, les Presbytériens et les Méthodistes construisent des centaines d’églises à travers tout le pays, des côtes de l’Atlantique jusqu’au Pacifique, dans cet immense pays qui se trouve être le deuxième plus vaste du monde après la Russie.

Le début de la fin

A partir de la fin des années 1960, la société canadienne va cependant connaître un processus de sécularisation inouï couplé avec une spéculation immobilière effrénée. D’une manière inédite dans l’histoire, les Canadiens vont, tout comme leurs cousins d’Europe occidentale, se mettre à tourner le dos à la religion de leurs ancêtres et à déserter massivement les bancs des églises. Des pédagogues de gauche révisent les manuels scolaires pour non seulement réécrire l’histoire du pays, mais également pour fragmenter son enseignement aux générations futures. Au Québec, la situation devient particulièrement préoccupante avec l’effacement délibéré de la mémoire de la Nouvelle-France.

A partir des années 2000, la situation se corse. C’est le début de la grande offensive woke qui avance avec son arme idéologique la plus performante : la repentance, à savoir, l’instillation d’un sentiment aigu de culpabilité chez le citoyen canadien, afin de provoquer chez lui un profond sentiment de honte, ce qui l’exclut d’emblée de tout débat valable et paralyse toute réaction de défense de sa part.

Le journaliste québécois Gilles Proulx dénonce dans son livre La Mémoire qu’on nous a volée1, la volonté d’effacement progressif de la mémoire du Québec par des idéologues mal intentionnés, notamment par l’utilisation d’approximations historiques. Des militants (et parmi eux des édiles) se servent ainsi des Premières nations amérindiennes dans une optique de culpabilisation massive des Québécois, notamment en véhiculant par exemple l’affirmation erronée selon laquelle Montréal serait « un territoire Mohawk non-cédé ». En ce qui concerne les colons français, Gilles Proulx insiste sur le fait que les nations amérindiennes avaient trouvé un modus vivendi avec eux et établi un régime franco-amérindien fondé sur de bonnes relations. Ce modèle aurait pu perdurer, si l’Angleterre n’avait décidé d’y mettre fin en créant des réserves pour les autochtones en vue de les couper de l’influence française. « Timidement les historiens protestent mais nul ne les entend », déplore-t-il. Tétanisés, les gens préfèrent se taire plutôt que d’affronter les attaques virulentes de la gauche woke. Cette instrumentalisation, qui a conduit récemment à une guerre culturelle sans merci et à des tensions constantes entre autochtones et descendants de colons européens, va avoir des conséquences tragiques.

Une catastrophe bâtie sur un emballement médiatique

A l’été 2021, la découverte de possibles tombes à Kamloops (Colombie-Britannique) près d’un pensionnat pour enfants amérindiens, provoque en un mois l’incendie de 68 églises chrétiennes (dont les 2/3 sont catholiques et 67 sont situées dans les provinces anglophones) au Canada2. L’enquête ne confirmera pas qu’il s’agissait de sépultures d’enfants. Le pensionnat pour Autochtones de Kamloops, fermé en 1978, était géré par la congrégation catholique des Sœurs de Sainte-Anne. Selon la politique d’assimilation décrétée par le gouvernement canadien, 139 pensionnats sous la houlette des églises anglicane et catholique, fonctionnèrent des années 1830 jusqu’aux années 1970 (le dernier fermant en 1996), avec des conséquences traumatiques pour les pensionnaires. Enlevés à leurs familles, près de 150 000 enfants des Premières Nations, inuits ou métis y furent élevés. Des milliers d’entre eux y furent victimes de maltraitance grave. La même politique, avec les mêmes conséquences, fut conduite aux Etats-Unis avec les enfants amérindiens éduqués dans 360 pensionnats pour autochtones.

Le magazine britannique The Spectator a décrit l’emballement insensé qui a conduit à une flambée de violence antichrétienne dans tout le pays avec un mot d’ordre effroyable concernant le sort des églises : « Brûlez-les toutes ! »3 : « Les politiciens ont ignoré la violence antichrétienne comme étant compréhensible. Le drapeau au-dessus du Parlement du Canada a été mis en berne pendant cinq mois. Les Canadiens ont été priés de ne pas célébrer la fête du Canada ni de porter les couleurs nationales. Au lieu de cela, ils ont été encouragés à s’habiller en orange, symbolisant la honte du passé de leur nation. Des sommes considérables sont entrées en jeu lorsqu’Ottawa s’est engagée à verser 320 millions de dollars pour aider à la recherche d’autres tombes et pour soutenir les survivants et leurs communautés. Un nouveau jour férié fédéral a été établi, la « Journée nationale de la vérité et de la réconciliation », bien que son effet ait été quelque peu gâché lorsque Trudeau a commémoré la journée en allant surfer à Tofino.
Trudeau a exigé que le pape vienne au Canada pour s’excuser en personne pour le rôle de l’Église dans le système des pensionnats (organisé par le gouvernement) (et le pape a finalement accepté de venir, bien qu’il n’ait pas promis de s’excuser) ».

A lire aussi, François-Joseph Brunet: Canada: (re)naissance du patriotisme?

Résultat : « Le gouvernement canadien et les médias ont maintenant de sérieuses questions à affronter en ce qui concerne Kamloops. Pourquoi n’ont-ils pas attendu plus de preuves avant de fustiger la nation et de l’envoyer dans une spirale de colère et de violence antichrétienne ? Et vont-ils s’excuser ? Et pourquoi, après tout cela, n’est-il toujours pas prévu de faire des fouilles à Kamloops ? Après les retombées dramatiques pour tant de Canadiens et de Catholiques ordinaires, le pays tout entier ne mérite-t-il pas des réponses ? ».

Le scandale de Kamloops a été suivi par l’affaire du pensionnat indien de Marieval, dans la province du Saskatchewan, pour les mêmes motifs. Les excavations ne permirent pas non plus de produire des preuves. Mais ce qui est sûr, c’est que depuis l’été 2021, une centaine d’églises chrétiennes ont été incendiées au Canada, dont 11 en un mois à Calgary4.

Triste avenir pour les églises canadiennes

Aujourd’hui, les actes de vandalisme visant le patrimoine religieux du pays sont devenus monnaie courante. Statues religieuses déboulonnées, mutilées, détruites. Autels saccagés puis brûlés. Façades d’édifices religieux horriblement taguées comme à Montréal celle de la majestueuse église de l’Enfant-Jésus avec l’inscription en lettres géantes « Burn Them All » (Brûlez les toutes !). Des promoteurs immobiliers de tous poils ont, à partir des années 1960, racheté aux diocèses et aux confréries religieuses des ensembles architecturaux magnifiques qu’ils ont finalement entièrement rasés pour y édifier d’immenses gratte-ciels de béton et de verre. Quant aux édifices religieux vendus en raison du manque de moyens financiers pour les entretenir, si certains d’entre eux ont certes été convertis en bibliothèques municipales ou en logements étudiants, d’autres sont utilisés de manière choquante, tels l’église anglicane Saint-Jax de Montréal de style néogothique, transformée en bar de nuit et en cabaret de cirque.

À tel point que l’on se croirait de retour en France à l’époque sanglante de la Révolution française quand Notre-Dame-de-Paris servait de vaste entrepôt à vin après avoir été souillée, vandalisée et saccagée par des révolutionnaires en furie. Ou bien serait-ce plutôt réminiscent de l’époque soviétique, où la religion était sévèrement réprimée, les chrétiens persécutés et les églises transformées en granges ? Faudra-t-il bientôt, sous la pression de l’anti-culture woke que, tout comme en Union soviétique, les Chrétiens canadiens rejoignent les Catacombes ? Peut-être que finalement l’immigration en provenance de l’Amérique latine et des Philippines, par sa ferveur chrétienne et sa fréquentation assidue des églises, permettra de relever cette situation pour le moins alarmante. Ou alors, à l’instar de Trump, qui va ouvrir au sein de la Maison-Blanche un « Bureau de la Religion » et qui a signé début février 2025, un décret sur «l’éradication des partis pris antichrétiens» visant, entre autres, à stopper les actes de vandalisme contre les églises, de nouveaux responsables politiques canadiens pourraient un jour changer la donne en décidant de sauver la mémoire du pays en sanctionnant les actes de vandalisme et de pyromanie, plutôt que de chercher à l’effacer ou à la travestir.

L’historien québécois Gilles Laporte considère, à juste titre, que toutes les sociétés occidentales traversent la même crise liée à un rapport trouble à la mémoire historique et que le Canada est, à cet égard, à l’avant-garde de ce rapport culpabilisant et mortifère à l’histoire. « Difficile dans un tel contexte, écrit-il, d’invoquer l’histoire pour inspirer un peuple, d’autant que le sentiment national est jugé particulièrement toxique puisqu’on lui trouve vite une parenté avec le racisme »5. De cet avant-gardisme bien particulier, essayons donc de tirer au plus vite des leçons pour notre vieille France !

mémoire qu'on vous a volée

Price: 13,99 €

1 used & new available from 13,99 €


  1. Gilles Proulx ; Louis-Philippe Messier : La Mémoire qu’on vous a volée – de 1760 à nos
    jours
    , Montréal, Les Editions du Journal, 2019, p.106. ↩︎
  2. https://www.horizonquebecactuel.com/maj-decouvrez-la-carte-des-68-eglises-incendiees-
    ou-vandalisees-au-pays-de-justin-trudeau
    ↩︎
  3. https://www.spectator.co.uk/article/the-mystery-of-canada-s-indigenous-mass-graves/ ↩︎
  4. https://www.dailymail.co.uk/news/article-12951743/churches-Canada-burned-vandalized-indigenous-native-american.html ↩︎
  5. Préface de l’ouvrage de Gilles Proulx. ↩︎


Vous venez de lire un article en accès libre.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !

Article précédent De l’IA faible à l’IA forte, y a-t-il un chemin ?
Article suivant Dialogue judéo-chrétien: le Pape François incompris?
Analyste géopolitique (Russie, Turquie), auteur et spécialiste en relations internationales et en études stratégiques.

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Pour laisser un commentaire sur un article, nous vous invitons à créer un compte Disqus ci-dessous (bouton S'identifier) ou à vous connecter avec votre compte existant.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération