Un webmoraliste qui tient blog sur Mediapart commence ainsi un de ses récents articles : « Allô ? Allô ? Vous me recevez ? T’es ministre de l’intérieur et tu connais pas la loi ? C’est comme si je te dis, heu… T’es socialiste et tu pourchasses les pauvres, non mais allô, quoi ! » Cela se veut une parodie d’une séquence de téléréalité mettant en scène une bimbo particulièrement accablante, et qui fait fureur dans les cours de récréation.
Il s’agit en fait de dénoncer Manuel Valls et ses récentes déclarations concernant le démantèlement des camps de gens du voyage venus de Roumanie. Installations qui se sont multipliées de façon exponentielle sur le territoire français puisque l’on considère par exemple que pour la seule Île-de-France, il y a actuellement entre 30 et 40 000 personnes dans ces « camps ». La Seine-Saint-Denis, département, comme d’habitude, particulièrement favorisé, compte 250 de ces camps.
C’est un sujet délicat, puisque les belles âmes se sont trouvé là une nouvelle et noble cause, et que la société compassionnelle contribue à faire descendre le point Godwin à très basse altitude. Or les belles âmes ont la détente rapide, Véronique Genest en sait quelque chose. Essayer d’échapper à la dictature d’une émotion primaire, exprimer quelques interrogations, se préoccuper du sort des populations riveraines de ces camps, c’est la blitzkrieg assurée, et sans déclaration de guerre. Rafales de gros mots : « racisme, xénophobie, rafles », bombardements d’accusations : « fasciste, voire pire, sarkozyste ». Donc prudence.
Mais cette fois-ci, il se trouve que la question vient sur un terrain qui m’est un peu plus familier, celui du droit. Cela avait déjà été le cas, lorsque certains des dirigeants des jeunesses socialistes avaient poussé des hurlements parce que les pauvres parmi les pauvres d’une cité marseillaise, excédés par les « nuisances » et devant l’inertie des pouvoirs publics, avaient fini par expulser eux-mêmes les occupants d’un bidonville. « Dans un État de droit, on ne se fait pas justice à soi-même ! » tonnaient, à distance, nos jeunes militants adeptes d’un tri sélectif entre les pauvres, et d’un État de droit à géométrie variable.
Eh bien tiens, justement, si l’on abordait cette question sous l’angle juridique ?
Concernant Manuel Valls tout d’abord. Est-ce que comme le clame le vertueux blogueur médiapartiste, le ministre de l’intérieur aurait commis le délit de discrimination en « stigmatisant » une minorité particulière ? Se comportant à cette occasion, une fois de plus, comme Nicolas Sarkozy mais en pire.
Dans un entretien accordé au Figaro le 14 mars 2013, Manuel Valls affirme : «La situation, devenue intolérable, ne peut perdurer : il faut faire respecter la loi en démantelant le maximum de camps de Roms insalubres…». Le mot qui compte est bien évidemment le dernier. C’est ce critère d’insalubrité qui justifie l’intervention de la puissance publique et le démantèlement de ces camps. Pas le fait qu’ils soient occupés par des Roms. La simple lecture des articles 225-1 et 225-2 du Code Pénal, qui répriment la discrimination, démontre qu’ils ne peuvent en aucun cas recevoir application à cette occasion. Or, le Code Pénal c’est la loi. D’éventuelles décisions de justice qui sont autant de cas d’espèce particuliers, c’est la jurisprudence. Nos ignorants mélangent tout.
Manuel Valls nous dit, lui, « qu’il faut faire respecter la loi ». Il a doublement raison. Les citoyens de notre pays ont un « droit opposable » à la sécurité, à la propriété, à l’intégrité de leurs biens. L’État doit prendre les mesures pour le faire respecter. Et s’il ne le fait pas, il viole sa propre loi et engage sa responsabilité.
Petit cas pratique pour illustrer ce propos. L’installation d’un camp de Roms en région parisienne. Quelque part dans l’Essonne, un bidonville y a été installé, sur un terrain privé appartenant à un propriétaire identifié, en brisant des clôtures pour y pénétrer. Véritable et ignoble cloaque, il « abrite » aujourd’hui plus de 800 personnes ! En bordure d’un étang communal sur lequel nageaient des cygnes, des canards et où il y avait des poissons pour les pêcheurs de l’association municipale. Un riverain élevait également des oies et quelques chèvres. Il n’y a plus rien. L’étang a été entièrement pêché au filet. Il sert désormais de dépotoir à une montagne d’ordures. Les cygnes, les canards, les oies et les chèvres, disparus, mangés, comme les poissons. Les jeunes filles du camp s’adonnent à la prostitution dans le bois voisin, rendant ce lieu de promenade un peu moins attrayant pour les familles. Les enfants, tous d’un âge inférieur à la majorité pénale, parcourent les rues de la petite ville. Ils rentrent dans les maisons, cambriolent pendant que d’autres s’adonnent à la mendicité ou pillent les potagers. La municipalité avait mis en place un système de collecte des ordures avec des bacs en plastique rutilants. Avant le passage des bennes, ils sont systématiquement renversés pour pouvoir les fouiller plus vite, laissant la chaussée dans un état infect et obligeant les services municipaux de nettoiement à repasser tous les jours. Les vols de métaux se sont généralisés, plaques d’égout, fils électriques etc. Autre spécialité, particulièrement sympathique : le nettoyage des cimetières. Tout ce qui garnit les tombes est systématiquement volé ou arraché.
Le système parfaitement organisé consiste à ramener l’argent ainsi que le produit des vols et des trafics aux dirigeants du camp qui centralisent, et probablement répartissent. Avec, semble-t-il, l’envoi en Roumanie d’une partie du butin.
Est-il nécessaire de faire l’analyse juridique de ces comportements ? Violations de domiciles, vols en réunion, vols avec effraction, racolage, proxénétisme, dégradations, pollutions, agressions, violences, profanations de sépulture. Un consternant catalogue.
Et qui sont les victimes de cette prédation ? Les pauvres. Ceux qui habitent dans la grande périphérie. Qui font quatre heures de transports par jour pour aller au boulot quand ils en ont un.
Aucune procédure pénale n’a jamais été intentée. Aucune protection particulière des habitants n’a été mise en place, ni même envisagée.
Eh bien, dans un État de droit, ces citoyens aussi ont des droits. Et il est du devoir du ministère de l’intérieur de les faire respecter.
Lorsque l’on parle de ce devoir, on fait bien état d’une obligation juridique. Les autorités n’ont pas le droit de laisser se créer des conditions susceptibles de créer des dommages, y compris aux habitants de ces bidonvilles. Les infractions de « mises en danger délibéré de la vie d’autrui », « homicides et coups et blessures involontaires » en laissant quelqu’un « exposé à un risque immédiat de mort ou de blessures qu’on ne pouvait ignorer » sont imputables à l’État . Les autorités publiques sont obligées d’intervenir. Elles encourent des poursuites pénales si elles ne le font pas. D’ailleurs, on peut imaginer que s’il survenait un drame humain, accident, incendie, dans un de ces camps, nos belles âmes seraient les premières à appeler au lynchage des maires et des préfets.
Alors bien sûr, on peut comprendre le réflexe de compassion face aux conditions de vie absolument infectes qui sont celles de ces gens. Ne pas être très fier lorsque l’on assiste à un démantèlement. On peut se dire que ce n’est pas la solution. Qu’il faudrait faire autrement.
Eh bien non. Désolé, mais c’est un problème qui n’a pas de solution.
Pourquoi viennent-ils en France actuellement ? Parce qu’ils ont été chassés de Roumanie ? Parce qu’il souhaitent s’intégrer dans notre pays ou être assimilés ? Non, au-delà des facilités juridiques données par le droit européen, c’est parce que nous sommes un endroit rémunérateur et accueillant pour l’organisation sociale et le modèle économique qui sont les leurs.
Les Roms ne sont pas des réfugiés contraints par leur exil de vivre de ces expédients. La réalité n’est pas celle-là. Le modèle économique de ces communautés est un système « prédateur ». Leurs déplacements les amènent à venir s’installer dans un endroit où ce système très organisé va pouvoir se déployer : mendicité, délinquance, prostitution. Et lorsque l’endroit est moins intéressant, ou que l’on est chassé, on se déplace. Manuel Valls dit que la plupart ne veulent pas s’intégrer. Bien sûr ! Notre mode d’organisation sociale est tellement éloigné du leur qu’à de rares exceptions, ils n’ont aucune raison de vouloir s’intégrer. Pourquoi s’imaginer que tout le monde veut s’intégrer à notre modèle ? La vie d’un jeune chômeur de grande périphérie est-elle si enviable ? Très concrètement, ce n’est pas leur intérêt. Et il ne s’agit pas, bien sûr, de racisme ou de xénophobie. Personne n’ose prétendre que ces gens du voyage sont génétiquement des délinquants. Simplement, on constate un gap social et culturel, qui fait qu’en l’état, pour notre pays, il n’est pas possible de laisser se développer ce phénomène.
Et surtout, la France est un État de droit, et on doit y respecter la loi. Et il appartient à Manuel Valls, ministre de l’Intérieur, d’y veiller. Et ce n’est pas montrer du doigt une nationalité ou une ethnie particulière que de ne pas accepter que des groupes s’affranchissent ou soient affranchis du respect de la loi qui s’impose à tous les autres.
Il y a bien sûr des associations qui essayent de faire avancer les choses, de trouver des solutions, des moyens de dialogue. Des gens sincères et dévoués, guidés eux par une vraie compassion. Ce sont des efforts louables, mais désolé, ce sont des pansements sur des jambes de bois.
Terminons par les belles âmes. Il y a deux choses qui sont très choquantes. D’abord, et comme d’habitude, elles s’achètent une bonne conscience avec l’argent des autres. Ensuite, elles font le tri entre les pauvres. Comme ces bourgeoises du XIXe siècle dans leurs ouvroirs, elles ont les leurs. Les autres, ceux qui subissent cette prédation, elles s’en fichent, ils sont transparents. Parcourez la littérature abondante de nos belles âmes, vous n’y trouverez jamais un mot sur ceux qui sont les vraies victimes.
Mais en fait, c’est vrai ça, comment peut-on habiter dans l’Essonne ?
*Photo : Fondapol – Fondation pour l’innovation politique.
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