La campagne officielle pour l’élection du président de la République au mois d’avril 2022 n’a pas encore commencé. Pourtant, depuis des semaines, quelque chose se passe qui y ressemble. Une récréation avant l’avènement d’un moment solennel et grave pour la République?
Pour les uns, cette « précampagne est un automne de bruit de de polémiques » et « les chaînes d’info en continu » seraient « face à la parole décomplexée« . Pour les autres, plus nombreux, citoyens curieux et fascinés par cette sorte de « lever de rideau » qui dure, il me semble qu’ils ne le vivent pas telle une ouverture qui naturellement sera suivie par l’opéra politique mais comme un spectacle, une effervescence et un divertissement autonomes, une collection d’espérances et de déceptions, qui donne un piment infini à une démocratie à la fois impuissante sur le plan régalien (le plus loufoque : les insaisissables Dalton faisant du chantage !), à bout de souffle mais complaisante au point de laisser mille épisodes, importants ou dérisoires, mais tous signifiants, s’ébattre dans son champ. Quasiment tous les jours des sondages, des classements, des placés ou non, telle une permanente course de chevaux. Des casaques rutilent, d’autres à la peine.
Domination médiatique de Zemmour
Une domination médiatique écrasante d’un Eric Zemmour, avec un extrémisme dévastateur, global et talentueux, alors qu’il n’est pas encore candidat et calque sa stratégie et sa gestion du temps sur celles d’Emmanuel Macron voulant profiter au maximum de son statut de président et du luxe d’une campagne officieuse qui pour être ostentatoire ne choque personne. Comme Eric Zemmour qui retarde le plus possible le moment de savoir si ses lecteurs seront des électeurs…
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La recherche plus comique qu’attristante d’un candidat pour la gauche, d’une personnalité capable de rassembler socialistes et écologistes, étant entendu que pour Jean-Luc Mélenchon, hors de lui et de la France Insoumise point de salut et que pour Fabien Roussel, la meilleure méthode est d’empêcher ses adversaires de se présenter, en tout cas Eric Zemmour.
Et ça fleurit, et ça prospère, Anne Hidalgo tombant dans une indignation surjouée pour se camper en vigie d’à peine 5%, Arnaud Montebourg comptant sur son talent et sur le fait qu’il n’avait pas été le moins lucide sur les maux de la France sous François Hollande, ce dernier conseillant Anne Hidalgo à Tulle au nom de son échec radical de 2017, Yannick Jadot ne sachant plus comment se dépêtrer de Sandrine Rousseau qu’il a mise dans ses jambes, avec, à intervalles réguliers, l’invocation de la « grande conscience » qu’aurait été Christiane Taubira qui a à son crédit paradoxal l’originalité d’avoir été un déplorable garde des Sceaux réussissant le tour de force de cumuler l’inaction et la nocivité.
Une récréation avant un moment grave
Je confirme que ces péripéties contrastées, ces ambitions, cette valse effrénée de « pousse-toi de là que je m’y mette », ces joutes lilliputiennes, cette répudiation absolue de la tenue et de la dignité de la République, cette indifférence, dans l’opposition, à l’égard de la plausibilité de ses attaques et, au pouvoir, d’une forme d’allure dans sa domination manifestent, à mon sens, qu’on est dans une période où on a lâché la bonde et où on s’autorise des foucades et des dérèglements telle une récréation avant la gravité de la politique, le souci de la sauvegarde de la France et de son identité et la volonté de l’empêcher de sombrer, dans tous les sens des termes, corps et biens.
La campagne n’a pas officiellement commencé mais la précampagne relève plus d’un cirque passionnant que d’une République bandant ses forces pour être à son meilleur dans quelque temps. Je ne m’en plains pas, moi qui ai toujours trouvé le bonheur de la liberté, la satisfaction de la curiosité dans le fait précisément de n’être ni un expert ni un sachant.
Les manœuvres judiciaires contre Charles Prats ou Robert Bartoletti
Il y a des anomalies, des amorces d’autorité, des interventions sans classe qui viennent, comme par contagion, profiter de l’aubaine d’une séquence où cul par-dessus tête, la normalité prend l’eau. J’ai évoqué Christiane Taubira mais rendons au couple Macron ce qui lui est dû et lui a permis de nous faire don d’Eric Dupond-Moretti comme ministre de la Justice incongru. On pourrait en sourire mais au fond ce n’est pas drôle. Sur les plans démocratique et judiciaire, cette absurdité délibérée a induit un nombre d’effets pervers qu’elle a directement engendrés et face auxquels le syndicalisme qui politise souvent à tort se tient étrangement coi. Eric Dupond-Moretti, qui s’est absolument tout permis comme avocat, est devenu un ministre qui ordonne enquête administrative sur enquête administrative en se piquant d’être un puriste de la déontologie. Le magistrat Charles Prats qui est doublement coupable – il est de droite et il a écrit deux livres à succès dénonçant le coût effarant des fraudes sociales (la fraude fiscale il est de bon ton de la vitupérer !) est dans le collimateur de la Chancellerie.
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Plus grave, l’avocat général Robert Bartoletti, choisi par sa hiérarchie, ayant requis dans le procès de Jack S, fait également l’objet pour sa parole à l’audience et certaines de ses questions (que j’aurais posées autrement mais qu’il avait le droit le plus strict de formuler) d’une enquête à la suite de deux articles du Monde (dont l’un révèle le passé disciplinaire du magistrat et l’autre s’émeut pour telle ou telle de ses interrogations). Ayant bizarrement mobilisé, dans l’urgence, le ministre si peu légitime pour s’offusquer d’une liberté de parole, intouchable, que l’avocat se l’accordait au-delà de toute mesure !
On reparle de Mimi
Encore plus inquiétant a été l’échange révélé par Mediapart entre Brigitte Macron – l’épouse du président de la République qui est, je le rappelle, le garant de l’unité et de l’indépendance du corps judiciaire – et Mimi Marchand, personnalité douteuse impliquée dans une sale affaire avec, notamment, le JDD de Hervé Gattegno, Takieddine et autres intermédiaires. Brigitte Macron adresse ses encouragements à son amie Mimi et qualifie de « dégueulasse » le traitement de l’affaire, elle s’apitoie sur Nicolas Sarkozy qui a dû subir « l’enfer » parce que, selon lui, les juges, depuis Outreau, lui en voulaient. Ce petit milieu tourne en rond, se connaît, se concerte, viole la retenue et l’élégance qu’il devrait respecter. Mais, après tout, pourquoi pas ? Puisque personne ne s’en émeut. Pourtant ce n’est pas rien quand du haut jusqu’en bas toute décence républicaine est jetée par-dessus bord.
Je suis fondé à mêler ce qui pour certains ne sont que des « broutilles » à l’effervescence spectaculaire et désordonnée d’un climat national qui recouvrera, je l’espère, sérénité, cohérence et dignité quand tous, sans exception, seront officiellement candidats et que LR, le 8 novembre, avec cinq candidats dont aucun n’est médiocre – quel autre parti peut en dire autant ? – s’engagera dans la joute médiatique et politique qui désignera enfin le 4 décembre le porteur de ses couleurs pour tenter de l’emporter au second tour face peut-être à Emmanuel Macron.
On quittera le spectacle pour la réalité et d’une certaine manière la vraie vie. J’ai hâte.
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