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Camerone, le beau geste

Jurant de se battre jusqu’à la dernière cartouche, les légionnaires prêtaient serment il y a 160 ans


Camerone, le beau geste
Commémoration annuelle de la bataille de Camerone, le 30 avril 2016 à Nîmes. © BONY/SIPA

Il y a 160 ans avait lieu la bataille de Camerone, symbole encore vivant de l’esprit de sacrifice sur le champ de bataille.


« Ils furent moins de soixante opposés à toute une armée… » La phrase retentit un peu partout en ce 30 avril. Quel combat des géants fut le leur, qui opposa une poignée de ces légionnaires contre une marée de 2000 soldats mexicains dans une hacienda abandonnée ! Les légionnaires d’aujourd’hui, actifs et anciens, fêtent cet exemple de la grandeur et du sacrifice, du panache et du devoir ; on y célèbre plus encore que la bataille le culte des anciens et de l’héritage, car chaque légionnaire est héritier de cet héroïsme et chacun d’eux est dépositaire de ce mythe fondateur.

Et quel mythe ! Nous sommes en 1863 à Sidi Bel Abbes : les légionnaires du Régiment étranger, qui s’étaient illustrés non seulement comme combattants à Magenta et à Sébastopol, mais aussi comme bâtisseurs réputés en Algérie, embarquèrent sur les vaisseaux aux noms de Saint-Louis et Wagram pour atteindre les plages du Mexique. Il y a à l’aube du récit quelque chose qui invoque déjà l’épopée et les grandes destinées.

Arrivé au Mexique avec ses hommes, le capitaine Danjou, dont l’avant-bras amputé ne l’avait pas empêché de servir noblement à Solferino, méprise encore une fois son handicap pour accepter la mission qui lui sera fatale : une ouverture de route sur 35 kilomètres en territoire ennemi pour permettre le passage d’un convoi français. Certains, dont le légionnaire Timmermans qui n’a que 17 ans et qui n’en sortira pas, ignorent qu’ils y vivront leur baptême de feu. En effet, il y a de ces jeunes recrues qui savent à peine manier leur arme, mais qui sauront vite se fondre dans la grandeur face au piège qui leur est tendu. Le départ des légionnaires à 1h du matin est annoncé et ils auront parcouru 24 kilomètres à marche forcée avant d’être repérés vers 7h ; traqués et cernés, les légionnaires du capitaine Danjou doivent se retrancher dans une hacienda. Au fil des heures, ils voient arriver par vagues des centaines de soldats de l’armée mexicaine : 2000 hommes s’amasseront bientôt aux portes de leur refuge.

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Alors, l’Histoire avec un grand H s’exerce et la légende gronde sous terre, car si toutes ces circonstances mènent un quidam tout droit vers le désespoir, les légionnaires répondent au fatalisme de Camerone avec une foi entêtée dans ce qu’on appelle la Mission sacrée. N’ayant pas encore eu la chance de résister, un soldat mexicain les a déjà sommés de se rendre. Dans la bonne tradition de Cambronne, on lui répond : « Nous avons des cartouches et ne nous rendrons pas ! ». Le capitaine Danjou tend ensuite l’œil à l’horizon, rêvant aux secours, mais il ne se fait pas d’illusion. Il se souvient alors que ses légionnaires crèvent de soif sous le soleil brûlant, les mules transportant les vivres s’étant échappées aux petites heures du matin et les soldats n’ayant pas mangé ou bu depuis la nuit précédente. Il retire de sa musette une bouteille de vin qu’il partage avec tous ses hommes et ils boiront ce calice jusqu’à la lie : jurant de se battre jusqu’à la dernière cartouche, ils prêtent le Serment de Camerone. N’y eut-il jamais communion plus grave et plus solennelle dans toute l’histoire de l’Armée française ?

Peu de temps après, vers l’heure de midi, le capitaine meurt frappé d’une balle en plein cœur.

Les vagues d’assaut se précipitent, puis on met le feu à la grange où est réfugiée une section de légionnaires ; d’autres assauts s’ensuivent. Mais quoi ! L’ennemi n’arrive toujours pas à emporter la position, car les légionnaires tiennent bon. On leur lance un second, puis un troisième ultimatum : les hommes de la Légion leur répondent avec le mépris du silence. Les cinq légionnaires valides qui demeurent parviennent à semer le désordre parmi les rangs ennemis, mais, face à un ultime assaut, et faute de munitions, ils se préparent à mourir avec leurs dernières cartouches en main. Il est 18h, et le sous-lieutenant Maudet, à qui il revient l’honneur de commander les quatre derniers hommes, donne l’ordre de tirer une dernière salve puis, dans une séquence hallucinante, de charger à la baïonnette les hordes qui les attendent. Il n’y a pas, pour dire ce courage, de meilleure épithète que celle du beau geste, insensé et généreux.

Un officier mexicain intervient et empêche le carnage imminent, les sommant de se rendre. On accepte, à condition… de conserver les armes. « On ne refuse rien à des hommes comme vous ! », leur répond l’officier, dans un de ces merveilleux exemples d’honneurs militaires. Les derniers légionnaires, prisonniers, sont ensuite présentés au colonel Milan, qui dit tout haut ce que l’on pense tout bas : « C’est là tout ce qu’il en reste ? Ce ne sont pas des hommes, ce sont des démons ! » En effet, on aura par la suite déclaré vingt morts au combat parmi les légionnaires, contre trois cents chez l’ennemi.

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À l’heure actuelle, toutes les unités de la Légion étrangère s’assemblent dans le souvenir du sacrifice et du courage de leurs aïeux. Une célébration profane s’allie au culte religieux de la mémoire, accompagné de reliques telle la main en bois articulée du capitaine Danjou ; d’une procession au son de la Sarabande de Haendel ; d’une liturgie tel le récit officiel du combat qu’un légionnaire déclame devant l’assemblée ; d’une anamnèse en hommage aux Anciens – Faites cela en mémoire de moi ! – ; et encore, de ce credo monacal du « Legio Patria Nostra ! » scandé par l’unique voix de milliers d’âmes étrangères volontairement engagées. Les actes d’une folle résistance et d’une absurde espérance, l’amour des causes perdues, la France en a déjà vu, c’est même une tradition nationale. Mais quel régiment peut rivaliser avec la Légion étrangère dans l’attisement des braises et sa passion du souvenir ?

La Légion étrangère s’élève parce que totalement soumise à la mémoire d’un Danjou, d’un Jeanpierre, d’un Seeger, d’un Amilakvari, d’un Saint Marc, d’un Sairigné. Ce sont les héros du passé qui dictent leur règle de vie. Ainsi, encore aujourd’hui, les légionnaires récitent leur Code d’honneur, puis, arrivés à l’article VI – La mission est sacrée, tu l’exécutes jusqu’au bout et, s’il le faut, en opérations, au péril de ta vie –, pensent encore et toujours à la dernière cartouche et au beau geste de la baïonnette.



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Chercheuse québécoise en histoire et littérature militaires françaises, Mélanie Courtemanche-Dancause collabore au magazine "L’Incorrect".

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