Caméras de vidéosurveillance: ça tourne (pas toujours rond)


Caméras de vidéosurveillance: ça tourne (pas toujours rond)
(Photo : SIPA.REX40388342_000021)

« Caméras de vidéosurveillance qui parlent : va-t-on trop loin ? » Ce titre inquiétant est directement issu du petit « sondage » quotidien de l’édition en ligne du journal Le Parisien. Une question différente chaque jour, sur des sujets assez diversifiés : sport, politique, société, comportement d’une personnalité publique, etc. Parfois, on fait même bizarrement appel aux supposés dons divinatoires du lecteur moyen : « La France va-t-elle gagner le championnat du monde ? » Deux réponses possibles : oui ou non.

En ce lundi de Pâques 2016 nous avons donc eu droit à cette question sur la vidéosurveillance. Ce n’est pas la question qui m’interpelle, mais la réponse : 67,4% des lecteurs votent « non », et seulement 32,6% d’entre eux votent « oui ».

J’ignore si les lecteurs du Parisien en ligne sont représentatifs de la population française, mais, étant donnée l’apparente neutralité politique du journal, on peut supposer que oui. Il y aurait donc parmi nous, 67,4% de personnes qui considèrent qu’on ne va pas « trop loin » en espionnant tous nos faits et gestes dans l’espace public, et en intervenant illico au moindre comportement litigieux.

Il y a déjà de nombreuses caméras de surveillance muettes un peu partout, au quotidien on les oublie. L’aspect positif de leur présence est qu’elles permettent, parfois, d’identifier agresseurs et voleurs et de mettre fin à leurs agissements, mais il est assez angoissant de se dire que ce n’est probablement qu’une étape vers une utilisation généralisée à tous. Certaines villes comme Mandelieu-la-Napoule (dans les Alpes-Maritimes) ont d’ailleurs déjà mis en place un système de surveillance par caméras parlantes.

Imaginez… Vous décidez de jeter votre mégot de cigarette dans le caniveau, Médor s’oublie là où il ne faut pas, un pneu de votre voiture déborde un peu sur le passage protégé, vous entendez alors une voix vous donner l’ordre de corriger immédiatement votre comportement, certes incivique, mais tout de même banal. Stupéfié vous vous retrouvez tout à coup et bien malgré vous, dans le rôle de Don Camillo sermonné par la voix de Dieu le Père lui-même. Mais ici, la Voix est simplement rétribuée par la municipalité et postée derrière ses écrans de surveillance. Le progrès technologique est vraiment une chose formidable…

Autrefois, on apprenait à l’école qu’il fallait construire sa vie dans la recherche du bien commun, que notre liberté s’arrêtait là où commençait celle de l’autre, que le respect de soi supposait le respect de cet Autre, et qu’on ne pouvait pas faire n’importe quoi, n’importe comment et n’importe où. Le surmoi ainsi façonné nous faisait adhérer à des valeurs communes qui rendaient possible et pacifiée la vie en société. Pour ceux qui n’avaient pas tout compris, le gendarme, la justice et la prison se chargeaient du complément d’information.

Les mêmes valeurs étaient enseignées d’une manière différente dans les églises, et depuis bien plus longtemps. Le regard d’un Dieu omniprésent, faisant redouter au croyant sincère, le moindre écart de son propre comportement. Heureuse époque où il était rare d’avoir à fermer sa porte à double tour, où les routes n’étaient pas des poubelles à ciel ouvert et où l’on parlait encore à ses voisins.

L’Ecole et l’Eglise on été balayées dans la désinvolture de la fin du siècle passé et leur désagrégation se poursuit. La justice a pris une tournure étrange, lui faisant souvent excuser le comportement déviant et ignorer la victime. Restent les caméras de surveillance…

Il semble que pour certains il faudrait les multiplier, les améliorer, les moderniser, les rendre plus performantes… et parlantes. Et, tant qu’on y est, surveiller tout le monde. Puisqu’on a renoncé à éduquer le citoyen et sa progéniture à la vie en société, au respect, et au contrôle de ses impulsions, il faut mettre en place un système qui entérine l’infantilisation générale et remette au goût du jour le bon vieux coup de pied aux fesses, qui certes, sera dans un premier temps seulement sonore mais qui, en cas de non obtempération immédiate, sera suivi de l’arrivée de la police et d’une éventuelle verbalisation.

Big Brother pointe son nez, et chose étonnante 67,4% d’entre nous le plébiscitent, sans se rendre compte que leur adhésion à ce flicage généralisé est peut-être surtout un dégât collatéral de l’insécurité qui s’est installée peu à peu dans notre pays et plus récemment du terrorisme islamiste. Quelle belle opportunité pour mettre en place progressivement une société qui aliénera l’individu, et qui plus est, avec son propre consentement. Machiavel n’aurait pas rêvé mieux.

J’en étais là de ma réflexion sur ce micro sondage du Parisien, et sur la société liberticide qui s’annonce, lorsque le lendemain, mardi 29 mars l’association de protection animale L214 a rendu publique sa troisième vidéo en moins de six mois (visible ci-dessous). Caméra cachée dans un abattoir par un salarié écœuré par les pratiques du lieu, cette vidéo est encore plus ignoble que celles tournées dans les deux abattoirs précédents : bovins se débattant  suspendus par une patte et découpés encore vivants, bêtes frappées, agneaux écartelés vivants, je vous évite les autres détails vomitifs de cette barbarie.

Le directeur de l’abattoir tombe des nues, il se dit sali par les comportements de ses employés, ça laisse songeur… Pourtant, ce que révèlent ces vidéos, les unes après les autres, c’est que ces pratiques relevant du sadisme sont monnaie courante dans tous les abattoirs de France, au point que le ministre de l’Agriculture Stéphane Le Foll a décidé d’ordonner aux préfets de procéder d’ici un mois à des « inspections spécifiques sur la protection animale dans l’ensemble des abattoirs ». Le rapport de ces inspections sera transmis à la commission d’enquête parlementaire créée récemment grâce à l’action de L214.

Il y a peu de chance que les comportements pervers et sadiques, révélés par ces vidéos, se manifestent devant les personnes chargées d’inspecter les conditions d’abattage. Ces inspections sont de la poudre aux yeux et du temps perdu, mais sans doute une étape permettant des décisions ultérieures. La meilleure solution, celle préconisée par nombre d’associations de protection animale, serait l’installation permanente de caméras de surveillance sur les postes d’abattage dans chacun des abattoirs français. Là, il ne s’agit pas d’espionner le citoyen moyen, il ne s’agit pas d’atteinte aux libertés individuelles, il s’agit d’éviter des dérives de comportements inexcusables.

Les abattoirs ne sont pas des lieux de villégiature, on s’en doutait, la mort reste la mort, mais il y a des limites à ne pas franchir. L’heureuse tendance actuelle de certains éleveurs qui mettent en avant le bien-être des animaux comme gage de qualité de leur viande, est réduite à néant par les pratiques innommables de tueurs d’abattoirs. On se doute également que pour pratiquer un tel métier il faut laisser sa conscience au vestiaire… Si on en a une… Alors là, oui, remplaçons les consciences par des caméras de surveillance simples, nul besoin qu’elles soient sonores. Les associations de protection animale pourront vérifier à chaque instant que la loi est respectée puisqu’elle impose l’absence de souffrance lors de l’abattage. Se sachant surveillés, les employés à tendance sadique, s’abstiendront de s’épanouir dans la pratique de leur métier. On espère que leurs proches ne pâtiront pas de cette frustration !



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est monteuse sur une chaîne de télévision.

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