Accueil Édition Abonné « Un cambriolage n’est pas moins traumatisant qu’une agression »

« Un cambriolage n’est pas moins traumatisant qu’une agression »

Entretien avec l'ancien général de gendarmerie, Patrice Bayard


« Un cambriolage n’est pas moins traumatisant qu’une agression »
La police intervient après un cambriolage à Paris, janvier 2018. SIPA. 00839092_000006

Aujourd’hui retraité, le général de gendarmerie nationale Patrice Bayard a vu le profil des cambrioleurs évoluer. Aux traditionnels petits délinquants isolés, se sont adjoints des organisations structurées roms, roumaines ou issues de l’ex-URSS. Cette professionnalisation de la rapine oblige police et justice à s’adapter.


Causeur. Tandis que le terrorisme, les trafics de drogue et les crimes de sang accaparent l’attention médiatique, les 250 000 cambriolages qui ont lieu chaque année en France semblent passer sous les radars. Un cambriolage est-il moins traumatisant qu’une agression ?

Patrice Bayard. Pas du tout. Ce type de délinquance contribue très fortement au sentiment d’insécurité. Au cours de ma carrière, j’ai vu de nombreuses victimes traumatisées longtemps après un cambriolage, souvent bien au-delà du préjudice matériel subi. Les gens sont très choqués que l’on puisse entrer chez eux, fouiller leur maison, y voler des biens, fût-ce de faible valeur.

Qui sont aujourd’hui les cambrioleurs ?

Je distingue deux grandes catégories. D’abord ceux qui ont toujours sévi : jeunes à la dérive, drogués ou individus en quête de petits profits rapides. Ils travaillent sur un petit périmètre, sont souvent interpellés et bien connus par les forces de l’ordre. Ensuite, il y a la délinquance itinérante, parfois organisée, qui a longtemps été sous-estimée. Cette catégorie comporte trois grandes familles : celles qui tournent autour d’un clan rom, des organisations moins structurées typiquement roumaines (et non roms !) et enfin les associations criminelles très structurées autour de chefs qui se projettent sur des territoires très lointains.

Je me souviens d’une petite organisation qui recrutait des jeunes Roumains pour voler dans des exploitations agricoles en France. Leur butin nous semblait de peu de valeur (vieux vélos, tronçonneuses). Ils remplissaient des fourgonnettes entières et repartaient pour la Roumanie pour les revendre sur le marché noir ou sur des sites type Le Bon Coin. Avant qu’on y mette fin, ils ont créé un véritable malaise chez nos agriculteurs.

En France, les organisations les plus structurées sont d’origine géorgienne ou moldave.

Nous avons mis du temps à comprendre cette culture criminelle. On se contentait d’arrêter des petites équipes de cambrioleurs, parfois de deux ou trois membres, sans rien savoir de l’organisation à laquelle ils appartenaient. Sur un même territoire, on peut voir opérer une dizaine d’équipes de cambrioleurs sous les ordres d’un lieutenant, lui-même dirigé par un dirigeant régional, lequel rend des comptes à un grand chef souvent implanté à l’étranger.

Ils obéissent à une sorte de code d’honneur – la loi des voleurs

Ont-ils tous des liens de parenté entre eux ?

Non. Ils sont recrutés et adhèrent à un système de valeurs codifié. Ce sont souvent des organisations créées par d’anciens prisonniers du goulag. Des durs qui ont appris à survivre dans des conditions inimaginables. Les autorités russes, notamment les services spéciaux, ont instrumentalisé ces structures criminelles, leur permettant de perdurer dans le temps. On les appelle d’ailleurs « voleurs dans la loi », car ils obéissent à une sorte de code d’honneur – la loi des voleurs. Cela peut vous sembler relever du fantasme et du cinéma, mais pour avoir été confronté à eux, je peux vous assurer que c’est une réalité bien connue dans les pays de l’Est. Ces structures criminelles exigent des rendements de leurs équipes qui doivent faire jusqu’à cinq ou six cambriolages par jour, parfois plus.

Visent-ils des appartements, des maisons ou des commerces ?

Ils visent principalement des appartements et des maisons individuelles, même s’ils ont aussi des membres spécialisés dans les vols à l’étalage dans les commerces. Les équipes de cambrioleurs proprement dites sont souvent composées de trois ou quatre personnes, dont un serrurier, qui ouvre les portes.

Quel butin recherchent-ils ?

L’image du cambrioleur qui emporte la télévision, la chaîne hi-fi est trompeuse : ils cherchent les bijoux, les montres, et tout ce qui peut se négocier très rapidement, comme les tablettes et les téléphones. Et, bien sûr, le liquide.

Comment est organisé le recel ?

Les receleurs sont souvent français. Tout ce qui est négociable est vendu sur place, le numéraire remonte en haut de la hiérarchie. La particularité de cette organisation, c’est que les voleurs eux-mêmes ne gardent pas leur butin. J’ai le souvenir d’un voleur qui avait gardé pour lui une montre : il a dû faire face à la « justice » de la bande.

En France, les voleurs échappent à de lourdes peines s’il n’y a pas violence

Sont-ils violents ?

Essentiellement entre eux. Pour l’instant, sur le territoire français, on n’observe pas de violence vis-à-vis des personnes. Sachant qu’en France, les voleurs échappent à de lourdes peines s’il n’y a pas violence et si ça se passe bien avec la police, ils font profil bas. Heureusement, nous avons réussi, non sans efforts, à faire comprendre à la police et à la justice qu’il ne s’agissait pas d’individus malheureux, mais de membres d’organisations criminelles. Aussi, les condamnations sont-elles de plus en plus lourdes, car le vol en bande organisée est considéré comme une circonstance aggravante.

Ces groupes de prisonniers étrangers appartenant à des organisations structurées régies par un code d’honneur posent-ils des problèmes particuliers à l’administration pénitentiaire ?

La vie en cellule fait partie du mode de vie normal des voleurs dans la loi. Évidemment, en prison, certaines personnes prennent le pouvoir et peuvent créer des problèmes. Il y a quelques années, il y a eu une confrontation dans une maison d’arrêt du côté de Saint-Étienne entre Géorgiens et Tchétchènes, mais pour le moment ça ne va pas plus loin.

Y a-t-il des passerelles entre cambrioleurs et trafiquants d’armes, de drogue ou d’êtres humains ?

Les cambriolages massifs sont bien souvent la première phase de l’implantation d’une organisation criminelle. Certains cambrioleurs évoluent ensuite avec des commerces, des bars, puis parfois vers la prostitution, le trafic d’armes et de drogue. Quant aux voleurs dans la loi, ils se concentrent sur leur corps de métier : les cambriolages.

Si on maintient la pression comme aujourd’hui, on peut contenir le phénomène

Comment réagissent les réseaux criminels français face à ces nouveaux arrivés ?

Pour l’instant, il y a très peu de conflits, car ces groupes criminels se spécialisent dans des activités peu rentables qui n’intéressent pas le grand banditisme français. Celui-ci préfère le trafic de drogue et la prostitution, et regarde un peu de haut les cambrioleurs. Mais, à terme, de sévères confrontations sont inéluctables. Les nouveaux finiront par déranger.

Quel est votre pronostic pour l’avenir ?

Si on maintient la pression comme aujourd’hui, on peut contenir le phénomène en perturbant et en dérangeant l’implantation des réseaux. Ces derniers recherchent un maximum de profit en prenant un minimum de risques. Ils tournent entre les régions, se déplacent et essayent de s’implanter là où il est plus simple de voler. Si on s’attaque à leurs structures de commandement, cela finira par les décourager et les inciter à aller ailleurs.

La difficulté croissante à utiliser de l’argent liquide a-t-elle un impact sur ce genre de criminalité ?

Bien sûr. C’est notamment vrai pour les réseaux roms spécialisés dans le vol de métaux. Si les acheteurs de métaux respectaient la réglementation et refusaient de payer en cash, cela les gênerait énormément. Nos amis allemands, qui acceptaient le paiement en cash, ont vu les vols de métaux exploser chez eux… mais cela avait aussi un impact dans notre pays, car les Roms continuaient de voler en France pour revendre en Allemagne.

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Octobre 2018 - Causeur #61

Article extrait du Magazine Causeur




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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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