Le meilleur livre de la rentrée de janvier n’est pas vendu en kiosque. Puisqu’il s’agit du calendrier des postes, aujourd’hui appelé « Almanach du facteur »…
Le critique doit lire tous les livres publiés sinon sa crédibilité professionnelle est questionnée. On s’interroge alors sur sa bonne foi. On met en doute son intégrité intellectuelle. On attend de lui, la rigueur du dévot et la servilité du bedeau. Tout lire étant un exercice physiquement et surtout nerveusement impossible à réaliser, il faut bien faire un tri dans la masse, un trou dans la nasse. Le critique avance donc à la machette dans cette jungle éditoriale étouffante qui semble se densifier dès le mois de janvier. Saloperie de réchauffement climatique ! On n’y voit déjà plus très clair et l’année commence à peine. Les rayons dégueulent de partout. Les libraires nous font du gringue en nous chuchotant « c’est de la bonne ». Les éditeurs nous serrent même la main quand ils nous croisent en ville alors que, le reste de l’année, ils nous ignorent magistralement. C’est fou comme notre charme agit à chaque rentrée littéraire.
2020 aura valeur de crash-test
Avec l’échéance des élections municipales au printemps et les grèves de décembre, le premier trimestre 2020 aura valeur de crash-test. Sur l’autel du best-seller, le monde de l’édition prie, appelle les dieux à la rescousse et tente de marabouter les lecteurs. Tous les enfumages sont autorisés sans risquer un procès pour épandage abusif.
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L’acheteur a compris le manège, il rechigne aujourd’hui à dépenser 18 euros pour un roman faisandé. Il n’a pas plus trop envie d’être le réceptacle de tant de compromissions. Il tient à son petit confort de lecture et à sa dignité. Qu’on déverse tant d’ignominies sur lui en toute impunité, il commence à se sentir sale, un peu dégradé aussi. Le lecteur est un gilet jaune qui s’ignore et qui possède encore ses deux yeux. Il ne demande pas la lune : une histoire pas trop tarte, écrite en bon français, avec un peu de style pour l’agrément, et puis surtout aucune leçon de morale à la clé afin de ne pas regretter son billet de 20 envolé. Le lecteur moderne n’a pas vocation à devenir la mascotte des nouveaux tortionnaires de l’écrit.
En septembre, on lui infligeait le flagellant d’Orléans, et en janvier, ça repart de plus belle avec des secrets poisseux. Car, on ne lui épargne rien, il a droit à la totale. Tous les sévices sexuels et psychologiques doivent passer par lui. On le prend en otage comme un usager du RER. Cher-e-s auteur-e-s, gardez vos turpitudes pour vos longues soirées en famille. Désormais, tout le monde a quelque chose à écrire, c’est l’infini à la portée des caniches.
Le critique ne sait plus comment faire convenablement son travail. On déplore sa subjectivité et son sens du copinage. À la fois vendu au système et payé pour dire sa vérité, il est perdant à tous les coups. Je rappellerai que le critique littéraire n’est pas assermenté par l’État, il n’a pas une obligation de résultat.
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Le calendrier, préalable à l’imaginaire
Il est injuste par nature et partisan par plaisir. N’attendez pas de lui un conseil pondéré, avisé, bien équilibré, il ne départage jamais les auteurs entre eux. Ce n’est ni un juge, ni un arbitre, au mieux un trublion foireux. Je comprends votre désarroi. À qui se fier ? Quel livre acheter ? J’ai décidé en ce premier week-end de déroger à ma règle et de vous proposer un vrai livre « utilitaire ». Il n’y a rien de pire que d’offrir un cadeau qui sert à un enfant, il vous en voudra le restant de sa vie. Ce livre n’est pas vendu en librairie mais au porte-à-porte par un ex-agent du service public. Il n’a pas la prétention d’égaler les plus grands auteurs du répertoire et cependant, il recèle à bien des égards toute la mythologie littéraire. Il est, par essence, le terreau de toute création artistique, un préalable à l’imaginaire, la preuve, il compile les prénoms et les rues. Il entrouvre des univers parallèles. À sa façon, il est aussi poétique que métaphysique, pratique qu’exotique. Il renseigne sur les jours de marchés. Il indique à l’habitant près, la population exacte de toutes les communes d’un département. Sérieusement, depuis combien de temps n’avez-vous pas lu quelque chose d’aussi pénétrant et mélancolique. L’ouvrir, c’est plonger dans son enfance. Vos aïeux surgissent à chaque page. Ma grand-mère ne se séparait jamais de lui. Elle le consultait presque quotidiennement et le manipulait aussi souvent que son chapelet.
Ce condensé de souvenirs à la mine rectangulaire se paye le luxe de vous apprendre l’origine des légumes oubliés et de lister les anniversaires de mariage (29 ans : velours ; 46 ans : lavande). Le langage des fleurs (la capucine pour l’indifférence ou le zinnia pour l’inconstance) y trouve également refuge. Le calendrier des Postes continue de perpétrer les usages qui font le lit de notre identité. Sa permanence dérisoire est un signe de modernité.
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