Comme certains spectacles vivants, le feuilleton Cahuzac s’est déroulé en trois actes (mais il y en aura sans doute d’autres). L’Acte I s’ouvre sur une onde d’indignation. Cahuzac, dont tous les médias louaient la compétence depuis des années, comme ils louaient d’ailleurs celle de DSK, devient subitement le diable de la République. Un compte en Suisse, quel crime inédit dans l’histoire de la République ! Le mensonge en politique, quelle horreur ! Le shérif chargé d’attraper les tricheurs était lui-même un tricheur ! Du jamais-vu ! Mais le système médiatique, fidèle à sa vocation profonde – faire réfléchir le public –, ne pouvait en rester là. À situation exceptionnelle, réforme exceptionnelle : Hollande doit donc bouger ! Les Français l’exigent ! Comment leur montrer que le gouvernement et l’Assemblée nationale ne comportent pas des dizaines de Cahuzac dans leurs rangs ?
S’ouvre alors l’Acte II : les sondages brandis dans tous les médias font monter la pression : 77% des Français jugent que leurs élus sont malhonnêtes, selon l’enquête Opinion Way-LCI-Le Figaro du 7 avril. Auditeurs attentifs de nos éditorialistes, les électeurs-sondés proclament leur « dégoût » (36%) et leur « défiance » (32%) à l’égard des politiques. Ils ne sont plus que 1% à éprouver du respect pour eux (à ce stade, il ne reste plus que les familles et amis des députés). Très en colère – comment ne le seraient-ils pas après dix jours de matraquage sur le diable Cahuzac ? –, les Français exigent des mesures fortes : la dissolution de l’Assemblée (33%), un remaniement avec (28%) ou sans (10%) changement de premier ministre. François Hollande, comme d’habitude, donne du temps au temps et réfléchit…
Bon, puisque les Français veulent du sang et des larmes, on va leur en donner.[access capability= »lire_inedits »] Lundi 8 avril, la manchette de Libération annonce une nouvelle affaire. Comment s’en étonner d’ailleurs puisque, après avoir laissé entendre, le jour même des aveux de Cahuzac, qu’on n’avait encore rien vu, Edwy Plenel avait promis, vendredi 5 avril, sur France Ô, un « nouveau scandale républicain » ? Les fins limiers de Libération filent donc ceux de Mediapart et croient découvrir que, le samedi 6 avril, Fabrice Arfi, enquêteur de classe 1 à Mediapart, aurait rencontré Laurent Fabius de retour du Mali. En conférence de rédaction de Libé, le dimanche matin, on imagine l’excitation de l’officiant du jour, le rédacteur en chef Sylvain Bourmeau : il faut lancer la piste Fabius. Après avoir jeté toutes ses forces vives dans l’enquête, le quotidien obtient… un démenti du ministre des Affaires étrangères. Qu’à cela ne tienne ! Dans l’ivresse du bouclage, le quotidien titre : « Le cauchemar continue », tout en précisant, toujours en « une », que le ministre « dément à Libération détenir un compte suisse ». C’est l’homme qui a vu l’homme qui a vu le journaliste… Ce qui permet à Edwy Plenel d’administrer, sur Twitter, une fessée déontologique au journal : « Libération a perdu la tête. » En interne, Bourmeau reçoit une volée de bois vert. Mais le boss Nicolas Demorand défend son lieutenant (un de ses derniers soutiens dans la rédaction) et l’enquête qui ridiculise le journal, au grand dam d’Éric Decouty, normalement rédacteur en chef chargé de coordonner les investigations, et de François Sergent, figure historique du journal. Deux jours plus tard, condamné par toute la médiacratie, Demorand passe du parapluie à l’autocritique, sous forme d’excuses entortillées à ses lecteurs (Nous avons eu tort d’avoir raison puisque vous ne nous avez pas compris…). Il ne recevra pas celles de la Société des personnels de Libération, qui demande sa tête depuis des mois, ou réclame qu’au moins il choisisse entre la fonction de PDG et celle de directeur de la rédaction. Anne Lauvergeon, qui siège au conseil d’administration de l’entreprise, a reçu les contestataires avec courtoisie. Mais Rothschild, qui demeure l’actionnaire majoritaire, n’a guère envie de se déjuger. Or, c’est lui qui a fait venir Demorand, un « coup » alors salué par toute la profession.
Qu’on ne croie pas, surtout, que seul le journalisme de gauche sait « porter la plume dans la plaie ». Quelques jours plus tard, c’est au tour de Valeurs Actuelles de proclamer, sur la foi de déductions hasardeuses, que « Moscovici savait ». Il faut croire que le messager pervertit le message : ce « scoop » est assez peu relevé par la concurrence…
Passons à l’Acte III. Le Président s’y reprend à trois fois, justement, à travers les discours du 28 mars, du 3 et du 10 avril, pour trouver la « sortie de crise » exigée par nos chers éditocrates : la transparence, une Haute autorité indépendante de plus (si elle est aussi efficace que le CSA, les futurs Cahuzac peuvent dormir sur leurs deux oreilles), et une menace de guerre nucléaire contre les paradis fiscaux. Ni la première ni la dernière : en 2009, Nicolas Sarkozy avait déjà déclaré que leur dernière heure était venue.
Comme disent les communicants de crise, la réactivité est essentielle. Dès le 16 avril, le site Internet du gouvernement publie les déclarations de patrimoine des ministres. Lesquels ont un peu tendance à cacher leur joie. Ce voyeurisme les exaspère, mais comme les Français l’exigent… François Hollande attendait sans doute, si ce n’est des compliments, du moins un quitus des journalistes. C’est raté ! Les médias ne ratent pas cette occasion de manifester leur pusillanimité. Eux qui ne jurent que par la transparence, au point d’exiger « des noms ! » de délinquants fiscaux (« une » de Marianne du 14 avril), font presque la moue. Chers amis, ne franchissons-nous pas la ligne jaune du populisme ? Et puis, Cahuzac lui-même aurait-il déclaré son compte en Suisse en remplissant sa déclaration de patrimoine ? Ce qui ne les empêche pas, du Parisien au Monde en passant par Libé, de recopier avec application les déclarations des ministres, vélos et trottinettes comprises. Comment faire autrement, coco ? Les lecteurs sont des voyeurs. On ne va pas laisser la concurrence s’arroger l’exclusivité du trou de serrure…
Les communicants, donc, ont sorti de leur besace la brillante idée du « choc de transparence ». Tiens donc, « choc », ça ne vous rappelle rien ? Il y a eu d’abord le « choc de compétitivité », préconisé par le rapport Gallois commandé par le Président, et dont on a déjà oublié qu’il fut l’un des thèmes de campagne de Nicolas Sarkozy en 2012. Nous avons eu droit ensuite – c’était le 23 mars – au « choc de simplification », vieille antienne reprise par à peu près tous les gouvernements depuis l’élection de Giscard en 1974. Le « choc de moralisation » survient peu après que Jérôme Cahuzac a avoué son gros mensonge. Suivi par le « choc de transparence », grâce auquel chacun a pu découvrir que nos ministres étaient plus intéressés par les contrats d’assurance-vie que par les voitures de collection.
Il fut un temps où chaque séquence politique était précédée d’un brainstorming d’où naissait un « concept » articulé au message que l’homme de pouvoir voulait transmettre au pays. Créativité déclinante ou économies de la dépense publique ? Depuis six mois, le communicant de l’Élysée semble saisi par un TSC (trouble sémantique compulsif), une sorte de hoquet discursif qui le conduit à enrober chaque annonce présidentielle du mot « choc », au risque de rendre notre Président ridicule. Bizarrement, tout le monde a oublié qu’en octobre, François Hollande déclarait : « L’idée de choc traduit davantage un effet d’annonce qu’un effet thérapeutique. » On ne vous le fait pas dire, Monsieur le Président. Au fait, comment s’appelle le nouveau sorcier de la com’ au « Château », celui qui devait présidentialiser l’ami François ? Claude Sérillon ? Il est à craindre qu’il soit plus près de la porte que de l’augmentation.[/access]
*Photo: capture d’écran BFM TV
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