Les amis de l’écrivain entretiennent sa flamme en éditant des Cahiers qui lui ressemblent tant…
Déjà deux ans ! C’est en janvier 2019 que Christine de Rivoyre nous a quittés. Il y eut bien quelques papiers dans la presse nationale, le service minimum quand un écrivain jadis primé disparaît à un âge respectable. On a récité son palmarès un peu mécaniquement, un peu bêtement.
Vous souvenez-vous de La Mandarine (1957), Le Petit Matin (1968) ou Boy (1973) ? Des succès critique et commerciaux, des poches par milliers et l’adoubement de ses pairs, ce n’était pas si courant dans une société éditoriale aux mœurs claniques. Pour les plus inspirés ou les plus curieux, on évoqua une parenté avec Colette, on poussa jusqu’aux Hussards et on illustra le tout par un vieux reportage télévisé sorti des caves de l’INA qui fige les traits et qui passe toujours à côté de l’essentiel.
Le purgatoire des quais de Seine
Un téléspectateur attentif aurait pu capter, l’espace d’un instant, l’allure et le tempérament, le mystère dans ce regard profond et cette beauté qui émeut sans crier gare. Les signes d’un monde où la littérature populaire n’avilissait pas les êtres, où le roman avait la moiteur des rosées matinales et où l’amour cavalait sur la plage, insoumis et gourmand. Et puis, l’actualité oppressante et cannibale est venue balayer cette triste information, la remplaçant par un fait-divers sordide, un scandale politique, un exploit sportif quelconque ou une crise internationale. Chaque année, des dizaines d’écrivains qui ont enchanté l’été de nos quinze ans partent sans les trompettes de la renommée. La célébrité est injuste et factice, elle gomme les talents, elle brouille l’horizon, elle désagrège les œuvres les plus solides. Commence alors un processus de sédimentation chez les bouquinistes, cette vague continue qui vient alimenter leurs boîtes et raviver la nostalgie.
A lire aussi: Marielle, Broca, Belmondo: le beau recueil nostalgique de Thomas Morales
Ce purgatoire des Quais de Seine est une épreuve, un cap Horn des égos. Les échouages y sont nombreux. Certains écrivains succombent à cette seconde mort, leur nom n’évoquera bientôt plus rien aux nouvelles générations, ils sombreront dans l’oubli et la poussière. Christine de Rivoyre ne connaîtra jamais ce destin des réprouvés, son fantôme habite désormais la forêt des Landes, elle a repris possession de ses terres originelles. La belle dame d’Onesse, cavalière et nageuse, veille sur nous, à distance et son reflet brille dans notre mémoire. Car, sa littérature papillonne et élève, son écriture exempte de mièvrerie et de déballages est un modèle d’équilibre. Au pays des truqueurs, celui des auteurs qui ont choisi la fiction comme moyen d’expression, elle a tracé un sillon singulier, une forme de légèreté sans affèterie, de sincérité sans pesanteur, d’amertume pétillante.
Christine de Rivoyre, conteuse et ensorceleuse
Elle ne se rengorgeait pas de mots vains et inutiles. Dès l’entame de ses romans, le lecteur était happé par un appétit de vivre qui ne tournait pas à la farce. Là, résidait son talent de conteuse et d’ensorceleuse. Chez elle, la gravité (à bout touchant) ne devait pas l’emporter sur l’harmonie, mais l’occulter aurait été une faute, un combat s’engageait face à toutes ces incertitudes. Elle se refusait au compromis, c’est pourquoi ses personnages avaient la force du réel, ils étaient animés d’une tension intérieure, de ces contradictions de l’existence dont personne n’arrive à se détacher complètement. Ses héros de papier s’immisçaient en nous pour longtemps. Les amis de Christine de Rivoyre se sont constitués en association pour faire vivre son œuvre, lui faire passer les barrières du temps et aller à la rencontre d’un nouveau public. Frédéric Maget et Sylvaine Nicolaï, inlassables promoteurs et diffuseurs de cette mémoire, ont créé les « Cahiers Christine de Rivoyre » dont le troisième numéro est sorti en ce début d’année.
Au-delà de l’énergie phénoménale, des recherches, de ces heures passées dans les archives et de l’affection qui imprègne toutes ces pages, c’est l’objet qui séduit par son formidable pouvoir d’évasion. On quitte enfin les aigreurs actuelles des « mini-moi » de l’édition qui font un « maxi-bruit » pour entrer au royaume des discrets étincelants à la prose alerte.
L’amitié avec Michel Déon
Ce dernier numéro ressuscite une amitié de cinquante ans avec Michel Déon (correspondance inédite et merveilleuse de tendresse préfacée par l’inégalable Stéphane Hoffmann), un feuilleton (Le bord de la mer) paru dans le magazine Elle en août 1970 et également une lecture croisée entre Chéri et Boy signée Martine Charreyre. Une revue remplit sa fonction quand elle donne à lire et à penser, quand elle exhale le parfum d’une époque, en l’occurrence, celle d’un groupe soudé d’amis. Et quand les amis s’appellent Michel Déon, Félicien Marceau et Christine de Rivoyre, le lecteur de 2021 pénètre dans une famille d’esprit où la petitesse n’a pas sa place, où les relations n’ont pas le goût faisandé de l’imposture. Le lecteur de 2021 a les yeux ronds et le sourire aux lèvres, il est touché par la grâce, ces écrivains-là étaient d’honnêtes hommes. Ils nous manquent tellement. Longue vie à l’association qui a besoin de soutiens pour faire perdurer sa mission.
Cahiers Christine de Rivoyre – Numéro 3 – Janvier 2021
Les Amis de Christine de Rivoyre
101, rue Las Yaougues
40440 Onesse-Laharie
Contact : amisderivoyre@orange.fr
Site : www.amisderivoyre.fr
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !