L’égalité hommes-femmes passe aussi par la transparence, voire l’exhibition, des phénomènes naturels tels que les menstruations ou la défécation. Nul besoin de se cacher pour évoquer ces sujets jusqu’alors tabous, d’autant plus qu’ils ont porté de sévères préjudices aux femmes. La preuve, elles seraient plus constipées que les hommes à cause de la pression sociale.
Pardonnez-moi de me risquer sur un terrain scabreux. Enfin, si vous le trouvez scabreux c’est sans doute que vous faites partie de ces drôles de gens du monde d’avant. Une fois le stade anal passé, nous avons appris qu’il était impoli, inconvenant ou incongru de parler de ses excréments, sécrétions et autres fluides. Même avec ses proches, ces choses-là, pensait-on, demandent de la pudeur. Au sein des couples, on s’efforce souvent d’épargner à l’autre les manifestations les moins plaisantes de la matérialité des corps. Parfois jusqu’au ridicule. Il y a dans Belle du Seigneur quelques pages hilarantes sur les plans sophistiqués qu’échafaudent les deux jouvenceaux pour cacher tout ce qui pourrait révéler à l’autre que l’être aimé possède des intestins.
Ça, c’était avant. Avant la transparence, qui ne s’arrête pas à votre compte en banque. Elle se mêlait de nos fesses depuis longtemps, désormais elle inspecte nos entrailles. Et nous en redemandons. On réclame de toutes parts que les malades sortent du silence. Et ils le font ! Ainsi voit-on des tas de gens, célèbres ou anonymes, exhiber leurs tourments corporels, avec l’excellente intention de mettre leur expérience au service d’autres malheureux, en réalité avec le fantasme que leurs déboires n’aient pas servi à rien. On trouve admirables les personnages publics évoquant leur maladie à la télévision, comme si le dévoilement était en soi une bonne chose. Et chaque maladie grave a désormais sa pride, appelée machinthon – il faut bien des fonds pour la recherche.
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À l’heure où vous buvez votre premier café, vous pouvez entendre une réclame invitant les plus de 50 ans à envoyer un échantillon de leurs selles dans une enveloppe pour le dépistage de je ne sais quel cancer. Les fonctions naturelles ne doivent pas susciter de honte, ni même appeler à une discrétion particulière, au motif, précisément, qu’elles sont naturelles. La seule chose honteuse, c’est la honte.
Sauf que nous avons bâti au cours des siècles un édifice appelé culture pour sortir de l’état de nature. Et nous n’avons pas tous envie d’y retourner. L’humanité avec ses névroses, ses ombres et même ses hontes irraisonnées, est plus intéressante que celle, inculpabilisable, qui s’annonce, faite de benêts si innocents qu’à la différence d’Adam et Ève après la Chute (dans les embrouilles et dans l’Histoire), ils n’auront pas besoin de cacher leur nudité. Rappelons au passage qu’on peut vouloir cacher des choses dont on n’a nullement honte.
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Et voilà que l’étalage du corps et de ses embarras fait maintenant partie de la panoplie féministe. Il faut lever les tabous qui ne sont que l’un des moyens d’oppression du patriarcat. La « journaliste engagée » Lauren Bastide se bat pour que l’on parle enfin à visage découvert des fuites urinaires – ce mal trop méconnu ! Elle parraine une exposition de photos au titre prometteur : « Je suis comme je suis ». Pourquoi voudrais-je me montrer sous son meilleur jour ? N’oublions pas non plus le grand tabou des règles. Le rêve de toutes les femmes, la condition pour qu’elles se sentent libres, c’est de pouvoir parler de leurs menstruations avec leurs collègues de bureau. On aurait dû inscrire ce thème au Grand Débat.
Le « caca-shaming » est à la mode
Après les règles et les fuites urinaires, on attendait que quelqu’un demande la levée du tabou sur la défécation. Eh bien c’est fait, toujours au nom de la lutte contre le patriarcat. L’ami Guillaume Erner m’envoie en effet un article paru dans le New York Times, intitulé « Les femmes font caca. Parfois au travail. Il faut vous y faire[tooltips content= »Jessica Bennett, Amanda McCall, « Women Poop. Sometimes at Work. Get Over It. », New York Times, 17 septembre 2017. »]1[/tooltips]. » Saviez-vous qu’en plus de tout le reste, les femmes sont victimes de « caca-shaming[tooltips content= »Je dois cette traduction au site Terrafemina qui a publié une recension enthousiaste de l’article. »]2[/tooltips] » ? Jusque-là, à cause de cette satanée honte, elles évitaient de le faire au bureau tandis que les hommes, ces porcs, ne se gênaient pas. En plus, ces gros benêts rigolent de leurs flatulences quand les femmes sont mortifiées[tooltips content= »Croyez-le ou pas, il existe des études très sérieuses sur l’incidence du genre sur la relation aux pets. C’est en tout cas ce qu’affirme le NYT. »]3[/tooltips]. C’est bien la preuve que « le patriarcat a colonisé les intestins féminins » – c’est le « patriarcaca », me souffle Alain Finkielkraut. Les deux auteuresses, déçues que seulement trois personnes sur 100 aient répondu à leur questionnaire sur les « habitudes fécales au travail » (on se demande bien pourquoi), dressent la liste des maux endurés par le beau sexe pour cause de retenue intestinale. Le plus rigolo, c’est qu’à la fin de l’article, un médecin reconnaît que la surconstipation féminine n’est peut-être pas imputable à des phénomènes culturels et psychologiques, mais tout simplement à la différence de configuration du colon entre les deux sexes.
Lutte contre le patriarcat
Sans doute heureuses d’avoir mis au jour un nouveau front de la domination masculine, Jessica et Amanda appellent donc les femmes à s’emparer de la question fécale. Et les entreprises doivent suivre : elles subventionnent des tampons hygiéniques, créent des salles d’allaitement, pourquoi pas des ateliers-caca – là, je brode un peu, mais à peine.
Nos hardies militantes veulent bien entendu casser les codes. Que l’on puisse avoir envie de conserver par-devers soi les manifestations les plus intimes de son corps, que la pudeur soit un élément essentiel de la civilité et de la vie en société, cela relève, pour elles, d’un complot du patriarcat. Je préfère encore le patriarcat à leurs exhibitions dégoûtantes. Alors pitié, arrêtez de nous casser les codes et allez vous rhabiller.
P.-S. : Notre ami Basile m’a fourni un mot d’excuse. Vous devrez donc attendre le mois prochain pour retrouver son moi.