L’inflation juridique profite à la génération « J’ai le droit ». Jeudi dernier, nos députés ont cédé à une nouvelle lubie, en légiférant contre la « discrimination capillaire », laquelle sera désormais sanctionnée. Au cœur des débats : les personnes aux cheveux crépus qui seraient victimes d’un odieux racisme.
Le 27 mars, l’Assemblée nationale adoptait en première lecture une proposition de loi portée par le député Olivier Serva du groupe LIOT pour lutter contre la discrimination dite « capillaire ». Le groupe politique visait notamment la compagnie Air France, laquelle mentionne aux stewards que « les cheveux devaient être coiffés de façon extrêmement nette. Limitées en volume, les coiffures doivent garder un aspect naturel et homogène. La longueur est limitée dans la nuque au niveau du bord supérieur de la chemise. ». En définitive, les codes du travail et pénal devraient être modifiés, une nouvelle fois, pour y intégrer des sanctions pour ces employeurs qui oseraient imposer une coupe de cheveux décente. Le nombre de discriminations listées serait donc porté à 24…
Lubies juridiques
Le trio sémantique infernal de la parole publique « égalité, compassion, victimisation », porté en étendard depuis une dizaine d’années, a accouché ce 27 mars d’une nouvelle lubie juridique. Une nouvelle démonstration de force de cette minorité zététique qui impose par la culpabilisation tous ses désidératas, au détriment de l’intérêt collectif, pour lui permettre souvent de justifier ses échecs.
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Ce raisonnement désormais bien connu se résume en trois mots. J’ai le droit. J’ai le droit de me vêtir comme je l’entends. J’ai le droit de me coiffer comme je le souhaite. J’ai le droit également de porter des piercings ou des tatouages visibles de tous, y compris en milieu professionnel. En cas de difficultés, la voie judiciaire est privilégiée quitte à littéralement engorger les tribunaux déjà en grande difficulté compte tenu du budget de la justice réduit à peau de chagrin. Ce fait de société n’est pas nouveau. « Les morts gouvernent les vivants », nous rappelait Auguste Comte ; et le romancier Philippe Muray alertait en 1992 contre cette « envie de pénal » palpable dans une société qui se judiciarisait déjà fortement.
Chacun ses priorités
Avions-nous donc besoin d’ajouter une couche supplémentaire au millefeuille législatif dès lors que le Code du travail et le Code pénal, comportent respectivement 3 492 pages et 3 300 pages ? Oui, nous répondent les défenseurs du « Bien ». La lutte contre discrimination capillaire a été amplement justifiée par M. Olivier Serva, élu dans l’un des départements les plus criminogènes de France, dans une séquence sur France Info du 28 mars. La capillarité relève « d’une difficulté universelle », plus encore, il faut « nommer le mal ». C’est dire si les sujets brûlants intéressant le quotidien des administrés en termes d’école, de finances publiques et de subventions, de sécurité sont bien subsidiaires !
C’est à se demander si la sacro-sainte parole des minorités annihile tout espoir de simplifier et rendre plus accessible notre droit. Le premier drame de cette inflation législative est la mise en difficulté des acteurs juridiques et judiciaires, qui ne peuvent suivre des évolutions législatives sempiternelles. Or, il est indéniable que les justiciables sont en droit d’attendre de leurs magistrats, greffiers, policiers et avocats une connaissance permanente des textes applicables. Le deuxième drame est l’affaiblissement de nos lois si nécessaires face à des lois profondément inutiles. Ces nouveaux inquisiteurs nietzschéens de la moraline ont mis un bâillon sur les lèvres de Montesquieu, qui mettait pourtant en garde de toucher l’arsenal juridique seulement avec une main tremblante. À chaque difficulté, une nouvelle loi est proclamée, signe d’une action politique forte, mais profondément stérile.
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Non sans s’arracher les cheveux, il relève du devoir de s’indigner face à la complexification de notre droit, à la judiciarisation de la vie quotidienne et surtout à privilégier le bon sens face à la pénalisation de nos moindres faits et gestes. À travers différents procès, les jurisprudences permettent pourtant un travail de création astucieux pour délimiter les contours des lois avec pour idée directrice qu’il vaut mieux une « bonne jurisprudence » qu’une mauvaise loi. Mais le travail s’annonce ardu face à ces élus dont le rôle a été fourvoyé.
La démagogie des minorités l’a emporté sur la majorité, l’intérêt collectif et le bon sens. La majorité, ce vainqueur proclamé par Tocqueville dans De la Démocratie en Amérique, est la vaincue. Nous pensions voir arriver Grouchy, c’est finalement Blücher qui apparaît. Cette formule est d’actualité face à ce millefeuille de petites erreurs qui participe, insidieusement, à la défiance de la société à l’égard de nos politiques.
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