Le courage n’est pas la vertu première des diplomates. Sinon, ils auraient fait militaires, et d’abord on ne leur demande pas de mener la charge au pont d’Arcole, bien au contraire. Un bon diplomate, ça « arrange les bidons », comme disent les Belges, et cela dans la plus grande discrétion possible, pour laisser aux politiques le bénéfice des poignées de mains, accolades et autres mignardises qui rythment les rapports entre chefs d’Etats sous le regard des photographes.
Moyennant quoi, ils sont très bien payés et mènent une vie agréable lorsqu’ils sont en mission à l’étranger, mais leur situation est beaucoup moins enviable lorsqu’ils reviennent à « la centrale ».
Cette quête du bon poste n’incite donc pas les fonctionnaires de cette administration à se faire remarquer par des prises de positions publiques et fracassantes sur le bien-fondé de l’action menée par le pouvoir politique dans leur secteur de compétence.
C’est pourquoi il faut prendre au sérieux le texte de la tribune publiée dans Le Monde par un groupe de diplomates réuni sous le pseudonyme collectif de « Marly », le nom du bistrot où ils se sont réunis pour la première fois.
Ce texte est une charge au canon contre la gestion sarkozienne de la politique extérieure de la France. Sa lecture attentive montre qu’il ne reflète pas seulement les positions de la vieille garde gaullienne du Quai, de sa « rue arabe » et américanophobe dont les rancœurs passent habituellement, via Claude Angeli, par le canal du Canard Enchaîné.
Un des comploteurs, avec qui nous entretenons une vieille complicité, nous a révélé les raisons d’une révolte qui réunit des vieux ambassadeurs blanchis sous le harnois, et des jeunes qui viennent d’entrer dans la « carrière ».
Le déclencheur de la colère a été un édito de Christophe Barbier, l’homme à l’écharpe rouge de L’Express, qui mettait sur le dos de notre service diplomatique les errements récents de politique étrangère de la France face aux révoltes de Tunisie et d’Egypte. Conscients d’avoir transmis au pouvoir tous les éléments lui permettant de se faire une idée de la situation politique et sociale réelle dans les pays en question, ils ont moyennement apprécié que la seule sanction de cet aveuglement se porte sur notre ambassadeur en Tunisie, Pierre Ménat, qui n’avait fait qu’appliquer les consignes venues d’en haut : pas le moindre contact avec l’opposition. Cela n’empêchait pas quelques diplomates de rang inférieur d’ouvrir leurs yeux et leurs oreilles et de rendre compte à leur administration de ce qu’ils voyaient et entendaient. Les conjurés du Marly ont donc demandé à L’Express de publier leur point de vue sur la question, ce qui leur fut refusé. Ils se tournèrent alors vers Le Monde qui accepta leur texte, ce qui constitue une bonne entrée en matière pour son nouveau directeur, Erik Izraelewicz.
Selon ses concepteurs, ce texte ne vise pas directement la cellule diplomatique de l’Elysée, dirigée par Jean-David Lévitte. « S’il n’était pas là où il est, il l’aurait signé avec nous ! », précise l’un d’entre eux. Ils mettent prioritairement en cause Henri Guaino, responsable à leurs yeux du fiasco de « L’Union pour la Méditerranée », une opération où les contributions des spécialistes du Quai d’Orsay sur cette question auraient été négligées, alors qu’elles auraient pu, selon eux, éviter bien des bourdes.
Sont visés également les « visiteurs du soir » du président, notamment Alain Minc, mais il n’est pas le seul, qui poussent Nicolas Sarkozy à des gestes diplomatiques inconsidérés, comme la querelle avec le Mexique à propos du cas de Florence Cassez. Les chevau-légers du « Marly » font valoir que la gestion des contentieux judiciaires entre deux pays démocratiques est un travail de l’ombre, harassant et fastidieux, à l’image de ce qui se passe chaque jour entre la France et l’Allemagne dans les affaires douloureuses de garde d’enfants de couples mixtes séparés…
Enfin, quelques nominations à des postes prestigieux ont fait grincer quelques dents, comme celle de François Delattre, 47 ans, au poste d’ambassadeur de France à Washington, une promotion fulgurante au regard des habitudes de la maison, dont la cause serait à rechercher dans la gestion habile, et conforme aux vœux de Nicolas Sarkozy, de l’atterrissage de son fils P’tit Louis et de sa maman Cécilia à New York, où Delattre était alors consul général…
Les récents déboires à Tunis d’un autre Mozart sarkozien de la diplomatie, Boris Boillon n’ont pas chagriné outre mesure les « Marly », bien qu’ils se défendent d’éprouver à ce propos une quelconque Schadenfreude, ce sentiment de joie mauvaise devant le malheur des autres qu’ils laissent à leurs collègues germaniques.
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