Si la réalité dépasse parfois la fiction, c’est que la fiction précède souvent la réalité. La littérature prévoit l’avenir. Cette chronique le prouve.
Maxime a 15 ans. Il a organisé une véritable émeute dans son lycée et a cassé le bras d’un surveillant. Joséphine a 12 ans. Fille de bonne famille, elle a tué son grand-père en trafiquant son insuline et, pour faire bonne mesure, a empoisonné son ancienne nourrice. Pierre, lui, franchit un cran dans l’horreur. Ses aveux commencent par cette phrase : « Moi, Pierre Rivière, ayant égorgé ma mère, ma sœur et mon frère. »
Voici des faits divers qui ne dépareraient pas la sinistre litanie des violences commises par des adolescents, en France, ces dernières semaines, culminant avec le martyre d’Alisha. On a pu interpréter cette flambée comme un ensauvagement de la société, ce qui est l’avis de Jordan Bardella, numéro 2 du RN : « Face à cette ultraviolence et à cet ensauvagement de la société, il faut un sursaut. » D’autres, au contraire, estiment que le phénomène n’a hélas rien de nouveau, comme le criminologue Alain Bauer : « Prenez un très vieux journal de la moitié du XXe siècle comme Le Soir, ou même un journal de la fin du XIXe siècle : ils sont remplis de faits divers, vous verrez que vous trouverez la même chose. »
Les exemples cités sembleraient donner raison à Alain Bauer. Maxime, c’est Maxime Du Camp, l’écrivain ami de Flaubert, qui raconte dans Mémoires d’un suicidé la révolte violente qu’il organisa au lycée Louis-le-Grand. Cette violence en milieu scolaire, d’ailleurs, Flaubert lui-même mais aussi Baudelaire s’en font l’écho dans leurs correspondances respectives. Dans une lettre à son frère, en 1833, le futur poète des Fleurs du mal raconte une vengeance brutale contre un surveillant : « Je suis dans les mutins. Je ne veux pas être un de ces lèche-culs. » Quant à la petite Joséphine, c’est un personnage de La Maison biscornue d’Agatha Christie, un roman de 1949, inspiré d’un fait divers qui n’atteint certes pas en horreur l’affaire James Bulger de 1993 où un enfant de 2 ans a été torturé et tué par deux de 10 ans, ce qui donna à une autre grande dame du crime, Elizabeth George, la trame de son roman Le Cortège de la mort en 2010.
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On aimerait bien sûr trouver des explications, comme aujourd’hui le rôle joué par les réseaux sociaux qui est mis en avant. Il n’y avait pourtant pas de réseaux sociaux dans le futur dystopique d’Orange mécanique de Burgess, où Burgess met en scène des bandes d’adolescents assassins, ni dans Sa Majesté des mouches quand des enfants de 6 à 13 ans, naufragés sur une île, pourraient construire une utopie et finalement sombrent dans des guerres tribales atroces.
Expliquer cette violence, oui, parce que nous avons peur de nous-mêmes. Le poète anglais Wordsworth écrivait que « l’enfant est le père de l’homme ».
Autrement dit, il est déjà ce que nous devenons.